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21 juillet 2017 5 21 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (4) Le préjugé de la maladresse

Tous les détails du parcours de la qualité sont calqués sur les expériences héritées d’un passé lointain ou récent car le vigneron ne peut courir le risque d’exposer sa récolte aux aléas de méthodes hasardeuses, improvisées dans l’instant. La « lecture » sur le terrain  de ce qui subsiste de ses œuvres passées conduit à présumer, malgré les inévitables lacunes de la documentation, la présence de ce que nous appelons la « continuité œnologique ». Qui parcourt aujourd’hui l’admirable cuverie du Clos Vougeot, saisit au premier coup d’œil, l’économie générale de cette construction hors du commun, voulue par les Cisterciens il y a presque mille ans ! Sa finalité nous est connue, tout comme nous comprenons sans effort le processus de la vinification qui y fut pratiqué. Nous pouvons donc évaluer son « contenu œnologique », suivant des critères qui sont encore les nôtres. Car en cette matière, rien de vraiment nouveau n’a jamais été inventé. Depuis la découverte primitive des ineffables délices de l’alcool, il s’agit toujours de transformer la « liqueur » sucrée d’un raisin de choix, en un vin fin, qui dure  assez pour être apprécié par les amateurs capables d’en payer le prix. Le docteur Guyot, au milieu du XIXe siècle, a frappé une formule qui qualifie très bien cette fixité fondamentale : « Le grand art de faire le bon vin est d’une simplicité primitive », a-t-il écrit dans son Art de faire le vin.

 

Les opérations proprement agronomiques ne semblent pas bénéficier de la même stabilité, car la viticulture est constamment bousculée depuis deux siècles par les progrès inouïs du machinisme agricole et des sciences biologiques. Mais les espèces les plus anciennes n’en détiennent pas moins la quasi-exclusivité de l’encépagement du vignoble fin et pratiquement aucune n’a jamais été ajouté à la courte liste de celles qui sont cultivées dans la plupart des vignobles de premier rang : pinot noir, syrah, cabernet, chardonnay, dominent toujours la scène viticole et les rates innovations proviennent en général de la redécouverte d’espèces négligées ou presque disparues.

 

Nous aurons l’occasion dans les pages qui suivent d’insister sur l’extraordinaire stabilité du calendrier des travaux de la vigne, qui est une preuve toujours renouvelée de la permanence de pratiques œnologiques très anciennes. Nous nous garderons par conséquent de laisser la moindre place dans notre itinéraire à travers le temps, à ce qu’André Malraux appelait le « préjugé de la maladresse » qui veut qu’éloigné de nous par les siècles, un détail du parcours de la qualité apparaisse rétrospectivement comme inexplicable, inadapté aux circonstances, voir ridiculement archaïque.

 

Les meilleurs ouvrages des grands agronomes du passé, sont jusque dans le plus infime détail, indemnes de cette critique rétrospective. L’œnologie romaine, par exemple, soigneusement décrite par les agronomes de l’Antiquité, apparaît parfaitement cohérente dans ses objectifs et ses méthodes. C’est la médiocrité des récipients vinaires en terre cuite, fragiles et encombrants, ajoutés à la volonté de conserver un « principe sucré », dans le « vin fait » qui explique sa disparition. Cette irrémédiable carence œnologique a joint ses effets à l’insoutenable concurrence du vin naturel, élaboré au nord de Lyon par des méthodes entièrement nouvelles, promises à un prodigieux avenir, qui a condamné le vin romain à une totale disparition, sans qu’il ait démérité, comme nous essaierons de le prouver plus loin. Le « préjugé de maladresse » n’est pas admissible non plus pour qualifier l’œnologie du Moyen Âge. Celle des moines du Clos Vougeot, ou d’Olivier de Serres ne reflète aucun des préjugés et des erreurs manifestes de la science de leur temps, car la rigueur absolue du parcours de la qualité leur imposait sa loi.

 

Nous disposons donc de preuves d’une « continuité œnologique » qui enjambe les siècles et permet de présenter une hypothèse raisonnée de l’histoire œnologique de la Bourgogne viticole. Elle plonge ses racines dans le plus lointain passé, car comme l’écrit  Collumelle, auteur latin du IIe siècle avant J.-C., « si les principes d’agriculture de nos jours s’écartent de ceux des siècles passés, on ne doit pas pour cela négliger la lecture des anciens ouvrages, car on y trouve beaucoup plus de choses à approuver qu’à rejeter ». Encore faut-il accepter de passer les témoignages du passé au crible de l’œnologie, avant de les intégrer à une vision restrictive de l’histoire du vignoble. Trop souvent les informations dont on fait état aujourd’hui, sont le résultat d’une sélection arbitraire qui privilégie certaines d’entre elles et en rejette d’autres qui ne trouvent pas leur place dans la synthèse rétrospective que la « théorie du progrès » impose à toute étude d’œnologie historique. Les faits admis autrefois comme significatifs de la qualité d’un genre sont ignorés par des études modernistes qui les jugent sans importance. Ainsi en est-il des témoignages sans nombre qui exaltaient la qualité des vins du Moyen âge et sont aujourd’hui, unanimement ou presque, disqualifiés sous le fallacieux prétexte qu’un vin de cette époque ne saurait-être « bon ».

 

Le choix arbitraire des causes de la qualité est, à notre époque, une des grandes faiblesses de la méthode pratiquée par les historiens du vignoble. N’a-t-on pas vu récemment des archéologues bourguignons ignorer le panégyrique d’Eumène, authentiquement daté du IVe siècle, scruté depuis au moins trois siècles par tus les œnologues spécialisés et par les latinistes les plus compétents, tel Camille Jullian, grand latiniste et historien de la Gaule ancienne, afin de récuser, en contradiction formelle antre ce texte très précis et documenté, la présence de vignes sur les coteaux qui surplombent la plaine beaunoise ? Il leur apparaît plus important en effet de prouver l’ignorance des fondateurs du vignoble bourguignon que d’admettre la coexistence « historique » en localisations contiguës d’un vignoble fin et d’une viticulture commune.

 

à suivre demain : les rythmes particuliers de l’œnologie historique

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20 juillet 2017 4 20 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (3) Le mythe d’un progrès récent

Une explication paresseuse de l’apparition de cette qualité supérieure voudrait qu’au fur et à mesure du temps qui passe ont ait observé que certains emplacement de la Côte bourguignonne étaient préférables à d’autre. On en conclut que le vin s’est peu à peu amélioré grâce à des apports œnologiques, dans une séquence d’évènements dont, à vrai dire, le déroulement n’apparaît jamais très clairement. La documentation existante n’offre aucune prise à cette interprétation, puisque l’historiographie du vignoble affirme au contraire l’excellence des vins de Bourgogne depuis les temps les plus reculés. La critique « moderniste » cherche donc à disqualifier ces témoignages constants et motivés, qu’elle traite avec condescendance et dont elle n’admet pas la valeur probante. En nous appuyant sur des preuves que nous espérons convaincantes, nous défendrons une thèse tout à fait opposée, dont l’un des mérites est de ne pas ridiculiser les témoignages irréfutables du passé, qui révéraient la qualité de certains crus et les mettaient au premier rang.

 

Le vignoble de la Côte bourguignonne fut créé au temps de Rome par les « clarissimes » Éduens, qui avaient jugé que la physionomie de son terroir correspondait exactement aux prescriptions d’une œnologie d’origine méditerranéenne, déjà très anciennement constituée à l’époque de la fondation. C’est par l’application des enseignements œnologiques venus de l’Orient ancien, que fut mis en place un parcours de la qualité nouveau, raffiné et efficace, qui a créé le « vin naturel » produit dans le quart nord-est de la Gaule. Dès le IVe siècle nous savons que des consommateurs de haute volée appréciaient les vins du Pagus Arebrignus (premier nom du vignoble bourguignon) car ils échappaient à la lourdeur des vins liquoreux, qui occupaient depuis des siècles le devant de la scène.

 

Cet immense labeur œnologique que fut le changement de « genre » du grand vin, fut démultiplié en des milliers de problèmes difficiles à résoudre qui durent être exécutés en un ordre rigoureux. Leur solution ne fut pas trouvée soudainement à l’aube de l’époque contemporaine, comme on veut nous le faire croire aujourd’hui. Jamais, en effet la réputation des grands vins de la Côte n’aurait pu s’établir durablement si leur élaboration avait été fautive dès le point de départ. Nous opposerons ce constat de bon sens à l’actuelle théorie du progrès œnologique, qui, sur ce point, nous paraît en décalage complet avec la réalité.

