Le bon peuple va assister au grand défilé des candidats à l’Elysée dans les travées du salon de l’Agriculture, tâter le cul des vaches, licher quelques nectars, engloutir des bouts de fromage, serrer des pognes, essuyer des horions, brosser dans le sens du poil les dirigeant (e)s, prononcer quelques phrases définitives, faire des images pour les réseaux sociaux, vont tenir lieu de politique agricole.
Faut-il le regretter ou s’en féliciter ?
Au XXI siècle c’est quoi l’agriculture dans notre vieux pays ?
Une arme stratégique dans un monde mondialisée, une simple productrice de minerai pour l’agro-alimentaire, un maillon faible, un pilier essentiel de notre indépendance alimentaire ?
Faut-il faire des choix entre une agriculture productive et une agriculture plus verte ?
Le tout dans le cadre d’une nouvelle PAC que certains qualifient de déclinistes. «Pour une PAC créatrice de valeur dans l’ensemble des filières et des territoires». La tribune de 164 parlementaires ICI
Pourquoi les candidats à la Présidentielle auraient-ils besoin de nous exposer leur programme agricole alors que le vrai problème pour les citoyens est de définir une politique de l'économie alimentaire ?
Bref, moi qui suis un vieux cheval de retour, je rêve du temps où l’on débattait dans les colonnes du Monde avec René Dumont et François-Henri de Virieu sur « LA FIN D'UNE AGRICULTURE »
René Dumont, F.H de Virieu, les agronomes et juristes de la rue de Varenne sont « à peu près totalement ignorants des mécanismes élémentaires de l'économie moderne ».
Qui se souvient de F.H de Virieu
« LA FIN D'UNE AGRICULTURE » de F.-H. de Virieu
Par RENÉ DUMONT
Publié le 04 février 1967
En 1946, avec le Problème agricole français, je proposais un premier schéma général de modernisation, qui fit hurler certains, horrifiés par la seule perspective de la disparition progressive d'un million d'exploitations agricoles.
En 1948, voyant toute notre civilisation agricole esquisser déjà le plus rapide des tournants de son histoire, je me hâtais d'en prendre une série d'instantanés (1), tout en suggérant quelques possibilités locales d'évolution. Les événements ont été plus rapidement encore que les plus hardis d'entre nous ne le prévoyaient. Aussi, Serge Mallet a-t-il pu écrire les Paysans contre le passé (2) ; tandis que Gervais, Servolin et Weill ont annoncé Une France sans paysans (3). Situation que confirme bien le titre du livre de François-Henri de Virieu : la Fin d'une agriculture (4). Après Tibor Mende, Robert Guillain et quelques autres, il nous révèle qu'un journaliste, attaché par métier aux réalités quotidiennes, peut arriver à dominer son sujet en nous traçant une fort brillante esquisse.
Voici enfin le terrain déblayé ; et l'opinion paysanne comprend mieux chaque jour que, les ventes alimentaires étant moins extensibles que celles de produits industriels, mieux vaudrait être moins nombreux à partager un gâteau. Un juste hommage est rendu par Virieu au courage d'Edgard Pisani, qui sut se dresser contre les préjugés d'une droite et d'une gauche rivalisant souvent dans la défense des traditions, en s'appuyant sur les forces neuves du jeune syndicalisme agricole, et plus particulièrement du Centre national des jeunes agriculteurs. Mais, note-t-il, " Pisani a deux défauts graves : il ne sait pas s'entourer et parle pour parler, sans toujours se préoccuper de ce qu'il advient des idées qu'il lance. Ses analyses enchantent ceux qui cherchent à comprendre et qui aiment voir élever le débat. Elles déroutent ceux qui ont besoin d'agir ".
La Ve République a presque triplé les aides financières de la collectivité à l'agriculture en huit ans, mais la IVe République - fait généralement ignoré - avait fait mieux entre 1954 et 1958. Dans ces allocations, " la part du lion est allée aux dépenses de soutien des marchés agricoles ", ce qui, note l'auteur, " n'est pas précisément fait pour préparer l'agriculture française à la concurrence de pays qui... emploient toutes leurs ressources à moderniser leur équipement ".
Si les prix agricoles de 1966 procurent aux agriculteurs un pouvoir d'achat supérieur de 26 % à celui de 1958, l'auteur souligne avec raison que les revenus des autres groupes sociaux ont progressé plus vite. Cependant, quand il écrit qu' " un tel résultat n'avait jamais été obtenu dans le passé ", il s'avance trop, car cela signifierait que jamais le niveau de vie paysan ne s'est élevé, ce qui n'est pas exact. J'hésiterais un peu aussi à dire avec lui que les agronomes et juristes de la rue de Varenne sont " à peu près totalement ignorants des mécanismes élémentaires de l'économie moderne ". L'ignorance n'est pas universelle : il existe au moins le service d'études et de synthèse. Il était cependant bon de souligner cette ignorance, car elle est bien répandue.
