Belle entrée en matière qui va plaire à mon ami François le bourguignon, pour lire l’intégrale de cette charge il vous faudra attendre le cul de cette chronique et subir mes petits écrits pondus au petit matin du dimanche passé.
Je produis beaucoup, trop diront certains, mais qu’est-ce donc que deux petites chroniques journalières dans la vie d’un homme, rien que des scories qui s’accumulent sur la Toile. Ce stakhanovisme a pourtant du bon, il permet parfois de renouer des liens avec des personnes croisées au fil de sa vie professionnelle ou personnelle.
Tout commence par une enveloppe, adresse manuscrite, déposée dans mon casier rue de Vaugirard, l’annexe du Ministère de l’Agriculture où séjournent les vieux « hauts serviteurs » de l’Etat – le gagatorium en langue ordinaire. Le courrier électronique m’a tué devrait être le nouveau slogan de la Poste, je passe donc très rarement dans le local prévu pour cette antiquité.
Intrigué par la tronche de cette lettre, qui n’a rien d’administrative, je la décachète avec fébrilité.
Nouvel étonnement, le feuillet est manuscrit, à la plume et à l’encre bleue, à la manière d’une ordonnance médicale. Il me faut décrypter.
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Mon correspondant m’indique en entame qu’il est tombé par hasard sur internet sur des sites faisant état de mon activité dans le domaine du vin avant d’indiquer que cela lui a rappelé de … (je ne décrypte pas) moments rue de Varenne.
Je fronce les sourcils, le patronyme de l’auteur de la lettre, qui n’est pas son patronyme d’auteur, me dit quelque chose mais, en dépit d’une plongée dans ma mémoire, je ne le resitue pas.
Est joint à la lettre un carton d’invitation pour le 1er octobre dès 19 heures à une rencontre-dédicace à la librairie L’Écume des Pages à l’occasion de la parution de son second roman. « Précipitation en milieu acide »
![photo400.JPG](http://img.over-blog.com/450x600/0/07/43/89/O/O-2/photo400.JPG)
Comme c’est étrange me dis-je :
- La librairie L’Écume des Pages est ma librairie de référence ;
- L’éditeur du roman est Olivier Bardolle, qui est aussi écrivain, a fait l’objet de mes attentions de chroniqueur « l’élite de l’apparence selon Olivier Bardolle «Homme d’affaires le jour, écrivain la nuit» et réac assumé link
Bref, je me fais une fête de pouvoir me rendre à l’invitation de Pierre Lamalattie.
Patatras, en consultant mon smartphone je constate avec horreur que nous sommes le 2 octobre et que le pince-fesses littéraire germanopratin est passé.
Furieux je suis.
Je me rue sur Google.
J’y découvre que « Comme l'auteur dans une vie antérieure, son personnage s'ennuie au ministère de l'Agriculture. Profondément. Il traverse l'existence comme un passager monté dans le mauvais train. Quand il ne s'occupe pas des «restructurations et des plans sociaux dans les industries agroalimentaires», il est «une sorte de conseiller d'orientation pour les étudiants». Idéal pour observer les mécanismes de l'«aliénation et de la servitude en milieu professionnel», mais aussi pour s'interroger sur la notion de «vocation», explique ce grand sosie poivre et sel de Benjamin Biolay, en vous servant un bol de thé avec les gestes précautionneux d'un Michael Lonsdale. »
Ma mémoire s’éclaircit : PL dit Pierre Lamalattie travaillait à la défunte DIAA, rue Las-Cases, au temps de Chavarot puis de Guthmann, alors que j’étais directeur-adjoint du cabinet. Sans me pousser du col je devais être un des rares dans la maison Agriculture à m’intéresser à ce qu’il faisait.