 

Nous ferons donc l’économie de l’énigme historique, de la date de naissance de la qualité. Beaucoup d’études consacrées au vignoble la supposent récente, ce qui obscurcit dans sa formulation moderniste un fait très simple : les critères du bon vin d’hier, sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui et le parcours de la qualité des « genres » bourguignons, inventé dès le IIe siècle après J.-C., est demeuré stable dans ses principes, sinon dans ses modalités, depuis les origines. Au lieu de mettre en doute le discernement et la compétence des vignerons d’autrefois, nous présumerons au contraire la solide cohérence du « projet œnologique bourguignon» à travers le temps.

 

Dès le premier siècle, en effet, le vigneron ne ménage pas sa peine pour implanter sa vigne sur un coteau pierreux et ensoleillé. Il néglige les terres limoneuses et humides, trop productives et, selon toute vraisemblance, cherche aussi à s’approprier le pinot, cépage originaire de la Gaule du nord-est, reconnu comme le vecteur unique du « bon vin de la Côte qui doit être récolté parfaitement mûr. Au cœur des rues tortueuses des « paroisses » de la Côte, on présumera sans risque d’être démenti, l’existence d’une « cuverie » convenablement aménagée, nécessaire à l’élaboration d‘un vin de qualité, même si toute trace de sa construction est aujourd’hui effacée. On supposera aussi que des soins attentifs, longuement décrits dans les ouvrages spécialisés, ont été mis en pratique : futaille bien rincée, soutirages soigneux pour éliminer les impuretés, cuves de taille suffisante pour vinifier une récolte entière, etc.  Le résultat de ce travail incessant et minutieux, est évidemment un « bon vin »… qui ne peut manquer de ressembler au nôtre.

 

Au-delà de quelques différences superficielles, c’est la parfaite « cohérence œnologique » de ces opérations successives, qui a donné au vin de Bourgogne sa réputation, malgré les terribles crises d’une longue histoire de plus de vingt siècles. Cette hypothèse solide est facilement opposable aux certitudes mal étayées d’un « progrès » observé dans d’autres domaines de la technique, mais inadapté au cas particulier d’une œnologie de haut vol, qui très tôt perfectionnée en Bourgogne, peut seule expliquer les succès passés et présents de ses grands crus.

 

à suivre demain : Le préjugé de la maladresse

 

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19 juillet 2017 3 19 /07 /juillet /2017 06:00
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (2) L’exclusion du vin commun

Le dédain absolu pour le vin commun  est le corollaire obligé de toute enquête rétrospective sur la qualité des vins d’autrefois, car l’œnologie, qui est la charte du vin de qualité, ne laisse  pas la moindre place à la description d’une viticulture dégradée par des méthodes fautives et des rendements excessifs. Cavoleau définit l’œnologie par l’étude des « procédés employés pour se procurer les vins les plus  recherchés ». Moins ils sont utilisés dans les diverses opérations qui mènent au « vin fait », moins ils nous intéressent.

 

La compétence œnologique, omniprésente dans le processus d’élaboration d’un vin de qualité, n’était nullement requise autrefois pour l’immense majorité de la production, car le « vin de boisson » était frustre et sans apprêt. Il s’agissait seulement d’obtenir à bas prix des vins de faible degré, souvent allongés d’eau. Comme le rappelle Olivier de Serres : « Aussi ce n’est en la cave du grossier paysan, quoique sis au pays de bon vignoble, que communément l’on trouve les plus précieux vins, mais chez les gens de bon esprit. » Le « gros rouge » qui a régné en maître sur la consommation populaire jusqu’au milieu du siècle dernier, ne peut, malgré une antériorité historique prouvée depuis la création du vignoble, être l’objet d’une investigation à finalité œnologique, car sa fabrication était abandonnée à la routine et aux mauvais usages et le prix dérisoire auquel il était vendu permettait de satisfaire tant bien que mal des besoins de la partie la plus pauvre de la population.

 

La présente étude, consacrée aux méthodes complexes d’élaboration du « bon vin » d’un vignoble célèbre, l’ignore donc totalement, d’autant plus que sa fabrication n’a jamais servi de modèle au vin fin. C’est au contraire ce dernier qui, au cours du temps, a provoqué l’apparition d’un progrès dans ses techniques relâchées et fautives. Son amélioration ardemment recherchée aujourd’hui dépend de l’emprunt des procédés raffinés, utilisés pour les meilleurs crus.

 

Du même coup le schéma « moderniste » qui attribue au XVIIe siècle le mérite d’inventions œnologiques décisives, doit être remis en question, car la plupart des procédés préconisés alors, existaient depuis longtemps. La diffusion d’instruments agricoles perfectionnés et de pressoirs efficaces et moins couteux, a pour l’essentiel bénéficié au seul vin commun. Grâce à eux la viticulture de masse s’est transformée par l’adoption d’améliorations agronomiques, seuls en mesure de faire face aux dépenses insoutenables de la grande viticulture.

 

L’antagonisme entre vin fin et vin commun, est la conséquence de deux conceptions opposées de l’œnologie. Les épisodes de cette lutte, qui a duré des siècles, sont rapportés par de nombreux documents. Ils prouvent la sollicitude inquiète des élites sociales, qui ont fait à appel à plusieurs reprises au pouvoir politique, afin d’éviter l’irrémédiable décadence, d’abord œnologique, puis finalement économique, des meilleurs crus, face aux incursions de la vigne commune. La législation des appellations d’origine, dirigée contre la fraude au cours du XXe siècle, fut le dernier avatar d’une longue suite  d’interventions du pouvoir, dont la manifestation la plus connue fut au Moyen Âge l’édit de Philippe le Hardi qui, en 1395, visait à l’éradication du « déloyal Gamay ».

 

Roger Dion, fort justement, attribue la capacité de pérenniser la bonne œnologie aux seuls privilégiés de la fortune : « L’un des enseignements que nous donne l’histoire de France est que, même sou les climats les plus favorables et sur les sols les plus heureusement doués, une renommée ne dure qu’autant que le maître de la vigne consent à faire les efforts et les frais qu’exige le maintien de la qualité du produit. »

 

La Bourgogne fait partie des cantons viticoles doués, certes, pour la viticulture fine, mais sa chance fut d’avoir été insérée dans une civilisation aristocratique, qui permettait aux « riches gens » de profiter des prestiges et des agréments des meilleurs crus. Cet attrait pour le bon vin a favorisé, en Bourgogne même, une économie viticole de haut niveau, que l’on croit bien à tort, liée principalement à d’insaisissables dispositions naturelles.

 

à suivre demain : Le mythe d’un progrès récent

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18 juillet 2017 2 18 /07 /juillet /2017 06:20
Le feuilleton de l’été : l’histoire œnologique de la côte bourguignonne (1) définition de l’œnologie historique

C’est un article De roche, de fruit et de vin signé par Jean Aubry le 14 juillet 2017 dans Le Devoir de la belle province… qui m’a décidé à publier ce feuilleton de l’été.

 

ICI

 

J’avoue humblement que j’ai du mal avec les argiles, calcaires, sables, graves, schistes, limons, granites, craies, porphyres et autres roches magmatiques et que je me perds dans les seconds violons que sont les cépages..

 

Tout ça me dépasse !

 

Et puis y’a Aubert de Villaine qui répond à la question d’Alice Feiring : « qu’est-ce qui fait la qualité première d’un emplacement ? », que « parmi toutes les variables, un emplacement privilégié est celui qui demeure le plus apte à s’affranchir au mieux des conditions météo ».

 

Là je rends mon tablier et je me tourne vers la somme de Louis Latour : Vin de Bourgogne Le parcours de la qualité 1er siècle – XIXe siècle Essai d’œnologie historique. Lire ICI  

 

  1. Définition de l’œnologie historique

 

Le mot d’œnologie est d’origine récente. Inconnu avant le XVIIe siècle, il désigne l’ensemble des savoirs nécessaires à la production du bon vin. C’est en ce sens que Béguillet l’emploie. Le livre le plus connu du célèbre agronome bourguignon, paru en 1770, est intitulé Œnologie ou Discours sur la meilleure méthode de cultiver la vigne, avec un Précis sur la manière de faire le vin. Deux versants de l’œnologie, l’un est donc viticole et concerne l’agronomie de la plante, l’autre traite de la fabrication du vin, à partir du raisin fraîchement coupé.