" Il faudra longtemps pour améliorer la situation de l'Ouest surpeuplé ", nous dit fort justement l'auteur. Que dirait-il alors des deltas asiatiques surpeuplés où le travail des derniers arrivants a une productivité à peu près nulle ? C'est là un des problèmes les plus angoissants pour l'avenir de l'agriculture mondiale. L'auteur souligne que dans un monde " où les deux tiers des habitants ne mangent pas à leur faim " le jour n'est peut - être pas si éloigné où " l'intendance aura son mot à dire dans la grande politique ". Jusqu'à présent, chez nous, " les préoccupations alimentaires ne côtoyaient que rarement celles de la grandeur ", mais on peut imaginer qu'il sera " dans l'avenir aussi utile pour la France - et aussi prestigieux - d'être membre du club des cinq grands exportateurs de denrées alimentaires que du club nucléaire ". Et l'auteur rappelle que selon que la France choisira de nourrir la clientèle exigeante de l'Europe ou bien le " tiers monde " " elle ne devra pas pratiquer la même politique agricole ".
La thèse de fond de l'ouvrage est que " l'agriculture n'est qu'un simple maillon de la chaîne de fabrication de la nourriture des hommes ". Pour ne pas l'avoir compris, les équipes dirigeantes de la Ve République se sont bornées à avoir " une politique agricole alors que le vrai problème était de définir une politique de l'économie alimentaire ". Disciple des jeunes économistes de l'I.N.R.A. (Institut national de la recherche agronomique), Virieu annonce que " l'exploitation agricole - ou plutôt ce qui en restera - sera satellisée et dirigée de l'extérieur ".
Ce livre se lit comme un roman, au moins pour ceux qui s'intéressent à nos problèmes agricoles. Et il représente un gros effort d'objectivité. Il souligne les mérites des tentatives de modernisation, qui ont appris aux cultivateurs à " découvrir l'univers économique, admettre la nécessité de l'exode, s'insérer dans la nation et compter sur eux-mêmes " (tout comme les Chinois), au lieu de se faire offrir, selon l'expression de F. Bloch-Lainé, des " béquilles spéciales pour boiter à l'écart ". Mais il ajoute : " Ni les milliards ni l'avalanche des textes législatifs et réglementaires publiés en huit ans n'ont sérieusement infléchi le cours des choses... Faute d'une vision claire de l'avenir et d'une stratégie globale, le gouvernement s'est contenté d'accompagner les évolutions qu'il lui semblait déceler dans le monde paysan. Il ne les a ni hâtées ni freinées. "
Certaines propositions de Virieu vont au cœur des problèmes : " Qu'il s'agisse de loger ou de nourrir la population, le problème ne se pose pas différemment : il faut trouver le moyen de mettre les surfaces nécessaires hors marché. " Et certaines formules frappent très juste : " Prise isolément, l'entreprise agricole n'a pas plus d'importance qu'une fraiseuse dans un atelier de mécanique. " L'auteur nous rappelle opportunément que " chaque agriculteur des Pays-Bas exporte autant que dix agriculteurs français ".
Il nous propose pour terminer une esquisse de ce que pourrait être la structure de l'agriculture de demain et une série de choix qui s'imposent à la paysannerie. Mais nous n'allons pas les résumer ici, car nous conseillons plutôt à ceux qui s'intéressent à ces problèmes de lire cet excellent petit livre, peut-être un peu vite écrit, mais le temps presse.
(1) Voyages en France d'un agronome, 1951 et 1956.
(2) Le Seuil, 1962.
(3) Le Seuil, 1965.
(4) Bilan de la V République : la fin d'une agriculture (Calmann-Lévy, 1967, 286 p., 11,40 F). Deux autres bilans sont publiés simultanément dans la même collection : les Politiques, par Pierre Viansson-Ponté, et l'Économie au service du pouvoir, par Philippe Bauchard.
RENÉ DUMONT
Ça avait de la gueule alors que maintenant il nous faut nous contenter de Jean-Marie Séronie
Le brouillard agricole des candidats à l'Elysée
Présidentielles : Par quelle fenêtre les candidats regardent-ils l’agriculture ?
Les candidats à l’Élysée proposent-ils une vision claire pour l’avenir de l’agriculture, secteur stratégique pour notre sécurité alimentaire, notre santé et le changement climatique. Dans cette campagne très vaporeuse, qui n’imprime pas, qui ne débat pas encore, l’agriculture est elle aussi enfouie dans la brume ! À la veille du salon de l’agriculture, tentons de dissiper un peu ce brouillard.
La lecture des quelques lignes de programme agricole des candidats, l’écoute des premiers interviews et du seul grand oral ayant déjà eu lieu, révèlent surtout beaucoup de flou, voir une improvisation à quelques exceptions près et surtout un conformisme inquiétant.