Je continue donc ma recherche et je tombe sur le blog d’Alain Bagnoud qui écrivait lors de la sortie du premier roman de Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitae pour un tombeau
« Je comprends pourquoi Antonin Moeri m'a passé ce livre. Nous sommes tous les deux des amateurs des romans de Houellebecq. Et là, quand on commence le roman de Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitae pour un tombeau, on se dit tout de suite: « Mais il y a quelque chose. Une parenté. Un ton. Une écriture. »
Du coup, quelques clics sur internet nous apprennent que Houellebecq et Lamalattie sont deux vieux amis. Ils ont fait Agro ensemble quand ils étaient jeunes, se sont liés, fréquentés. Chacun a servi de modèle à l'autre. Lamalattie a inspiré le peintre Jed Martin dans le dernier Houellebecq, La carte et le territoire. Houellebecq est représenté sous le nom de Jonas dans le roman de Lamalattie.
Ce qu'ils ont surtout en commun, c'est un style. Un ton détaché, des phrases simples, une ponctuation qui place toutes les incises entre deux virgules. Un humour aussi.
Cependant Pierre Lamalattie n'est pas un clone de Houellebecq, un pasticheur. Il a sa matière à lui, son originalité, sa manière de considérer le roman. Il n'est pas autant pessimiste que le prix Goncourt 2010, chez lui, l'art est une consolation et une interprétation satisfaisante de la vie, et il y a des moments intenses qui valent la peine d'être vécus. Ceux qui n'aiment pas Michel peuvent lire Pierre avec profit. Comme l'écrit avec pas mal de malice Eric Nauleau, ce serait Houellebecq qui aurait écrit un bon roman. »
Caramba moi qui ai pisté Michel Houellebecq depuis l’origine avec son « Extension du Domaine de la lutte » voir chronique Une caricature de socialiste agricole link je commençais à trouver que les fenêtres du hasard m’offraient une succession de ces fameux liens que j’appelle souvent de mes vœux dans mes chroniques.
Autre découverte Pierre Lamalattie se consacre à la peinture depuis 1995 et expose régulièrement ses œuvres. Ça tombe bien, je suis fou de peinture et la sienne me plaît (voir vidéo)
Conséquence immédiate je fonce sur ma flèche d’argent : direction L’Écume des Pages où je fais l’acquisition de « Précipitation en milieu acide ».
Je le lis dans mon lit.
La présentation de Précipitation en milieu acide par l’éditeur est pertinente.
Oui c’est « un roman hilarant qui offre une plongée saisissante dans les mœurs et la réalité socio-professionnelle de notre époque. »
Oui, le regard Pierre Lamalattie est acéré et sa plume trempée dans l’acide.
Oui, il y a chez lui un côté « Marcel Proust des PME de province », qui lui fait pointer « les détails de notre époque et les tics de langage qui expriment toute la vanité contemporaine, la modernité maladive, et le vide sidéral dans lequel chacun tente pourtant de se faire valoir, telle la femme du narrateur qui envisage son couple et sa sexualité dans un souci d’efficacité et selon des conseils de management. »
Donc, samedi dernier, lisant au lit Précipitation en milieu acide car je lis mes romans au lit, page 141, je tombe en arrêt, tel un épagneul breton, sur une réponse de Luc Pontgibaud, ami du narrateur, qui vient de faire l’objet d’une promotion dans sa boîte Unibov.
- Et ta prise de fonctions s’est bien passée ?
- Oui, oui ! a-t-il dit en s’essuyant la bouche. Pas de problèmes ! Le seul truc qui m’a un peu contrarié, c’est d’avoir un adjoint. Pourtant, je n’en avais pas demandé. Mais Marchon, le DG, a insisté : « Vous verrez ! Berthomeau est un garçon très gentil ! Il est là depuis plus de quarante ans, c’est la mémoire vivante de votre service ! »
Vraiment ça fait tout drôle de voir son patronyme couché sur une page de roman. Je me suis précipité comme un mort de faim sur les pages qui suivaient et j’en ai eu pour mon argent car le Berthomeau d’Unibov, vieux garçon, qui « sent le vieux » au dire de Béné l’épouse du narrateur, qui porte « le même costume trois pièces, à chevrons, été comme hiver », pétainiste, tout moi en quelque sorte, n’est vraiment pas à piquer des vers.