 

Quelques cinquante ans plus tard, Cavoleau, auteur estimé de L’Œnologie française inclut dans son champ d’investigation « la statistique de tous les vignobles et de toutes les boissons vineuses et spiritueuses de France ». « Mon ouvrage, écrit-il dans l’avant-propos, a pour but d’indiquer avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’ici : 1°) l’étendue superficielle des vignes dans chaque département. 2°) le produit moyen de l’hectare. 3°) les diverses qualités de vins et le prix qu’on leur donne le plus communément dans le commerce. 4°) leurs débouchés pour les ventes. 5°) Les procédés employés pour se procurer les vins les plus recherchés qu’ils ne le seraient s’ils étaient faits par les procédés ordinaires, etc. » Les dictionnaires du XXe siècle ont entériné cette emprise de l’œnologie sur toutes les opérations qui participent à l’élaboration du « vin fait ». C’est ainsi que le Grand Robert définit l’œnologie comme « l’étude des techniques d’élaboration et de conservation des vins, de la culture de la vigne et des aspects économiques et techniques de ces activités ».

 

L’œnologie englobe de toute évidence les aspects divers d’un monde du vin infiniment plus complexe que celui de toute autre activité agricole, puisqu’il s’agit à travers mille difficultés d’élaborer des vins fins, tous différents, issus de vignobles éparpillés sous des latitudes et des climats hétérogènes, à partir de cépages aussi nombreux que les grains de sable de l’océan » aimaient à dire les anciens.

 

Nous utiliserons le mot « œnologie » dans son acception la plus large. Car traiter le projet du parcours historique de la qualité dans la Côte bourguignonne, implique la prise en compte de tous les facteurs qui l’ont modifiée au cours des âges, dans le but d’expliquer ce qu’elle est aujourd’hui, par ce qu’elle fut hier.

 

De multiples influences se sont exercées sur elle, à toute époque d’une histoire de près de vingt siècles. Elles rendent mieux compte de la réalité que la pseudo « cause unique » révérée par les modernes, qui soumet l’apparition de la qualité aux insondables décrets du « milieu naturel ». c’est l’analyse de la naissance et du déploiement du vin fin à travers l’histoire, qui mettra à jour ces causalités diverses. C’est en les prenant toutes en compte, que nous approcherons le mieux possible une vérité historique qui restera cependant insaisissable à force de complexité.

 

La principale cause de la recherche d’un vin de qualité, est la constante volonté de l’élite sociale  de maintenir intacts, quoi qu’il en coûte, les principes de fabrication, formulés pour la première fois dans l’Orient ancien et introduit par Rome en Gaule médiane et septentrionale au moment de la conquête. Pour la Côte bourguignonne, comme pour tout autre vignoble, les multiples aspects de cette tension vers la qualité, lient les paramètres de l’œnologie à la vie sociale et économique, tout autant qu’aux cépages, aux diverses révolutions techniques et aux particularités géographiques de la localisation viticole.

 

L’étude des facteurs de la qualité oblige à rejeter l’hypothèse d’une solution de continuité, qui scinderait les sphères distinctes de l’œnologie qui sont d’une part la viticulture et d’autre part la vinification. En pratique, elles sont étroitement dépendantes l’une de l’autre, puisque la moindre erreur en un point quelconque de leur parcours respectif a pour conséquence de compromettre les efforts du vigneron ou du vinificateur. L’ambition commune qui les anime, est en effet la réussite d’un « bon vin » qui doit être non seulement « loyal et marchand », suivant l’expression consacrée, mais aussi d’une qualité supérieure. On ne peut donc restreindre le mot œnologie à la seule vinification et le « discours du vin », qu’il soit à dominante historique ou technique, ne devra négliger aucune des composantes qui expliquent son apparition.

 

Une surprenante survivance des usages anciens, a d’ailleurs laissé intacte cette conception synthétique de l’œnologie. Le vigneron qui cultive la vigne et fait son vin, demeure à notre époque le personnage principal de la scène viticole. Les plus fameux grands crus sont le fruit magnifique de la compétence de ce démiurge de la qualité, qui  en maîtrise en principe tous les aspects. La modernisation agricole qui oblige à la spécialisation et à la concentration des moyens techniques, est demeurée à ce jour sans effet sur les structures de production du vin fin. Le « flying winemaker » qui, dans la mythologie moderne, vole d’un vignoble à l’autre pour imposer les principes et la pratique de la  bonne œnologie, fait pendant au vigneron expérimenté qui, les pieds dans la glaise, assure la gloire des grands millésimes.

 

Certes, ce qu’on appelle aujourd’hui le « vin technologique » marque des points et de véritables « usines à vin » apparaissent un peu partout. Mais elles ont pour unique ambition de satisfaire une consommation commune, qui occupe traditionnellement la majorité des surfaces dévolues à la vigne. L’élévation du niveau de vie rend aujourd’hui le consommateur plus exigeant. Il se détourne de ces « vins ordinaires » au profit de « vins technologiques », certes produits en masse et à bas prix, mais qui ont l’immense mérite d’être indemnes des défauts que présentaient les vins communs du passé. Une telle modernisation, qui est de nature industrielle, ne modifie nullement le processus d’élaboration du grand vin, resté intact dans certains vignobles de Californie, tout comme dans les châteaux bordelais ou les « clos » bourguignons. En ces lieux privilégiés, rien ne menace la prééminence du vigneron qui gouverne l’alignement des ceps de sa vigne et les tonneaux de son cellier. La « tension œnologique » qui est au cœur de sa démarche n’a jamais pu se limiter à des réussites purement viticoles car la destinée finale de son cru dépend de la mise au point d’un vin de qualité supérieure. La tension vers la qualité demeure une entreprise « synthétique », dont on ne peut retrancher aucune composa te, car toutes contribuent au succès du « vin fait »

 

Quoi qu’en pensent les prophètes de mauvais augure, la qualité n’est nullement menacée par l’évolution des techniques les plus  récentes et l’icône de notre époque qu’est le « petit vigneron », demeure le concepteur et l’artisan de tout projet œnologique digne de ce nom. Ce constat vaut également pour le passé du vignoble fin. Nous récusons donc avec énergie l’idée, véhiculée un peu partout, qui caricature nos ancêtres vignerons en vinificateurs incompétents, tout juste capables de produire un bon petit vin, promis à la destruction par le vinaigre au bout de quelques semaines alors qu’ils sont admirés unanimement pour avoir été les prodigieux « inventeurs » des meilleurs terroirs viticoles. La dichotomie qui disjoint deux activités différentes, celle du vigneron qui taille la vigne et celle de l’œnologue qui élabore le vin ne nous semble pas fondée. Elle ne l’est pas plus à notre époque, qu’elle ne le fut autrefois car la liaison intime entre les divers éléments du « parcours de la qualité », révèle une cohérence œnologique qui est le fondement de la notoriété d’un vignoble.

 

Les vignerons capables autrefois de surmonter des difficultés d’élaboration d’un bon vin, étaient très peu nombreux. La Côte de Bourgogne fut l’un des plus notoires parmi les rares cantons de grande réputation où il fut produit en une quantité, qu’à l’époque, on jugeait considérable.

 

à suivre demain : L’exclusion du vin commun.