Chaque candidat aborde la question agricole par une fenêtre, un angle global qui lui est propre.
Fabien Roussel nous parle vin, viande, fromage, un bon repas pour « La France des jours heureux ». L’alimentation est son cheval de bataille agricole, les cantines un fer de lance pour former nos enfants. Il promet dix milliards (plus que le budget de la Politique Agricole Commune) pour accompagner les collectivités à préparer des bons repas, pas chers, pour nos bambins. Le reste se résume à une loi de programmation et des réglementations sur les prix, la nationalisation d’une banque pour financer l’agriculture, l’arrêt de l’intervention du secteur privé dans l’assurance récolte …
Jean-Luc Mélenchon, raconte une nouvelle histoire, propose une « révolution agricole et alimentaire ». A ce jour, il a le programme le plus précis, le plus travaillé, chiffré dans une cohérence de rupture assez grande. On pourrait résumer en planification écologique, réglementation (« réforme agraire », prix plancher aux agriculteurs et plafond dans la distribution, zones tampons de 200 m …), et participation citoyenne (conférence annuelle par grand bassin pour fixer les prix …). Il souhaite aussi former 300 000 nouveaux paysans pendant le mandat. Il propose également de créer un organe de défaisance pour reprendre la dette des exploitations passant en bio.
Yannick Jadot propose lui, quelques mesures classiques écologiques mais n’exprime pas véritablement de vision forte : passer la PAC des aides à l’hectare vers des aides à l’actif, interdiction immédiate des produits phytosanitaires les plus médiatiquement controversés, sortie progressive de l’élevage industriel, taxer les engrais azotés, cantines publiques proposant uniquement du bio à la fin du mandat…
Anne Hidalgo défend l’agroécologie, n’exprimant pas non plus véritablement de vision à moyen terme (30% de bio en 2030, interdiction glyphosate et néonicotinoides dans les 100 jours). Elle affirme un soutien aux petites et moyennes exploitations ayant beaucoup de main d’œuvre. Elle propose de renforcer les régulations foncières, de rendre obligatoires les plans territoriaux alimentaires. Au plan institutionnel, elle propose de voter tous les ans un budget climat, biodiversité, décarbonation en même temps que la loi de finance.
Valérie Pécresse est la seule à porter des mesures économiques en proposant un alignement de mesures libérales assez classiques d’allégements fiscaux et sociaux. Elle exprime une grande méfiance sur les lois de régulation économique et commerciale. Elle affirme aussi vouloir simplifier et alléger les normes et les contraintes. Tout cela sans véritablement proposer d’ambition pour l’agriculture. Elle est la seule à s’exprimer clairement pour développer l’innovation, la recherche et en particulier la génétique.
Marine Le Pen et Eric Zemmour semblent réserver l’annonce d’un programme pour le salon. La candidate du Rassemblement Nationale revendique une politique « localiste et protectionniste », celui de Reconquête n’affiche pour l’instant pas grande idée agricole si ce n’est soutenir l’innovation et les robots pour limiter l’usage des produits phytosanitaires et l’emploi de saisonniers étrangers.
Certaines mesures font un quasiment consensus comme l’adoption des clauses miroir pour ne pas importer de denrées agricoles produites selon des techniques interdites chez nous. La sortie des produits phytosanitaire est un objectif quasi général, selon un timing et des modalités différentes. La non sur-transposition des normes est aussi plébiscitée de même que l’intérêt de la consommation de produits locaux. Le levier d’action que représentent les cantines est utilisé par presque tous les candidats avec une intensité variable.
L’importance de la régulation législative sur les relations commerciales, la protection du revenu des agriculteurs divisent fortement les candidats.
Quelques absences font aussi l’objet d’une remarquable unanimité : la notion d’entreprise agricole, la fonction de chef d’entreprise de l’agriculteur sont complètement absentes. La question du rôle de l’exportation est également soigneusement éludée.
Tous, finalement, traitent l’agriculture de la même manière depuis des décennies. Figés dans une sorte de statu quo immuable, ils semblent ne pas percevoir les dynamiques actuelles, l’importance des transitions en cours. Finalement seuls un ou deux candidats expriment une vision. On reste dans une typologie très classique et hautement prévisible de mesures proposées en fonction de leur passé politique.
Le salon de l’agriculture sera, espérons-le, l’occasion pour les candidats de donner plus de chair à leurs propositions. Le futur candidat Macron fera certainement quelques « propositions chocs», sous la commode ombrelle de la souveraineté alimentaire tout en essayant de surprendre par rapport à ses deux propositions phares de 2017 : la séparation vente-conseil des produits phytos et la loi égalim sur les prix agricoles dont les bilans sont jusqu’à présent assez mitigés.
Jean-Marie Séronie
Agroéconomiste indépendant
Secrétaire de la section économie et politique
de l’Académie d’Agriculture