Tout s’achète et tout se vend tout, ou presque, sur la Toile, c’est pratique, le cul sur sa chaise, face à son écran, en quelques clics l’affaire est bouclée. Pour les billets de train ou d’avion pas de problème de livraison, notre imprimante ou même notre smartphone s’en chargent.
Le succès d’Amazon avec les livres (j’achète les miens en librairie) tient à la rapidité mais aussi à la livraison postale d’un produit léger. La boîte aux lettres est à la bonne dimension alors que pour un produit pondéreux comme le vin il faut être présent chez soi pour la livraison. C’est un véritable goulot d’étranglement, si je puis dire, la logistique du dernier kilomètre en ville avec les problèmes de stationnement, de disponibilité du client à être chez lui pendant une large plage horaire, le coût, sont des freins à l’essor de ce type de vente.
Alors, lorsque la vieille dame permanentée, toujours aussi poussive, parle de boom de la vente de vin en ligne link, elle ne voit vraiment pas plus loin que le bout de son nez confondant une simple translation de la prise de commande via le Net et une véritable révolution. La part de marché du Net, certes conséquente, n’a rien d’extraordinaire, d’autant plus que les plus gros sites de ventes sont aussi présents physiquement avec des magasins ou sont des généralistes qui ont ajouté le vin à leur offre Ventes Privées et Cdiscount bâtis sur le modèle GD. Enfin, cette même GD emboîte la tendance et ouvre des sites de vente via Internet, c’est le cas de système U.
En clair, l’Internet ne s’avère qu’un nouveau canal de vente pour le vin qui, en première analyse, ne semble pas avoir contribué, sur le marché domestique, à créer de nouveaux consommateurs, ou de façon très marginale, et à étendre la part de marché du vin. Une étude sérieuse serait la bienvenue pour donner des indications aux vignerons et aux négociants afin qu’ils puissent mieux orienter leur commerce.
Pour l’heure nous vivons dans une forme d’incantation où ceux qui vivent ou espèrent vivre sur le dos des producteurs de vin surfent sur l’affirmation que le Net est un eldorado pour eux.
Sans faire de jeu de mots : il ne s’agit là que d’un gros tuyau dans lesquels il est facile de faire circuler de l’info à destination de chalands mondiaux. C’est la force de l’Internet : sa mondialisation, sa fluidité, son instantanéité, permettant d’aller draguer dans des eaux où le marché se développe, s’étend. Essentiellement hors de nos frontières.
Mais le petit monde de la Toile du vin est franchouillard, ne s’intéresse qu’à une petite partie de son marché domestique, celui des mateurs tout aussi peu poussif que l’ensemble. Le jeu consiste à déshabiller Paul pour habiller Jacques sans le plus petit effet sur l’extension du domaine du vin. Tout le monde broute dans le même pré, c’est de la surpâture où les conseilleurs se bousculent auprès d’une poignée de consommateurs dit amateurs pour les orienter vers leurs clients. Les critiques marnent pour les foire aux vins, organisent des salons, sont en cheville avec des sites de vente.
Le Net, en France, n’a pas généré d’approche nouvelle du consommateur, buveur de vin ou non buveur, nos chers blogueurs ou adeptes de Face de Bouc ne s’adressent qu’à leurs paroissiens, ça suffit à leur bonheur mais ça ne fait pas celui des vignerons ou des négociants en quête de nouveaux consommateurs. Cet entre soi permet de se réconforter, de produire des discours conformistes ou soi-disant décoiffant sur les nouveaux marronniers du Net : les vins natures par exemple qui sont sans doute ceux qui créent le plus de nouveaux consommateurs.
Les agités du Net proclament « j’aime le vin ! » mais j’ai une certaine inclinaison à penser que c’est d’abord pour leur pomme et non pour le profit de ceux qui le font ce vin. Je m’explique : le Net a-t-il créé de la valeur pour le vigneron ? En clair, a-t-il permis au vigneron de mieux valoriser sa production ? Pour certains oui sans doute en leur permettant d’accéder d’une manière plus aisée et plus rapide au marché, mais pour la grande majorité la tendance est à l’uniformisation et au tassement des prix quel que soient les réseaux de distribution. Le surfeur du net sait faire marcher sa calculette comparative.
Bref, lisez-moi bien, je ne suis pas en train d’écrire que le Net n’apporte rien de neuf au marché du vin, bien au contraire je suis même persuadé que c’est un canal extraordinaire de diffusion mais à la condition de sortir de notre petit ronron bien de chez nous, d’utiliser la force du Net en investissant sur le long terme, prioritairement sur les marchés en croissance, c’est-à-dire en semant du contenu solide, original, pas de la communication formatée, des discours éculés, usés jusqu’à la corde. L’imagination n’est vraiment pas au pouvoir dans notre étroit marigot du vin !