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17 juillet 2017 1 17 /07 /juillet /2017 06:00
«Il n'y a pas de civilisation française sans l'accession des étrangers ; c'est comme ça» Fernand Braudel

Dans son Introduction à l’Identité de la France, Fernand Braudel  écrit :

 

« Je le dis une fois pour toute : j’aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée, que Jules Michelet. Sans distinguer entre ses vertus et ses méfaits, entre ce que je préfère et ce que j’accepte moins facilement. Mais cette passion n’interviendra guère dans les pages de cet ouvrage. Je la tiendrai soigneusement à l’écart. Il se peut qu’elle ruse avec moi, qu’elle me  surprenne, aussi bien je la surveillerai-je de près. Et je signalerai, chemin faisant, mes faiblesses éventuelles. Car je tiens à parler de la France comme s’il s’agissait d’un autre pays, d’une autre patrie, d’une autre nation. « Regardez la France, disait Péguy, comme si on n’en était pas. » D’ailleurs, en évoluant, le métier d’historien nous condamne de plus en plus à la sécheresse, à l’exclusion du cœur. Sinon, l’histoire, qui se plaît trop au contact des autres sciences de l’homme, ne tendrait pas à devenir, comme elles, une science très imparfaite, mais une science. »

 

« … définir le passé, c’est situer les Français dans leur propre existence. « Il serait nécessaire, m’écrit un historien  de mes amis, de faire sortir notre histoire des murs – je devrais dire des remparts – où tant d’autres l’ont enfermée. »

 

« Alors qu’entendre par l’identité de la France ? Sinon une sorte de superlatif, sinon une problématique centrale, sinon une prise en main de la France par elle-même, sinon le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives, comme le dépôt imperceptible de sédiments marins a créé, à force de durer, les puissantes assises de la croûte terrestre ? En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Un processus, un combat contre soi-même, destiné à se perpétuer. S’il s’interrompait, tout s’écroulerait. Une nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s’opposer à autrui sans défaillance, de s’identifier au meilleur, à l’essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître u vu d’images de marque, de mots de passe connus des initiés ( que ceux-ci soient une élite, ou la masse entière du pays, ce qui n’est pas toujours le cas). Se reconnaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes… En outre, toute identité nationale implique, forcément, une certaine unité nationale, elle est comme le reflet, la transposition, la condition. »

 

 

 

L'identité française selon Fernand Braudel

 

En marge d'un colloque organisé par le Club Espaces 89, proche du Parti socialiste, l'historien Fernand Braudel avait défini pour "Le Monde", peu avant sa mort, en 1985, sa conception de la France.

 

« Je crois que le thème de l'identité française s'impose à tout le monde, qu'on soit de gauche, de droite ou du centre, de l'extrême gauche ou de l'extrême droite. C'est un problème qui se pose à tous les Français. D'ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l'histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu'elle accepte ou qu'elle n'accepte pas, qu'elle transforme ou auxquels elle se résigne. Mais, enfin, c'est une interrogation pour tout le monde.

 

II ne s'agit donc pas d'une identité de la France qui puisse être opposée à la droite ou à la gauche. Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu'on s'amuse avec l'identité.

 

Vous me demandez s'il est possible d'en donner une définition. Oui, à condition qu'elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. Pour moi, l'identité de la France est incompréhensible si on ne la replace pas dans la suite des événements de son passé, car le passé intervient dans le présent, le « brûle ».

 

C'est justement cet accord du temps présent avec le temps passé qui représenterait pour moi l'identité parfaite, laquelle n'existe pas. Le passé, c'est une série d'expériences, de réalités bien antérieures à vous et moi, mais qui existeront encore dans dix, vingt, trente ans ou même beaucoup plus tard. Le problème pratique de l'identité dans la vie actuelle, c'est donc l'accord ou le désaccord avec des réalités profondes, le fait d'être attentif, ou pas, à ces réalités profondes et d'avoir ou non une politique qui en tient compte, essaie de modifier ce qui est modifiable, de conserver ce qui doit l'être. C'est une réflexion attentive sur ce qui existe au préalable. Construire l'identité française au gré des fantasmes, des opinions politiques, ça je suis tout à fait contre.

 

Le premier point important, décisif, c'est l'unité de la France. Comme on dit au temps de la Révolution, la République est « une et indivisible ». Et on devrait dire : la France une et indivisible. Or, de plus en plus, on dit, en contradiction avec cette constatation profonde : la France est divisible. C'est un jeu de mots, mais qui me semble dangereux. Parce que la France, ce sont des France différentes qui ont été cousues ensemble. Michelet disait : c'est la France française, c'est-à-dire la France autour de Paris, qui a fini par s'imposer aux différentes France qui, aujourd'hui, constituent l'espace de l'Hexagone.

 

La France a dépensé le meilleur de ses forces vives à se constituer comme une unité ; elle est en cela comparable à toutes les autres nations du monde. L'oeuvre de la royauté française est une oeuvre de longue haleine pour incorporer à la France des provinces qui pouvaient pencher de notre côté mais avaient aussi des raisons de ne pas désirer être incorporées au royaume. Même la Lorraine en 1766 n'est pas contente de devenir française. Et que dire alors des pays de la France méridionale : ils ont été amenés dans le giron français par la force et ensuite par l'habitude.

 

II y a donc dans l'identité de la France ce besoin de concentration, de centralisation, contre lequel il est dangereux d'agir. Ce qui vous suggère que je ne vois pas la décentralisation d'un oeil tout à fait favorable. Je ne la crois d'ailleurs pas facile. Je crois que le pouvoir central est tel que, à chaque instant, il peut ramener les régions qui seraient trop égoïstes, trop soucieuses d'elles-mêmes, dans le sens de l'intérêt général. Mais c'est un gros problème.

 

La seconde chose que je peux vous indiquer, c'est que, dans sa vie économique, de façon curieuse, depuis la première modernité, la France n'a pas su réaliser sa prospérité économique d'ensemble. Elle est toujours en retard, pour son industrialisation, son commerce. Cela pose un problème d'ordre général. Et d'actualité, si cette tendance est toujours valable. Comme si, quel que soit le gouvernement, la France était rétive à une direction d'ordre étatique.

 

Or la seule raison que je vois qui soit une raison permanente est que l'encadrement capitaliste de la France a toujours été mauvais. Je ne fais pas l'éloge du capitalisme. Mais la France n'a jamais eu les hommes d'affaires qui auraient pu l'entraîner. Il y a un équipement au sommet, au point de vue capitaliste, qui ne me semble pas parfait. Nous ne sommes pas en Hollande, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon. Le capitalisme est avant tout, pour moi, une superstructure et cette superstructure ne réussit pas à discipliner le pays jusqu'à sa base. Tant mieux peut-être ou tant pis, je n'en sais rien. Mais l'inadéquation de la France à la vie économique du monde est un des traits de son identité.

 

Dernier trait : la France ne réussit pas au point de vue économique ; elle réussit au point de vue politique de façon limitée parce qu'elle triomphe, précisément, dans ses propres limites. Toutes ses sorties en dehors de l'Hexagone se sont terminées de façon malheureuse, mais il y a un triomphe permanent de la vie française, qui est un triomphe culturel, un rayonnement de civilisation.

 

L'identité de la France, c'est ce rayonnement plus ou moins brillant, plus ou moins justifié. Et ce rayonnement émane toujours de Paris. Il y a aussi une centralisation très ancienne de la culture française. Bien sûr, il existe bien d'autres conditions : triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d'un nombre considérable d'étrangers. Il n'y a pas de civilisation française sans l'accession des étrangers ; c'est comme ça.

 

Le gros problème dans le monde actuel est de savoir comment la société française réussira ou non à accepter ces tendances et à les défendre si nécessaire ; si vous n'avez pas, par exemple, une politique de rayonnement à l'égard de l'Europe et du monde entier, tant pis pour la culture française.

 

La langue française est exceptionnellement importante. La France, c'est la langue française. Dans la mesure où elle n'est plus prééminente, comme ce fut le cas aux XVIIIe et XIXe siècles, nous sommes dans une crise de la culture française. Avons-nous les moyens de remonter la pente ? Je n'en suis pas sûr, mais j'ai quelque espoir. L'empire colonial que nous avons perdu est resté fidèle à la langue française. C'est vrai aussi des pays de l'Est, de l'Amérique latine.

 

L'identité française relève-t-elle de nos fantasmes collectifs ? Il y a des fantasmes et il y a autre chose. Si j'ai raison dans ma vision de l'identité française, quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente de la culture, de la politique de la société française. J'en suis sûr. Cette réalité rayonnera ou ne rayonnera pas, mais elle est. Pour aller plus loin, je vous dirai que la France a devant elle des tâches qu'elle devrait considérer avec attention, avec enthousiasme. Elle est devenue toute petite, non parce que son génie s'est restreint, mais en raison de la vitesse des transports d'aujourd'hui. Dans la mesure où, devenue toute petite, elle cherche à s'étendre, à agripper les régions voisines, elle a un devoir : faire l'Europe.

