« Et si ma tante en avait ce serait mon oncle, et si mon oncle en était ce serait ma tante. » Pierre Dac
« Et si l'administration militaire était bien faite, il n'y aurait pas de soldat inconnu. » Louis Jouvet
« Et si tout n’était qu’illusion et que rien n’existait ? Dans ce cas, j’aurais vraiment payé mon tapis beaucoup trop cher. » Woody Allen
Mon « et si » à moi est pure spéculation, aussi vaine qu’inutile car, comme vous le savez, Avec des si on mettrait Paris en bouteille et la bouteille ça me connaît.
Trêve de spéculation à la con, en fait je saute sur l’occasion de la récolte des noix, que l’on peut consommer fraîches, pour ressortir de derrière les fagots une bonne vieille expression : « à la noix » qui désigne une chose sans valeur ou une quantité minime.
Pas si vieille que ça pourtant l'expression puisqu’elle ne serait apparue qu'à la fin du XIXe.
« Ah ! Ne nous en faites pas un plat avec 70. Tu parles d'une guerre à la noix. Ils se battaient une journée tous les mois et ils croyaient avoir tout bouffé. » Roland Dorgelès - Les croix de bois
Afin d’éclairer votre lanterne, pas à l’huile de noix (voir plus loin), permettez-moi de distinguer entre noix et noix.
- Tout d’abord en argot « Les noix » du côté masculin désignent les bonbons et pour le féminin les 2 composantes du popotin.
- Ensuite le veau (ne pas confondre avec Français) est plein de noix :
La noix muscle interne de la cuisse, très tendre et le grain de sa chair est très fin. La noix de veau offre de belles tranches et des escalopes à poêler.
La noix pâtissière, située sur le devant de la cuisse, est un morceau très tendre également mais ses escalopes sont plus petites que celles prises dans la noix. La noix pâtissière fut longtemps réservée aux pâtissiers qui la pilaient et en faisaient des quenelles pour leurs vol-au-vent et timbales. La noix pâtissière offre les meilleurs rôtis de veau.
La sous-noix, muscle postérieur de la cuisse qui possède un grain de chair un peu plus gros. Elle est aussi découpée en escalopes. Pour la rôtir ou la braiser, il est préférable de la faire barder.
- Enfin, bien sûr, il y a la noix tout court, celle de Grenoble, le premier fruit à avoir obtenu une AOC le 17 juin 1938 et reconnu AOP en 1996, et celle du Périgord, AOC depuis 2002.
Pour la première, seules 3 variétés locales sont reconnues : la franquette, la plus ancienne créée en 1784, la mayette et la parisienne, développées il y a plus d'un siècle. Son terroir : l'Isère ainsi qu'une partie de la Drôme et de la Savoie. Les zones de plantations les plus denses se trouvent dans la basse vallée du Grésivaudan en aval de Grenoble entre le Voironnais et le Royans, au pied du Vercors.
Pour la seconde, le Sarladais se spécialisait dans le cerneau avec une variété à coque tendre, la grandjean alors que le Dauphiné exportait des noix en coques. En 1950, les producteurs du Périgord se mobilisaient pour créer, suivant l'exemple grenoblois, de nouvelles noyeraies à partir de variétés traditionnelles ainsi la franquette, originaire du Dauphiné y fut introduite. Autres variétés corne et marbot. Le terroir est réparti entre la Dordogne, le Lot, la Corrèze et la Charente.
Un peu d’histoire :
« On retrouve la noix de Grenoble sur le site archéologique du lac de Paladru en Isère et la noix du Périgord dans les habitations de l'homme de Cro-Magnon et à l'époque azilienne dans un gisement de Peyrat à côté de Terrasson en Dordogne. »
Mais c’est à ce stade où l’expression « à la noix », sans valeur, est démentie par l’histoire :
En effet la valeur des noix était telle qu’au Xe siècle, « les paysans acquittaient leurs dettes en setiers de noix. En Périgord, au XIIIe siècle, les baux étaient versés en huile de noix à l'abbaye cistercienne du Dalon. L'huile de noix était considérée comme un bien aussi précieux que l'or.
L'huile de noix contribua tout d'abord à la fortune de la région. Son utilisation multiple : l’éclairage aussi bien des plus humbles masures que des plus majestueuses cathédrales. Elle faisait le bonheur des peintres ou celui des belles qui se savonnaient le corps au savon mou. En 1730, pour les trois-quarts des paysans de la France (à part au Sud-Est où poussaient des oliviers), il n'y a que le noyer qui permettait d'obtenir de l'huile et ils n'utilisaient que celle-ci pour la cuisine. «L'huile de noix donne l'apparence de bouillon à l'eau chaude qui trempe la soupe» disait-on à l'époque.
