Temps pourri sur Paris, du gris, de la pluie, l’ennui, soigné par ma belle par une thérapie de lit : sous la couette, dans notre jus et nos odeurs, nous dérivons. Face à nous un écran plat : nous nous gavons de ciné. Ma programmeuse adorée, dont, je dois vous avouer sans aucune honte, j’ai, depuis l’origine, falsifié le prénom pour la protéger du quand dire-t-on, s’en donne à cœur joie. Nous vivons d’amour et d’eau claire pimentée de ciné. Ma gueuse de programmeuse flatte odieusement mes mauvais instincts en me projetant aussi des films d’espionnage à la sauce guerre froide bien sûr. Ainsi, La Taupe, du suédois Thomas Alfredson, d’après le célèbre livre du même nom de John Le Carré. Les critiques sont dithyrambiques me dit-elle en se glissant à mon côté : «grandiose», «chef d’œuvre», «subtil», «éblouissant», etc. Je lui réponds « T’as de beaux seins tu sais… », ce qui pure vérité mais ce qui me vaut un sourire carnassier qui me laisse augurer d’un after de la plus haute intensité. Le film, c’est certain, c’est du Le Carré pur sucre : « des digressions, des non-dits, des silences, de faux-semblants, de fausses pistes, le brouillard londonien, l’architecture déprimante des années 60, l’odeur de tabac froid, une intrigue tortueuse à souhait, des personnages suspects à force d’être gris, le tout enrobé dans une ambiance plus british que british L’ennui c’est qu’à force d’ellipses et d’understatement, on n’y comprend rien —à part le fait qu’il y a une taupe soviétique infiltrée au plus haut niveau dans les services secrets britanniques. Le récit est bourré de trous et de points d’interrogation. Sans compter les silences, qui doivent bien faire la moitié du film. Déjà, l’espionnage, ce n’est pas toujours simple, mais quand en plus, il est britannique et à moitié muet, on en perd son latin… » Ma chérie me dit aussi et, afin de retarder mon passage à la casserole je le branche sur Philby.

L’affaire Philby, Harold Adrian Russel Philby, dit Kim Philby, nom de ce fameux espion anglais passé à la postérité pour avoir livré aux Soviétiques une quantité non négligeable d’informations hyper sensibles. Ce n’était pas un espion ordinaire, le jeune Harold Adrian Russell Philby, dit Kim, ancien élève de Cambridge, où il est entré en 1929 au Trinity College pour y étudier l’économie et l’histoire et il rencontrera des étudiants qui formeront avec lui le Groupe de Cambridge ou Magnificent Five. Des intellectuels, tels George Bernard Shaw ou George Orwell, à l'époque compagnons de route du communisme, auront une influence très forte sur lui et toute sa génération. Trésorier de la Cambridge Socialist Society, il est remarqué en 1930 par l'un de ses professeurs, communiste, à Cambridge, Maurice Dobb. Celui-ci l'aiguille vers le GPU (services secrets soviétiques) pour lequel il accepte de travailler. En 1934, après ses études, il se lance dans une pérégrination à travers une Europe hantée par le spectre de la guerre. On y découvre ce milieu de la gentry anglaise des années 30, sans souci d’argent, séduite par le communisme. On se promène dans l’Autriche pré-nazie, l’Espagne pré-franquiste, et la France d’avant l’occupation. À Vienne, il rencontre Alice surnommée Litzi, qui travaille pour le Kominterm et ils se marient. Pour elle il accepte de transporter des fonds secrets à destination de cellules clandestines dans l'Allemagne hitlérienne et en Grande-Bretagne. En 1934, il part pour l'Espagne en tant que correspondant pour le Times. Devant Teruel il est blessé par un éclat d'obus républicain ; ce qui lui vaudra d'être décoré par le Caudillo de la croix de l'Ordre du mérite militaire (Rioja Cruz). Il se constitue ainsi une couverture parfaite d'anticommuniste. En 1935, il entre au British Foreign Office. » Philby, agent double à coup sûr, mais peut-être aussi agent triple…
Ma compagne me caresse la nuque et, oh ! suprême plaisir, de ses beaux doigts effilés, aux ongles acérés, elle me griffe doucement, lentement, le dos. Elle sait que je vais rendre les armes, me soumettre sans combattre. Je lutte, cherche au fond de mes entrailles une défense ultime. À mon grand étonnement, en un éclair, je la trouve nichée dans mes neurones assoupis «Je me battrai pour que Zemmour puisse nous offrir le meilleur et le pire de lui-même » Le coup porté est rude, le blitzkrieg se mue en ligne Maginot hérissée de barbelés.