 

Elle s'y emploie, mais l'Europe s'est accomplie à un niveau beaucoup trop haut. Ce qui compte, c'est de faire l'Europe des peuples et non pas celle des patries, des gouvernements ou des affaires. Et ce ne sera possible que par la générosité et la fraternité.

 

Cet entretien, publié dans les colonnes du monde les 24-25 mars 1985, a été réalisé par Michel Kajman.

 

« L’identité de la France » de Fernand Braudel par Yves Florenne

 

ICI 

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16 juillet 2017 7 16 /07 /juillet /2017 08:00
CHAP.19, temps suspendu, « Je suis du port. J'ai aimé les bateaux - dans mon enfance, les pointus des pêcheurs, les vieux cargos rouillés qui trafiquaient le vin rouge et le liège sanglant venu de l'autre côté de la Méditerranée » Le Clézio

Les noms des victimes et leurs âges ont été égrenés. Ils ont été accrochés sur un panneau en forme de cœur.

 

J’ai écouté.

 

Avant, Michèle Laroque, Michel Boujenah, Patrick Timsit, Line Renaud, Patrick Chesnais, Michel Legrand, Elsa Zylberstein, François Berléand, ont lu le texte écrit par l'écrivain niçois Jean-Marie Gustave Le Clezio, prix Nobel de littérature. Un hommage composé au lendemain de l'attentat du 14 juillet.

 

Le Clézio - À Nice, avec douleur et colère

 

Enfant de Nice, le Prix Nobel de littérature rendait, dans "Le Point", hommage à sa ville au lendemain de l'attentat du 14 juillet. Un texte lu ce vendredi.

 

Je suis né à Nice, j'y ai grandi. Il n'y a probablement aucun endroit au monde que je connaisse mieux. Chaque rue, chaque quartier de cette ville, chaque coin et recoin. Je sais où cela se trouve, j'y suis allé un jour ou l'autre, j'en connais le détail, le petit rien qui fait que c'est cela et rien d'autre. La promenade des Anglais, ça n'a pas été mon endroit préféré. Je ne suis pas de ce quartier, trop beau, trop luxueux à mon goût. Je suis du port. J'ai aimé les bateaux - dans mon enfance, les pointus des pêcheurs, les vieux cargos rouillés qui trafiquaient le vin rouge et le liège sanglant venu de l'autre côté de la Méditerranée, et bien sûr les ferrys de la Corse qui, outre les touristes et leurs autos, transportaient des vaches et des chevaux. La Prom' - comme on l'appelle à Nice avec affectation et affection -, c'est plutôt la plage, les filles qui déambulent deux par deux en minishort, les garçons en espadrilles, les pédalos, les buvettes avec leurs tables de ping-pong en sous-sol. Quand j'avais 17 ans, on y allait, mais comme ça, sans plus, sans y croire vraiment, pour jouer au touriste.

 

La Prom' avait une histoire, pourtant. Celle de ces fameux Anglais qui, au milieu du XIXe siècle, avaient été émus par la misère des Niçois - au temps du duché de Savoie - et avaient voulu leur venir en aide en échangeant chaque jour un panier de pain contre un panier de cailloux. Un miracle à l'anglaise, afin de ne pas ajouter à la charité l'humiliation. Les cailloux, ils avaient servi à la construction d'un chemin le long de la mer, la Promenade des Anglais.

 

L'identité de la Prom'

 

À Nice, après cela, devant la mer, il s'est passé des choses cruelles. Avant la Première Guerre mondiale, une jeune fille émigrée de Russie a vécu là ses premières émotions de la vie adulte, elle a rêvé de devenir peintre et écrivain, de vivre une vie exaltée, libre et lumineuse, et c'est là qu'elle est morte de la tuberculose à 23 ans. Elle s'appelait Marie Bashkirtseff. Sur la promenade, il y a toujours une stèle à l'ombre d'un pin, pour rappeler qu'elle venait y lire ou rêver devant la mer. À peu près à la même époque, Paul Valéry est venu habiter Nice, et Modigliani s'est promené sur la belle avenue libre de voitures - mais ils n'ont pas vu la petite Marie. Un peu plus loin, en allant vers l'est, une amie de ma grand-mère, ouvrière monteuse chez Charles Pathé, a habité dans une de ces petites maisons construites dans le rempart, que le producteur avait louées pour son équipe à l'époque où il pensait faire de cet endroit la nouvelle Santa Monica de Californie. L'amie de ma grand-mère se prénommait Gabrielle, chaque matin elle sortait de sa petite chambre pour aller piquer une tête dans la mer froide, sous le regard des mouettes. C'était l'époque où les grands acteurs américains venaient à Nice, l'époque de Rudolph Valentino et d'Isadora Duncan.

 

La Prom', quand j'ai commencé à y aller, n'était plus fréquentée par ces remarquables excentriques, et par beaucoup moins de millionnaires. Elle était plutôt le rendez-vous des retraites confortables qui se chauffaient aux reflets du soleil sur les balcons des immeubles modernes, en attendant la bataille de fleurs ou le défilé du carnaval. Certains jours, c'était la promenade des tempêtes, la mer démontée jetait des pierres sur les vitrines des cafés et sur la façade du Palais de la Méditerranée. Certains soirs d'été, un dissident nommé Fontan dissertait sur les nouvelles limites du monde selon les langues, et dessinait sur une carte du monde. Quand il devenait gênant, la police l'expulsait de l'autre côté de la frontière, mais il revenait toujours. Tout cela est ancien, mais c'est resté pour moi l'identité de cette partie de la ville, entre exotisme et naïveté, adolescence insolente et maturité résignée.

 

 En tuant ces innocents l'assassin a détruit, a sabré et meurtri ce qui nous attache : la vie ordinaire avec ses menus plaisirs.

 

Ce qui arrive à Nice, ce crime monstrueux, indescriptible, qui a frappé ce lieu et qui a tué tant de promeneurs innocents, de familles avec leurs enfants, un jour de fête, me touche doublement, parce que j'y suis allé souvent, autrefois, portant mes filles sur mes épaules pour qu'elles puissent voir le feu d'artifice sans être bousculées par la foule - et aussi, et surtout, parce qu'en tuant ces innocents l'assassin a détruit, a sabré et meurtri ce qui nous attache : la vie, non pas la pavane de luxe et de vanité telle qu'un esprit confus peut l'imaginer, mais la vie ordinaire, avec ses menus plaisirs, ses fêtes patronales, ses historiettes amoureuses sur la plage de galets, ses jeux d'enfants aux cris stridents, ses baladeurs à rollers ou ses petits vieux somnolant sur leurs chaises longues, ses autostoppeuses ébouriffées ou ses photographes de couchers de soleil. La tragédie entre ici, aveuglément, elle broie les corps et les rêves, elle tue les enfants qui ont encore dans les yeux les gerbes d'étincelles du bouquet final dans les nuages roses.

 

Que soit maudit l'assassin qui a ouvert cette blessure dans cette ville. Qu'a-t-il pensé, qu'a-t-il voulu au moment où son camion s'est lancé dans la foule, a broyé le corps des enfants dans les bras de leurs parents, qu'a-t-il entendu dans leurs cris avant le silence de la fin ? Que périsse le monde puisqu'il ne voulait plus y vivre, c'est ce qu'il a voulu. C'est ce que nous devons refuser. Cela sera difficile, peut-être impossible. Comment pouvons-nous écarter le voile du néant pour tenter de retrouver la vie ? Comment pourrai-je revoir le pin de Marie, le petit matin bleu de Gabrielle, comment refermer les bords de cette plaie ? La mémoire des innocents fauchés sur la Prom' ce soir du 14 juillet 2016 nous aidera peut-être, alors pour y croire nous devrons imaginer, comme les Japonais, leurs âmes flottant pour toujours dans le ciel au-dessus de la mer comme un vol de merveilleux papillons.

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16 juillet 2017 7 16 /07 /juillet /2017 06:00
Après l’avoinée de Macron à de Villiers « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le Chef de l’Etat, c’est moi »

Ce matin je vais vous parler de culottes : des culottes de peaux des généraux et de celle de Nelly Commergnat nouvelle députée de la fournée rose de 1981, bien évidemment pour elle il s’agit de son pantalon car pour les dames la culotte est un sous-vêtement.

