En tant qu’ignare majeur de l’art de la culture de la vigne et de celui de faire le vin rien ne me fascine plus dans la petite planète vins que toutes ces petites comètes qui tournent autour de ceux qui font le vin.
L’essor du conseil dans toutes les sphères de l’économie est un phénomène majeur de notre société post-industrielle. Les décideurs se bardent d’experts en tout genre aussi bien pour recruter, faire des choix d’investissements, de stratégie, procéder à des rachats d’entreprise, placer leurs liquidités, je ne sais.
Dans le vin la figure emblématique est bien sûr l’œnologue-conseil personnifié bien sûr par Michel Rolland et bad-boyisé par Stéphane Derenoncourt le non-œnologue.
Alors, à Bordeaux surtout, mais ailleurs aussi, dans la cour des châteaux et domaines se bousculent ceux qui savent, les fameux sachants capables de délivrer ou de transmettre à celles et ceux en charge de faire mûrir le raisin avant de se consacrer au vin, le plus qui les propulsera au-dessus du commun.
« Il fut un temps où les viticulteurs faisaient le vin qu’ils pouvaient, puis l’aimaient ou ne l’aimaient pas. Même si cette façon de voir persiste, l’anticipation et la connaissance prennent de plus en plus de place dans le choix des gestes qui accompagnent la production de vins de qualité. » écrit JM Quarin dans sa Chronique 176.
C’est l’irruption du fameux raisin cueilli mûr et sain, cher au père de l’œnologie moderne Émile Peynaud, dans le paysage médiatique du vin…
Mais comment reconnaître un raisin mûr ?
« En combinant l’observation de faits physiques avec la dégustation. Sur le plan physique la rafle aoûte et le raisin se détache facilement. Les pépins se colorent aussi en brun. En pressant le raisin, la couleur rouge apparaît. Sur le plan gustatif l’acidité marque la verdeur. Le pépin qui colle à la pulpe recommande d’attendre, tout comme l’amertume du pépin ou celle de la peau. Le fin du fin est un pépin qui croustille ou prend un goût de noisette, un arôme qui éclate, une pellicule qui se mâche tendrement tout en laissant la saveur passer par-dessus son tannin venir s’étirer en finale. Cela ressemble à une conduite de la dégustation harmonieuse et non pas hachée. Cette luxueuse nuance n’est pas encore très répandue cette semaine. Elle ne le sera peut-être jamais vue le millésime. Enfin, l’exercice comporte des limites : les raisins présents ne sont pas des raisins de table, mais de cuve.
Le caractère automatique entre la qualité de dégustation du raisin et la qualité du futur vin est à relativiser. »
L’auteur de ces lignes, JM Quarin va plus loin puisqu’il a passé trois jours à mâcher du merlot, du cabernet franc, du petit verdot, du cabernet sauvignon…
Il a organisé un stage de dégustation de raisins avec des lecteurs, désireux d’en savoir un peu plus sur l’anticipation de la qualité dans le goût du vin, les 22, 23 et 24 septembre derniers.
Il confirme d’abord mon observation initiale :
« La dégustation du raisin s’inscrit dans les changements profonds qui ont fait basculer l’œnologie d’une approche curative à une perspective plus préventive. Jamais autant que par le passé, tout au moins un passé récent, le vin, son goût n’ont été autant liés à ceux qui ont la responsabilité de son élaboration. Dis-moi comment tu goûtes et je te dirai quel vin tu fais sonne de plus en plus juste.
Dégustation vous avez dit dégustation ?
JM Quarin tente de baliser l’exercice :
« Pourtant, comme toute appréciation, la dégustation du raisin conserve une dimension subjective. Non pas que l’on ne puisse pas s’entendre à son sujet, mais plutôt que les personnes qui disent la pratiquer soumettent ses résultats à des objectifs à atteindre.
Par exemple, un tel peut se féliciter de voir les raisins de 2014 se flétrir quand un autre s’en inquiète.
- Il est intéressant, semble-t-il, d’observer que celui qui s’en réjouit baigne dans la culture rive droite et celle du merlot. Pour lui, la note confite naissante sent bon la maturité, la diminution des angles tanniques et le plaisir quasi immédiat.
- Au contraire, celui qui s’en inquiète se méfie de l’odeur de la prune. Elle peut virer très vite à celle du pruneau, en particulier avec le merlot. Ce personnage possède une culture rive gauche, région du cabernet sauvignon, du frais, de l’éclat, du tannin raisonnablement présent qui se fondra avec le temps. Il a peur du pruneau. Il voit dans cette trace aromatique une pré-oxydation mortelle et l’impossibilité pour le vin d’atteindre un bouquet de vieillissement enchanteur dans le futur.
- Le personnage de la rive droite opposera à celui de la rive gauche que des notions de frais et d’éclat à celle de verdeur, la frontière reste ténue ; que la méthoxypyrazine marqueurs de l’odeur du poivron vert n’a jamais produit de corps onctueux, profond et de finale complexe.
OK. Un partout, la balle au centre.
« Donc, déguster du raisin revient surtout à éviter d’encuver des raisins insuffisamment mûrs dont l’acidité et les saveurs végétales agacent les papilles et diminuent l’ampleur du corps. »
La science :
« La mesure de l’acide malique dans le jus des prélèvements de raisins que l’on presse, donne en moyenne, un bon indicateur de l’état de la maturité. A moins de deux grammes par litre, la science (dont je regrette que pour le vin elle soit le seul vecteur de connaissance) indique que le raisin serait mûr. »
Et pourtant :
« Un cru célèbre de la rive gauche vient de choisir de vendanger ses merlots à une dose à peine au-dessus. Il faut croire que ces personnes croient à des choses auxquelles celles qui choisissent de vendanger à l’époque tardive où les glands tombent des chênes ne croient pas ! »
Alors, alors…
« La sanction dans le goût du vin se mesure à peu près sur l’échelle suivante :
- Plus le raisin est vendangé mûr mais encore frais, plus l’appréciation en primeurs est rendue difficile. Tout simplement, les vins manquent de temps pour se développer et se mettre en place.
- Au contraire, plus la vendange est tardive au risque de perdre de l'éclat dans la saveur, plus l’appréciation en primeurs est facilitée par la douceur tactile inhérente. Lors du vieillissement en bouteille, dimension essentielle qui devrait intéresser plus que la note en primeurs, la tendance serait plutôt contraire : la belle fraîcheur deviendrait mature et se patinerait tandis que le vin, fort hédoniste jeune ne tiendrait pas ses promesses.
Le bon geste, la bonne attitude selon JM Quarin :
« Dans ce contexte, on pourrait postuler que le bon geste, la bonne attitude se situeraient du côté de celui qui n’a pas un immédiat besoin du marché ou d’un nouveau classement ; en clair, le groupe restreint des premiers crus historiques. Leur reconnaissance internationale est si forte, qu’ils peuvent s’alléger plus que d’autres de la pression d’une obligation de résultats immédiats. Il existe donc de vrais chefs de cultures, écoutés, respectés et observateurs puis d’autres malheureusement mis au service d’une recette plus commerciale. »
Conclusion personnelle : il va falloir que je m’inscrive à un stage de décryptage de la langue bordelaise…