Pendant 5 pages je me suis vraiment gondolé dans mon lit.
Mais comme un bonheur ne vient jamais seul dans la foulée le narrateur fort ronchon nous gratifiait d’un nouveau morceau de bravoure :
« Les légumes farcis m’avaient considérablement assoiffé. Mais Luc s’obstinait à me servir du vin par petites doses, remplissant à peine le fond de mon verre. Il voulait, à chaque fois, que je goûte son pinard, que je l’apprécie, que je le commente. En particulier, il tenait beaucoup à ce que je donne mon avis sur plusieurs bordeaux en compétition. Il faisait partie, paraît-il, depuis plusieurs mois, d’un club d’œnologie pour VIP haut de gamme. Non seulement c’était désormais un amateur d’art attesté, mais c’était aussi un amateur de vins. Il caressait d’ailleurs l’idée de se constituer une cave à la hauteur de ses ambitions. Ça a fini de m’énerver. J’ai été catégorique.
- Le bordeaux, ouais… Je veux bien ! Ouais ! Mais de toute façon, je n’aime pas les étiquettes avec château-ceci, château cela. C’est tape-à-l’œil. Je n’aime pas non plus la forme de ces bouteilles, cylindriques, fonctionnelles, moches…
- C’est nouveau ça, a dit Pontgibaud. Tu n’aimes pas la forme des bouteilles ?
- Non ! ai-je répondu avec netteté. Je préfère les bouteilles de bourgogne. C’est sensuel, au moins une bouteille de bourgogne. C’est agréable à tenir dans la main. C’est doux, ça s’arrondit, ça s’évase, ça se développe. La comparaison avec une femme s’impose, je veux dire une femme qui aurait ce qu’on appelle un cul. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre. Un cul ! Les bouteilles de bordeaux ont les fesses tristes. On dirait des fesses de sportives, étroites, fermes et dénuées de poésie. Voilà le problème. »
Sans oser me hausser du col je trouve qu’il y a dans le ton un soupçon de Berthomeau dans ce Pierre là, pas le Berthomeau du roman mais votre Taulier bien-aimé.
En comptant sur mes doigts ça doit faire plus de 20 ans que PL dit Pierre Lamalattie et moi ne nous sommes pas vus. En ce temps-là il frisait la trentaine et moi j’étais un fringuant, et sans doute arrogant, quadragénaire.
À propos de celui qui s'appelait encore Michel Thomas – il choisira son nom de plume, Houellebecq, plus tard – son collègue dans la promotion 1975 de l'Agro, Pierre Lamalattie remarquait dans une interview lors de la sortie de son premier livre « Nous avons été proches pendant vingt ans, je ne l'ai pas vu depuis plus de dix, dit doucement Lamalattie. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Peut-être qu'une bonne scène de ménage aurait été souhaitable... C'est un peu triste et un peu douloureux, vous savez. Michel est un type gentil, je crois qu'il a été un peu dépassé par son succès. J'ai bien aimé ses livres, j'espère le revoir un jour.» En attendant, ils vont pouvoir continuer à dialoguer par romans interposés. La littérature peut aussi servir à ça. »
Bien sûr je ne chalute pas en haute mer littéraire comme ces deux-là mais, si le cœur lui en dit, j’invite Pierre Lamalattie, que j’appellerai Pierre pour ne pas me prendre les pieds dans le tapis, à partager le pain et le sel au restaurant Les Climats 41 rue de Lille link pour lui faire apprécier une belle bouteille de bourgogne qui n’aura pas la fesse triste. Et de toute façon aucun cul de bouteille de bordeaux dénué de poésie à l'horizon puisque la maison ne propose que du bourgogne.
PIERRE LAMALATTIE EXPOSE SES CURRICULUM VITAE par Legrand-Durien