 

La Grande Muette doit rester muette, du haut en bas, c’est la règle « on ne discute pas les décisions du chef » la troupe en sait quelque chose, elle qui a subi par exemple lors de la Grande Boucherie de 14-18 les ordres ineptes du Haut Commandement. Voir ou revoir les Sentiers de la Gloire de StanleyKUBRICK 

 

En France, c’est un fait peu mis en avant, comme aux USA, en Russie, en Chine, il existe un complexe militaro-industriel très puissant qui sait mettre les politiques sous pression lors des grandes orientations et les choix budgétaires.

 

Ce n’est pas être antimilitariste que de l’écrire ou nier le besoin de défense dans nos sociétés, bien au contraire c’est exprimer une opinion saine pour que les deniers publics soient utilisés avec efficacité.

 

La Direction du Budget tout comme la Cour des Comptes ne sont pas composées de dangereux insoumis, de pacifistes bêlants, mais de fonctionnaires et de magistrats qui savent mieux que d’autres que l’Etat-Major, en terme de gestion et d’utilisation de fonds publics n’est pas un modèle : programmes sous-évalués, gaspillage, entêtement, manque d’anticipation.

 

Notre nouveau Président a un avantage sur ces prédécesseurs : il connaît Bercy de l’Intérieur, c’est-à-dire maîtriser la vision grippe-sou des budgétaires pour contrebalancer les diktats du complexe militaro-industriel.

 

C’est sain et ce n’est pas baiser le Général de Villiers que de faire participer les Armées à l’effort d’assainissement budgétaire. La nouvelle Ministre des Armées (appellation nouvelle qui en dit long sur la conception de Macron : la Défense c’est lui pas le chef d’Etat-major des Armées) Florence Parly, qui a été Ministre du Budget, connaît bien le sujet.

 

Bref, j’approuve Macron lorsqu’il remonte les bretelles, passe une avoinée à de Villiers :

 

« Je considère pour ma part qu'il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends devant les concitoyens, devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire. »

 

Bien évidemment, il faut qu’il y ait débat sur le budget des Armées mais pas seulement entre experts, ceux-ci étant très majoritairement juge et partie.

 

« La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires. »

 

Georges Clemenceau

 

« Plus tard, une vieille culotte de peau entend dire que son genre […] aurait cinq galons »

 

Galtier-Boissière Jean Mon journal dans la drôle de paix 1947

 

François Mitterrand le 16 novembre 1983

 

« Je suis, par la constitution et par le vote des Français, le garant de l’indépendance nationale, et de l’intégrité du territoire, et je remplis la fonction de Chef des armées. J’ajoute que puisque notre stratégie repose sur la dissuasion, sur la détention d’une force atomique capable d’interdire à quiconque de songer à nous attaquer, toute une série de questions se pose sur ce que c’est que cette force et on risque de se perdre dans des explications techniques ou mécaniques.

 

Je vais vous dire tout de suite quelque chose de très clair. La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le Chef de l’Etat, c’est moi, car tout dépend de sa détermination. Le reste, ce sont des matériaux inertes, enfin, jusqu’à la décision... Jusqu’à la décision qui doit consister précisément à faire que l’on ne s’en serve pas. »

 

 

J’ai bien connu Nelly Commergnat lorsqu’elle est arrivée à l’Assemblée Nationale dans la fournée rose de 1981. Pour elle c’est une surprise car elle est là du fait de la nomination d’André Chandernagor, député de la Creuse, comme Ministre délégué auprès du ministre des relations extérieures, chargé des affaires européennes dans le gouvernement de Pierre Mauroy.

 

Elle siègera pendant les 5 années de la législature, en 1983 André Chandernagor est nommé premier président de la Cour des Comptes.

 

Blonde aux cheveux longs Nelly Commergnat n’est pas passée inaperçue, son arrivée a été spectaculaire « Mes tenues ne convenaient pas. Je mettais des chaussures rouges, il fallait des chaussures noires ! Comme je mettais beaucoup de bijoux, mes collèges me faisaient des réflexions. Je leur ai cloué le bec en leur disant que ce n’étaient pas eux qui les payaient ! » déclare-t-elle à la revue Schnock.

 

Elle n’avait pas sa langue dans sa poche Nelly, elle fait partie des 36 femmes élues (7,3%), de fortes personnalités : Gisèle Halimi, Yvette Roudy (nommée Ministre des Droits des femmes), Denise Cacheux

 

Nelly détonne dans un univers de costumes-cravates plutôt sombres. Elle ose braver l’interdit du pantalon et quand l’huissier lui barre le chemin de l’hémicycle, elle lui répond : « C’est le pantalon qui vous gêne ? Vous voulez que je l’enlève ? »

 

Une réunion du bureau de l’Assemblée s’ensuit, les députées sont enfin autorisées à porter le pantalon dans l’hémicycle.

 

Élues depuis 1945, les femmes auront donc mis 36 ans pour obtenir l’abandon de l’obligation du port de la robe ou jupe dans l’hémicycle.

Après l’avoinée de Macron à de Villiers « La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le Chef de l’Etat, c’est moi »
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15 juillet 2017 6 15 /07 /juillet /2017 06:00
Oui, je le concède je fais l’indien sur mon vélo, je pratique une anarchie joyeuse… comme « Jésus dans la Côte du Golgotha»

« Quand vous verrez passer un cycliste rêvassant, ne vous fiez pas à son allure inoffensive et bonasse : il prépare la conquête du monde».

 

Didier Tronchet, Petit Traité de Vélosophie

 

Ce que j’aime le jour de mon anniversaire c’est primo : faire la fête avec les amis, deuxio recevoir des marques d’affection de ceux-ci et tertio recevoir d'eux des petits cadeaux.

 

L’art du cadeau est un art difficile, en effet l’important c’est bien sûr le geste, pas la grosseur du chèque, et cerise sur le gâteau c’est de savoir taper juste, de faire plaisir en faisant un choix au plus près du cœur.

 

Mon amie Isabelle Spiri me connaît bien, elle connaît mon goût immodéré pour les petits livres qui peuvent se glisser dans une poche et, bien sûr, mon goût du vélo.

 

Elle m’a donc offert pour mon anniversaire « Le goût du vélo » au Mercure de France.

 

 

  Textes choisis et présentés par Hélène Giraud.

 

Au XIXe siècle, la bicyclette constitue une révolution et bouscule les conservatismes. Moyen de locomotion, et parfois d’émancipation, elle devient aussi un sport. Le Tour de France, créé en 1903, attire les plus grandes plumes : le vélo se répand dans les classes populaires, qui voient leur quotidien transcendé dans les aventures de « Coppi le charcutier » ou du « mitron Bobet ». Aujourd’hui, le vélo n’est plus réservé aux dimanches, aux campagnes ou aux athlètes : il est de plus en plus présent dans les villes. On le pare de nouvelles vertus : il rime avec sobriété, autonomie, responsabilité, convivialité. Balade en compagnie de Émile Zola, Maurice Leblanc, Jules Romains, Louis Nucéra, Pierre Sansot, Philippe Delerm, Érik Orsenna, Odon Vallet, Alphonse Allais, Jerome K. Jerome, Alfred Jarry, René Fallet, Albert Londres, Antoine Blondin, Paul Fournel, Éric Fottorino et bien d’autres…

 

Lettres de noblesse pour la petite reine ICI 

 

Les textes choisis par Hélène Giraud sont concis, joliment introduits, éclairés avec rigueur. Son livre trame une roue de fantaisies qui donne ses lettres de noblesse à la geste cycliste. Albert Londres, Antoine Blondin, Eric Fottorino participent aux échappées d’un ouvrage promis à un beau succès de librairie, tant il fédère les curiosités et la convivialité autour d’une locomotion jamais aussi dans l’air du temps.

Jean – Louis ANTOINE

 

 

« Jésus dans la Côte du Golgotha»

 

Barrabas, engagé, déclara forfait.

 

Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu’il n’eût simplement craché dedans – donna le départ.

 

Jésus démarra à toute allure. En ce temps-là, l’usage était, selon le bon rédacteur sportif saint Matthieu, de flageller au départ les sprinters cyclistes, comme font nos cochers à leurs hippomoteurs. Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc, Jésus, très en forme, démarra, mais l’accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d’épines cribla tout le pourtour de sa roue avant.

 

On voit, de nos jours, la ressemblance exacte de cette véritable couronne d’épines aux devantures de fabricants de cycles, comme réclame à des pneus increvables. Celui de Jésus, un sigle-tube de piste ordinaire, ne l’était pas.