- T’es devenu ouf mon grand !
- Non, pour une fois que je suis d’accord avec cette vieille robe bavarde de Bilger je le dis…
- Je n’aime pas les cravates de Bilger !
- Moi aussi mais il n’empêche que son papier du Figaro est bien torché…
- Tu lis le Figaro toi ?
- Ça m’arrive lorsque je vais au cabinet…
- Arrête de déconner espion à la manque, dis-moi ce qu’écrit monsieur j’ai des opinions sur tout à propos du petit coq de basse-cour Zemmour !
- Ok ! Je te le lis au lit…
- Et tu te trouves drôle ?
- Non, mais je viens d’échapper à tes œuvres gourgandine…
- Salaud, tu ne perds rien pour attendre.
Ma tablette s’ouvre sur la prose Bilgérienne.
« Éric Zemmour, à nouveau au cœur d'une polémique suscitée par l'une de ses chroniques sur RTL, le 6 mai.
Le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) s'en est ému et je peux le comprendre.
Éric Zemmour est journaliste et écrivain. Il est l'une des plumes du Figaro. Dans cette chronique il fait, d'abord, une analyse politique pour célébrer des sociétés homogènes, par exemple comme le Japon qui, ayant su refuser l'immigration de masse et protégées par des barrières naturelles, a échappé à la violence. Même si ce constat est sujet à caution, on a le droit de le formuler.
Ensuite Éric Zemmour, emporté par un élan qui est autant de conviction que de provocation, tant l'une et l'autre sont liées dans et par son esprit, s'abandonne à la vision globalisante, apocalyptique et, à mon sens, outrancière d'une France qui serait livrée «à une bande de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins et d'Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent les villes et les campagnes françaises». Comparaison est faite avec les «hordes médiévales» et la terreur qu'elles inspiraient!
Je n'aurais pas dit cela, je n'aurais pas écrit cela.
Le CRAN abuse en dénonçant «une politique de purification ethnique».
Derrière ce paroxysme angoissé, je perçois d'abord l'angoisse. Derrière ce propos à la fois argumenté et ravageur, je sens l'amour d'un pays et l'obsession crépusculaire, qui n'est pas risible, du risque de son effacement singulier sous l'emprise d'un pluriel hétérogène qu'il ne saura plus maîtriser, dominer.
Je me battrais pour qu’Éric Zemmour ait le droit de nous offrir le meilleur ou le pire de lui-même.
Je n'aurais pas écrit cela, je n'aurais pas dit cela. Je n'aurais pas adopté ce ton au pire d'un Obertone vitaminé, au meilleur d'un Céline du pauvre.
Mais, parce que je n'approuve pas tout ce que sa chronique a diffusé mais que la liberté d'expression compte autant moins autant que mes états d'esprit - comme il y a des états d'âme -, je demande qu'on laisse Éric Zemmour en face de lui-même pour qu'il devienne son propre juge.
Qu'on ne joue pas aux inquisiteurs, qu'on ne mette pas en demeure RTL et qu'on n'alerte pas le CSA comme si notre société était composée de citoyens infantiles, incapables de se déterminer, à gouverner, à guider et à soigner. Inaptes à distinguer le vrai du faux. L'odieux ou l'excessif du critique ou du légitime. Des citoyens mûrs pour un processus totalitaire visant à réglementer paroles ou écrits pour éviter la mauvaise surprise de la liberté et de l'imprévisibilité.
Je n'aurais pas dit ou écrit cela.
Si le CRAN n'avait pour ambition que de faire connaître son indignation, c'est fait. Et c'est beaucoup et, pourquoi pas?, nécessaire. Qu'il n'ait pas invoqué pour la façade des foudres judiciaires d'ailleurs inconcevables juridiquement est à porter à son crédit.
Je me battrais pour qu’Éric Zemmour ait le droit de nous offrir le meilleur ou le pire de lui-même. Chacun appréciera.
Il y a toujours un moyen, dans une démocratie, de s'en sortir par le haut. En laissant la controverse et la contradiction mettre à bas ce qui doit l'être.
Philippe Bilger »