La presse du vin qui ne vit plus depuis longtemps, et plus encore que la généraliste, de son lectorat, grappille l’intérêt des amateurs en leur infligeant des sujets dont l’intérêt ne dépasse guère la frontière de la recherche d’annonceurs. Je me demande d’ailleurs pourquoi des gens continuent de raquer pour un contenu aussi pauvre.
Prenons le cas de la RVF, qui adore les notes et les classements, qui nous fait un inestimable cadeau en nous gratifiant d’un article sur les meilleurs sites de vente par internet mais omet, pour des raisons compréhensibles, de faire référence à château-on-line site historique qui n’a jamais été rentable et qui est tombé entre les mains des petits prédateurs de 1855.
Je cite :
« « Le boom de la vente de vin en ligne n’est plus un mythe : ce marché est incontournable. Dans le monde, 5 % des ventes de vin se font en ligne, selon l’étude e-Performance Barometer 2013.
Et cette tendance est encore plus marquée en France. Dans l’Hexagone, la vente de vin en ligne représentera un chiffre d’affaires de près de 900 millions d’euros en 2014, soit 8 à 10 % de l’ensemble des ventes nationales de vin.
Ce marché devenu terriblement concurrentiel réunit plus de 350 sites français d’e-commerce de vin. La frontière initiale entre les "pure players", uniquement sur le web, et les "click and mortar", également présents dans le "monde réel" avec des magasins, tend à s’effacer. En revanche, différents métiers s’affirment et redessinent le paysage du vin sur la Toile. »
Tous ensemble, têtes baissées, c’est la ruée dans l’océan rouge de la vente du vin sur la Toile, on baptise allègrement start-up des boutiques créées par de jeunes gens qui se contentent de faire financer leur business par des braves acheteurs qui payent d’avance des box qui ne cassent pas 3 pattes à un canard et qui, à l’instar de 1855, lèvent des fonds pour assurer disent-ils leur fabuleuse croissance. Moi je veux bien tout ce que l’on veut mais je ne suis pas convaincu, ni de la novation, ni du modèle économique. Je ne mettrai jamais un rond dans ce genre d’affaires, non par peur du risque mais parce que j’estime qu’elles n’apportent pas un + aux vignerons qui ont bien plus d’intérêt à investir sur le net, seul ou groupés, pour trouver des marchés. Sous les bonnes intentions des promoteurs se planquent un « tout pour notre gueule » qui n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis.
Pour autant je le répète, je ne suis pas en train d’écrire que la vente en ligne de vin n’a pas d’avenir mais je demande d’analyser son développement sous un angle économique et non pas, comme ce fut le cas la semaine passée, sous la forme de « oh que c’est beau et bon de vendre du vin sur le Net, venez, venez, braves vignerons, négociants modernes, nous sommes là pour vous conseiller, vous guider, pour notre plus grand profit… »
Je force à peine le trait, la conférence de presse Figaro-Vin – Sowine qui a mis en transe le petit monde des blogueurs, des facedebookeurs, des twitteurs, m’a laissé sans voix.
Qu’un site tel que Figaro-vin link fasse sa promotion pour séduire les annonceurs comme nous l’avait seriné Etienne Mougeote lors de sa création ou qu’une agence de communication comme Sowine link fasse la sienne pour séduire ses clients potentiels, rien de plus normal, mais quant à s’extasier sur la merveilleuse saga du vin sur le Net au travers d’un sympathique sondage il y a un pas que je ne franchirai pas.
Si certains blogueurs ou adeptes de face de Bouc et de twitter se contentent de n’être que des haut-parleurs, à très bas bruit d’ailleurs, de ce que leur donne en pâture des communicants, leur crédibilité ne dépassera guère celle des bateleurs de foire exposition vantant les derniers avantages du fil à couper le beurre.
Réflexion de vieux ronchon me rétorquera-t-on !
J’assume pleinement ce statut dans la mesure où mon intérêt pour le vin ne se borne pas à une passion mais est lié à ce qu’il représente pour un vieux pays comme le nôtre si enclin au défaitisme : l’avenir. Ma préoccupation est essentiellement tournée vers ceux qui font, ceux qui, au fin fond de leur terroir, créent de la valeur, la fixent. Celles et ceux qui disent être en mesure de leur vendre des services doivent intégrer que ceux-ci doivent générer de la valeur et non pas qu’ils se contentent de capter celle-ci sur des marges déjà pas très épaisses.
Depuis 10 ans que je poste sur le Net je n’ai jamais eu l’occasion de saluer en France une success story dans l’Internet du vin et je le regrette… Mais patience et longueur de temps peut-être vivrais-je assez vieux pour voir s’éclore une vraie start-up du vin mais ce ne sera pas, j’en suis certain, un petit ballon dégonflé…