 

Les deux larrons, qui s’entendaient comme en foire, prirent de l’avance.

 

Il est faux qu’il y ait eu des clous. Les trois figurés dans des images sont le démonte-pneu dit « une minute ».

 

Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d’abord décrivons en quelques mots la machine.

 

Le cadre est d’invention relativement récente. C’est en 1890 que l’on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavant, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l’un sur l’autre. C’est ce qu’on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix.

 

Des gravures du temps reproduisent cette scène, d’après des photographies. Mais il semble que le sport du cycle, à la suite de l’accident bien connu qui termina si fâcheusement la course de la Passion et que rend d’actualité, presque à son anniversaire, l’accident similaire du comte Zborowski à la côte de la Turbie, il semble que ce sport fut interdit un certain temps, par arrêté préfectoral. Ce qui explique que les journaux illustrés, reproduisant la scène célèbre, figurèrent des bicyclettes plutôt fantaisistes. Ils confondirent la croix du corps de la machine avec cette autre croix, le guidon droit. Ils représentèrent Jésus les deux mains écartées sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l’air.

 

Notons aussi que le cadre ou la croix de la machine, comme certaines jantes actuelles, était en bois.

 

D’aucuns ont insinué, à tort, que la machine de Jésus était une draisienne, instrument bien invraisemblable dans une course de côte, à la montée. D’après les vieux hagiographes cyclophiles sainte Brigitte, Grégoire de Tours et Irénée, la croix était munie d’un dispositif qu’ils appellent « suppedaneum ». Il n’est point nécessaire d’être grand clerc pour traduire : « pédale ».

 

Juste Lipse, Justin, Bosius et Erycius Puteanus décrivent un autre accessoire que l’on retrouve encore, rapporte, en 1634, Cornelius Curtius, dans des croix du Japon : une saillie de la croix ou du cadre, en bois ou en cuir, sur quoi le cycliste se met à cheval : manifestement sa selle.

 

Ces descriptions, d’ailleurs, ne sont pas plus infidèles que la définition que donnent aujourd’hui les Chinois de la bicyclette : « Petit mulet que l’on conduit par les oreilles et que l’on fait avancer en le bourrant de coups de pied. »

 

Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments « ad hoc ».

 

Dans la côte assez dure du Golgotha, il y a quatorze virages. C’est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes, s’alarma.

 

Le bon entraîneur Simon de Cyrène, de qui la fonction eût été, sans l’accident des épines, de le « tirer » et lui couper le vent, porta sa machine.

 

Jésus, quoique ne portant rien, transpira. Il n’est pas certain qu’une spectatrice lui essuya le visage, mais il est exact que la reporteresse Véronique, de son Kodak, prit un instantané.

 

La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois, sur un rail, au onzième.

 

Les demi-mondaines d’Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.

 

Le déplorable accident que l’on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment dead-heat avec les deux larrons. On sait aussi qu’il continua la course en aviateur… mais ceci sort de notre sujet.

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14 juillet 2017 5 14 /07 /juillet /2017 06:00
Le Ventoux, le mont chauve, une légende de Pétrarque à Tom Simpson en passant par Jean-Henri Fabre

« Les épreuves que tu as endurées tant de fois, aujourd'hui, dans l'ascension de cette montagne, sache bien que tu les rencontres aussi, toi-même comme tant d'autres, dans la recherche du bonheur....nombre d'escarpements coupent cette route et fait avancer de vertu en vertu, par des degrés éminents. Sur le sommet et le but suprême, le terme de la route vers lequel tend notre voyage. »

 

Pétrarque, « L'ascension du Mont Ventoux », 1336

 

« Surgissant de nulle part au milieu de la Provence qu'il relie aux Alpes, culminant à 1912 mètres d'altitude, le Mont Ventoux porte bien son autre nom de « Géant de Provence ». Son nom viendrait de l'occitan provençal « Mont Ventor » qui signifie « qui se voit de loin ». Son ancien nom, « Ventour », dériverait des mots vent et venteux, tout à fait appropriés au fort mistral qui y souffle régulièrement. D'ailleurs ce n'est pas pour rien que le col situé à un kilomètre du sommet a été appelé « col des tempêtes ».

 

Le Mont Ventoux s'étend sur vingt-cinq kilomètres d'Ouest en Est et sur 8 kilomètres du Nord au Sud. Une forêt de Mélèzes, de cèdres et de sapins le couvre jusqu'à 1500 mètres d'altitude. Au-delà, la végétation disparaît pour donner place à un sommet aride de couleur blanche, fait de casses de pierres plates appelées lauzes. D'où son autre nom, le Mont Chauve. »

 

13 juillet 1967, Marseille. Le Tour doit affronter le Ventoux. Le « Géant de Provence ». L'air est lourd, empesé. Devant l'Hôtel de Noailles, Pierre Dumas, le médecin chef du Tour, confie ses craintes au journaliste, Pierre Chany. « Quelle horreur cette chaleur, si les gars plongent le nez dans la topette, on risque d'avoir un mort. » Il fait près de 40 degrés. Sur la ligne de départ, l'Italien Felice Gimondi porte un mouchoir sous sa casquette ; Tom Simpson, lui, fait mine de bénir ses équipiers avec l'eau de son bidon, qui sait, pour exorciser une forme de prémonition ?

 

Il y a cinquante ans mourrait Tom Simpson

 

Car le Ventoux, ce n'est pas un col. C'est un univers clos. Une bastide somnolente, une sorte de mausolée hypothétique où tout n'est qu'aridité et désolation. D'ailleurs, l'Anglais est vite lâché, il paraît même qu'à Bédoin on l'aurait vu dans un café boire de l'alcool. Quand Lucien Aimar, qui a déjanté au pied de la montée, retombe sur lui à deux kilomètres du sommet, Simpson titube, tête inclinée sur l'épaule. Son regard vague interroge : pressent-il le drame qui se noue ? Sait-il qu'il roule vers l'abîme ?

 

À presque 30 ans, le "Major Tom" (rien à voir avec David Bowie, mais plutôt aux Carnets du Major Thompson de Pierre Daninos qui font fureur dans Le Figaro) connaît parfois des défaillances. Il court trop, tout le monde le sait. Le soir de sa victoire sur Milan-San Remo, il s'est ainsi éclipsé fissa pour aller cachetonner dans un critérium dès le lendemain. C'est par son courage que ce fils de mineur qui avait débarqué à 18 ans à Saint-Brieuc avec 100 livres en poche est devenu en quelques années la coqueluche du peloton. Sa réputation n'est plus à faire : il a déjà disputé une demi-finale aux Mondiaux de poursuite avec une clavicule cassée et a fini 14e du Tour 1964 malgré un ver solitaire terriblement handicapant.

 

Tour de France : 13 juillet 1967, Tom Simpson, la mort en direct

 

Il y a cinquante ans, un des chouchous du public perdait la vie sur son vélo, devant les caméras de télévision. Retour sur un des épisodes les plus marquants de la Grande Boucle.

ICI 

 

« Une ascension au mont Ventoux » Jean-Henri Fabre

 

Le célèbre entomologiste nous convie à l’accompagner sur les pentes du Ventoux, et à nous joindre à son petit groupe de huit promeneurs, botanistes ou simples randonneurs, pour une ascension qui promet de nous transporter de l’Afrique au Groënland, en seulement quelques centaines de mètres de verticalité !

 

Les senteurs végétales et les « petits coups de baromètre » prétextes à quelques gorgées ravigotantes de rhum, nous seront d’une aide précieuse, de même que le pique-nique à la frugalité douteuse et la « petite » sieste d’une heure au soleil qui le conclut !

 

Il faut bien cela pour affronter, le soir venu, la colère des éléments, qui auraient tôt fait de vous désorienter ! Mais ne craignez rien, car faute de boussole, nos compères expérimentés savent se diriger… à la piqûre d’ortie !

 

Vous êtes en forme ? Le sac-à-dos est prêt ? Alors … en route !