Dès le XVIIe siècle, le commerce de l'huile de noix se développe, via les villes de Bordeaux ou Grenoble, vers la Hollande, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Sur la Dordogne, le commerce est intense. Les gabariers transportent non seulement l'huile mais aussi les grumes de noyers et les noix, du port fluvial de Souillac jusqu'à Libourne, donnant ainsi son nom à l'un des quais «le port des noyers».
Donc, l’expression « à la noix » sans valeur, n’a rien à voir avec la valeur des noix et, selon Émile Chautard, dans « la vie étrange de l'argot », cette expression pourrait être une déformation de « alénois » qu'on trouvait dans l'expression « cresson alénois », qui désignait une variété de cresson amer et piquant employé pour relever les salades. Cette déformation aurait donné naissance à la locution « salade à la noix » ou salade très âcre, puis à la noix aurait désigné une chose mauvaise, au figuré.
Affaire classée, je pourrais en rester là mais, dans le cadre de ma mission culturelle, comment pourrais-je passer sous silence « le dénoisillage » près du cantou, les longues veillées passées à casser les noix et extraire le cerneau, ponctuées de chants et proverbes.
« Alors nous commencions à dénoisiller. Il y avait le « crocaïre » (le casseur). Il fallait prendre une poignée de noix, on les plaçait comme il fallait, et on frappait sans trop les écraser, pour ne pas abîmer les cerneaux. Il y avait un casseur pour 9 ou 10 dénoisilleurs. Ceux qui étaient près du casseur, nous commencions à observer, car il fallait frapper les noix sans trop les écraser. Ce n'était pas facile. » link
Et puis, du côté des chineurs, des écumeurs de brocante, je ne puis passer sous silence le bois de noyer dont on faisait les buffets Louis-Philipe ou les armoires provençales : lire dans la REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE de mars 1953 link
Enfin pour les amateurs de chiffres des chiffres :
- Pour la noix de Grenoble link
- La noix de Grenoble, un marché porteur link
- Pour la noix du Périgord link
Et puis encore pour les amateurs de Vin de Noix :
« Qui n’a pas dégusté un jour le vin de noix de tante Jeanne ou celui de mémé Catinou ? C’est par excellence l’apéritif traditionnel de campagne. Dans les régions du Sud-Ouest, on le rebaptisait même “porto”. Mais qu’il était bon ce pseudo-porto fait avec les noix du verger, le vin de la vigne – parfois de la piquette ! – et la gnôle du grand-oncle bouilleur de cru. Certes, c’était le temps où la France était paysanne et vivait beaucoup en autarcie. Mais pourquoi abandonner le meilleur de nos traditions ? Préparé dans les règles de l’art et avec des ingrédients de qualité, ce vin de noix vaudra tous les apéritifs du commerce. » link
Et puis pour finir une petite leçon de l’origine par la revendication d’appellation d’origine :
« Les noix furent toujours présentes dans le département de l'Isère mais de nombreuses épidémies de phylloxera se déroulant au cours du XVIIIe siècle permirent à ce fruit à coque de remplacer peu à peu les vergers de la région voisine de Grenoble. Ce fruit acquit vite sa renommée et à la fin de XIXe siècle, 80 % des 8 500 t produites chaque année était exporté vers les États-Unis qui représentaient le principal débouché pour la noix dauphinoise.
Au début du XXe siècle, un scandale éclata dans le milieu de la nuciculture dauphinoise. Certains négociants peu scrupuleux se permirent de mélanger des noix mal triées et originaires de l'étranger avec des noix locales afin de les exporter outre-Atlantique.
La réaction des producteurs isérois fut rapide du fait qu'ils étaient déjà organisés en groupements professionnels afin d'écarter les tentatives de dumping et tenir les cours du produit. Dès 1908, s'appuyant sur la loi du 1er août 1905 qui sanctionnait les fraudes et falsifications en matière de produits, ils créèrent à Saint-Quentin-sur-Isère un premier syndicat professionnel de défense de l’origine.
Dans les années 1920, bien que tous les nuciculteurs de la région fussent d'accord sur le fait d'obtenir une reconnaissance, de vifs débats eurent lieu pour savoir si on devait l'appeler « Noix de Grenoble » ou « Noix de Tullins ». Tullins est le centre historique de la noyeraie mais le nom de noix de Grenoble fut jugé plus vendeur pour l'étranger. De plus, à cette même époque, les élus des villes de Morette, La Rivière, Tullins et Vinay exigèrent une délimitation géographique claire de l’aire de production de la noix dauphinoise. Celle-ci fut farouchement discutée mais par décret la noix de Grenoble fut le premier fruit à avoir obtenu une AOC le 17 juin 1938. » Wikipédia
Si vous êtes allés jusqu’au terme de cette chronique à la noix en l’ayant lue et ouvert tous les liens je vous tire mon chapeau car vraiment j’ai chargé à mort ma « coque de noix » (1)
(1) Annexe utilisée par les marins pour gagner un navire mouillé au large, actuellement employé pour désigner un petit bateau.