 

 

« Bientôt le soleil se lève. Jusqu’aux extrêmes limites de l’horizon le Ventoux projette son ombre triangulaire dont les bords se frangent de violet par l’effet des rayons diffractés. Au sud et à l’ouest, s’étendent des plaines brumeuses ; au  nord et à l’est s’étale, sous nos pieds, une couche énorme de nuages, sorte d’océan de blanche ouate d’où émergent, comme des îlots de scories, les sommets obscurs des montagnes inférieures. Tout là-bas, du côté des Alpes, quelques cimes flamboient. »

 

« Il est dix heures du matin ; nous avons mis six heures pour venir de Bédoin à la fontaine de la Grave, mais d’un pas modéré, comme il convient pour une exploration attentive. »

 

« La nappe est étalée sur un charmant tapis de plantes alpines… Les vivres sont tirés de leurs sacoches, les bouteilles exhumées de leurs couches de foin. Ici, les pièces de résistance, les gigots bourrés d’ail et les piles de pain ; là, les fades poulets, qui amuseront un moment les molaires, quand sera apaisée la grosse faim ; non loin, à une place d’honneur, les fromages du Ventoux épicés avec la sarriette des montagnes, les petits fromages au Pébré d’Asé ; tout à côté, les saucissons d’Arles, dont la chair rose est marbrée de cubes de lard et de grains entiers de poivre ; par ici, en ce coin, les olives vertes ruisselantes encore de saumure, et les olives noires assaisonnées d’huile ; en cet autre, les melons de Cavaillon, les uns à chair blanche, les autres à chair orangée, car il y en a pour tous les goûts ; en celui-ci, le pot aux anchois, qui font boire sec pour avoir du jarret ; enfin les bouteilles au frais dans l’eau glacée de cette auge. N’oublions-nous rien ? Si, nous oublions le maître dessert, l’oignon qui se mange cru avec du sel. Nos deux parisiens, car il y en a deux parmi nous (…) sont d’abord un peu ébahis de ce menu par trop tonique ; ils seront les premiers tout à l’heure à se répandre en éloges. Tout y est. À table !

 

Alors commence un de ces repas homériques qui font date en la vie. Les premières bouchées ont quelque chose de frénétique. Tranches de gigots et morceaux  de pain se succèdent avec une rapidité alarmante. Chacun, sans communiquer aux autres ses appréhensions, jette un regard anxieux sur les victuailles et se dit : « Si l’on y va de la sorte, en saurons-nous assez pour ce soir et demain ? » Cependant la fringale s’apaise ; on dévorait d’abord en silence, maintenant on mange et on cause (…) C’est le tour d’apprécier les vivres en connaisseur. L’un fait l’éloge des olives, qu’il pique une à une de la pointe du couteau ; un deuxième exalte le pot aux anchois, tout en découpant sur son pain le petit poisson jaune d’ocre ; un troisième parle avec enthousiasme du saucisson ; tous enfin sont unanimes pour célébrer les  fromages au Pébré d’asé, pas plus grands que la paume de la main. Bref, pipes et cigares s’allument, et l’on s’étend sur l’herbe, le ventre au soleil. »

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13 juillet 2017 4 13 /07 /juillet /2017 06:00
L’étrange histoire de la variété sauvage de tomate L. cheesmanii et son gène j-2. La machine massacrait la récolte avec la délicatesse d’un char d’assaut

L’université de Davis aux USA, à quelques encablures de la Nappa Valley, est l’un des hauts lieux de la recherche agronomique. C’est là que s’invente l’agro-industrie de demain.

 

Son Centre de ressources génétiques de la tomate a joué un rôle crucial dans l’industrie de la tomate. Il porte le nom de Charles Madera Rick, ancien professeur de l’université qui est incontestablement un « architecte de la tomate » car sans lui, « les tomates de l’agro-industrie que l’on mange dans les pizzas, le ketchup ou la sauce tomate industrielle n’auraient pas certaines de leurs qualités distinctives, qu’elles doivent à quelques gènes découverts dans les variétés sauvages. »

 

« Cet Indiana Jones – ou ce bio-pirate, c’est selon – a passé une bonne partie de sa vie en Amérique du Sud : entre 1948 et 1992, il y a découvert de nombreuses variétés sauvages. » ICI

 

 

Les régions andines côtières, au nord-ouest de l’Amérique du Sud,  sont le bassin d’origine de la tomate ; les tomates étaient consommées par les Aztèques. Les tomates sauvages « peuvent être de petits fruits verts, parfois violacés, jaunes ou orange, amers, comestibles ou non, poussant jusqu’à plus de trois mille mètres d’altitude, sans arrosage ni intervention humaine… »

 

Après l’illustre généticien soviétique Nikolaï Vavilov, Charles Rick fut le second chercheur à découvrir des variétés et à entreprendre de cataloguer, dix  ans plus tard, les tomates sauvages dans le bassin d’origine.

 

« C’est aux îles Galápagos, qui font partie du bassin d’origine de la tomate et qui avaient été explorées par Charles Darwin en 1835, que Charles Rick a découvert la variété sauvage L. cheesmanii portant un gène qui allait être promis à un grand avenir industriel : le gène j-2. »

 

Pourquoi ?

 

En 1942, la main d’œuvre agricole disponible en Californie se tarie sous l’effet du conflit mondial, donc il y a urgence à accélérer les programmes de recherches dans le domaine de la mécanisation.

 

« Les premières machines mises au point parviennent bien à progresser dans le champ, à couper les pieds des plants, mais ensuite l’expérience vire à la catastrophe. Les tomates sont réduites en une infâme bouillie, où se mêlent de la terre, elles s’écrasent contre les mécanismes : la machine massacre la récolte avec la délicatesse d’un char d’assaut. »

 

Plutôt que d’inventer une machine adaptée aux tomates il paraît plus pertinent d’envisager de développer génétiquement une tomate adaptée à la machine.

 

Dans cette recherche la découverte du gène j-2 de la variété L. cheesmanii a été déterminante : c’est à lui que l’on doit la possibilité de la mécanisation de la récolte. Du Xinjiang à l’Italie du Sud, de la Turquie à la Californie, ce gène est aujourd’hui présent dans toutes les tomates d’industrie de la planète.

 

« Charles Rick a découvert cette variété aux Galápagos, raconte Roger Chatelat, l’actuel directeur du Centre de ressources génétiques de la tomate. C’était une tomate orange et Charles Rick, en les prélevant, s’était aperçu que ces tomates se détachaient très facilement.

 

Cependant, une fois les graines rapportées en Californie, il ne parvint pas à les réensemencer. Il plantait ses graines, mais c’était en vain. Les tomates ne poussaient pas. Il essaya de modifier un grand nombre de paramètres, mais à chaque fois il échouait.

 

Un jour, il eut l’idée que ces graines de tomate des Galápagos devaient peut-être digérées par des animaux avant d’être réensemencer. Alors, il essaya avec des oiseaux. Cela ne fonctionnait pas non plus.

 

Enfin, il eut l’idée de les donner à des tortues. Le problème, c’est que l’on ne trouve pas si facilement des tortues géantes des îles Galápagos en Californie…

 

Mais Rick se souvint qu’il avait un ami scientifique, à Berkeley, qui avait rapporté deux tortues des Galápagos. Il demanda à ce dernier de nourrir les tortues avec des graines de tomate. Après quoi, Charles Rick recevait par la poste de gros paquets d’excréments de tortue… Cela paraît fou, mais c’était ça, la solution. En donnant à manger ces graines aux tortues et en attendant la fin du processus de digestion de deux semaines, Rick découvrit que l’on activait la germination de ces graines. C’est ainsi qu’il put les réensemencer, et que le gène j-2 révolutionna l’industrie de la tomate. »

 

 

L’Université de Davis développa avec de l’argent public les toutes premières machines de récolte de tomates.

 

Le 1er septembre 1960, 2000 personnes… assistèrent à une démonstration publique de la machine de récolte « Blackwelder »

 

En 1961, les premières tomates d’industrie destinées à la consommation furent récoltées mécaniquement : 25 machines furent alors vendues et 0,5% de la récolte le fut à la machine.

 

En 1965, 20% de la récolte fut mécanisée.

 

En 1966, 70%.

 

En 1967, 80%.

 

En 1968, 92% puis 98%.

 

En 1970, la totalité de la récolte des tomates d’industrie était mécanisée en Californie.

 

Extrait de L’Empire de l’or rouge enquête mondiale sur la tomate d’industrie Jean-Baptiste Malet fayard.

L’étrange histoire de la variété sauvage de tomate L. cheesmanii et son gène j-2. La machine massacrait la récolte avec la délicatesse d’un char d’assaut
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