Dès que l’on évoque devant moi Jean-Louis Trintignant c’est toujours l’image du petit juge d’instruction intègre de Z de Costa-Gavras qui me vient à l’esprit. 1969, juste après 68 – les chars soviétiques à Prague – la Grèce vit alors sous la botte de la dictature des colonels instaurée le 21 avril 1967. Le film est adapté d'un roman de Vassilis Vassilikos fondé sur un fait réel : l'assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en 1963 à Thessalonique, assassinat organisé par des éléments de la police et de la gendarmerie et camouflé au départ en accident.
Question : « Vous habitez depuis plus de trente ans près d’Uzés. Provincial, c’est vital ? »
« Dans la famille, personne avant moi n’était monté jusqu’à Paris. C’était loin Paris ! J’y ai vécu vingt-cinq ans. Et puis je suis revenu dans ma campagne, où j’ai grandi et où je me sens beaucoup mieux. Petit-fils et fils de vigneron, je produis, moi aussi, du vin. Je m’y suis mis tard mais je suis content. Je bois toujours du vin. Je suis même un peu « alcoolo » ! Le vin ça m’a aidé à vaincre ma timidité, ça m’a désinhibé dans ma jeunesse. L’ivresse est souvent meilleure que la lucidité. En tout cas je me sentais davantage moi-même quand j’étais ivre… J’ai connu, aussi, les stupéfiants, pendant une dizaine d’années. Lorsque j’ai découvert cela, ce fut comme une religion. Je fumais du haschich et j’ai été jusqu’aux drogues dures, qui m’ont fait du bien, puis beaucoup de mal, à la fin. Mais je ne regrette pas toutes ces expériences.
C’était une chronique du 19 octobre 2012 ICI
A l’occasion de son retour sur scène, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris, l’acteur, 87 ans, revient sur sa vie et sa carrière.
Propos recueillis par Fabienne Darge ICI
EXTRAITS :
- On revient sur la vie qui a fait de vous l’acteur que vous êtes…
Oh vous savez… Ma vie, au fond, elle n’est pas brillante. Enfin, elle peut être considérée comme brillante, mais moi j’ai le sentiment d’être un raté. J’ai raté beaucoup de choses.
« On est souvent très humilié en tant que comédien, parce qu’on est dirigé par des gens qui ne pensent pas comme vous. »
- Qu’est-ce qu’un bon acteur, pour vous ?
Oh je ne sais pas… D’abord c’est un acteur qui est modeste, qui ne pète pas plus haut que son cul. Et puis la sensibilité, la justesse, le fait de ne jamais en rajouter. Je n’aime pas les acteurs trop brillants, qui font leur numéro, j’aime les acteurs comme Denis Podalydès, Jean-Pierre Darroussin, Niels Arestrup. Notre métier d’acteur, c’est avant tout d’être des passeurs.
Mais j’étais marié avec une femme ambitieuse [Nadine Trintignant], qui voulait que je devienne célèbre et qu’on gagne beaucoup d’argent. Chez Vilar, je ne gagnais pas beaucoup de fric, mais je n’avais pas besoin de beaucoup. J’ai toujours lu Jules Renard, qui disait : « Si au lieu d’essayer de gagner beaucoup d’argent, on essayait de vivre avec moins d’argent ? » Ce n’est pas bête.
- Est-ce qu’avec « Un homme et une femme » vous vous êtes senti catalogué dans le rôle du jeune premier romantique ?
Oui, et ça ne me convenait pas tellement. J’ai toujours trouvé que les héros ne sont pas très intéressants. Les tordus sont plus excitants à jouer, évidemment. Dès que j’ai pu jouer un type qui n’était pas un jeune premier, j’ai sauté dessus. C’était dans Paris brûle-t-il ?, de René Clément, en 1966, je jouais un salaud, un type qui donne des juifs et les envoie à la mort.
- Service militaire que vous avez effectué en Algérie…
A la fin de la guerre d’Algérie, oui, après mes études de droit à Aix-en-Provence. J’ai été envoyé là-bas, je ne voulais pas y aller, je me suis rendu malade pour être exempté, mais les autorités françaises me l’ont fait payer très cher. J’ai été interné, et j’ai fait des mois de service supplémentaires.
J’étais contre cette guerre, totalement. On nous disait qu’on allait « pacifier » l’Algérie, alors qu’on faisait une guerre atroce, qu’on torturait des gens. Je ressentais violemment cette hypocrisie : « pacifier l’Algérie »… Pas étonnant que les jeunes qui ont été envoyés là-bas soient incapables d’en parler aujourd’hui encore.
- C’était présent sans être dit, cette histoire de la guerre qu’avait faite votre père ?
Oui… Mon père était un type formidable. Il était de gauche, ce que je trouve très bien. Il a été résistant, arrêté à ce titre. Quand il est arrivé en libérateur à Pont-Saint-Esprit, avec les Américains, en 1944, ma mère était dans la charrette des femmes tondues, pour avoir couché avec des Allemands… C’était une époque terrible.
- Vous l’avez vue ?
Eh bien oui, j’étais avec elle… Je n’ai pas été tondu parce que j’étais encore un enfant. Pour mon père, ça a été un traumatisme affreux.
- Pourtant on ne vous imagine pas dans les mêmes emplois, a priori…
Ça marche comme ça, pourtant. On est très remplaçables, nous les acteurs. Untel n’est pas libre, on en prend un autre, on opère juste quelques petites retouches. Michel Piccoli et moi, on a tourné pas mal de films que l’autre devait faire, et inversement.
Pour moi, c’est arrivé sur Le Dernier Tango à Paris, que je devais tourner avec Bernardo Bertolucci. Et que j’ai finalement refusé : ma fille [Marie], qui avait 8 ans à l’époque, avait lu des passages du scénario, et elle m’avait dit : « Je ne veux pas que tu fasses ce film, je ne pourrai plus aller à l’école, après ça. » Alors je ne l’ai pas fait. Et ce fut Brando. Peut-être qu’avec moi le film n’aurait pas été un tel succès.
Je dis des poèmes de gens que j’aime bien humainement, alors je peux passer du temps avec eux. Même si Apollinaire n’était pas très intéressant sur le plan humain, je crois. Prévert c’est évident que c’était quelqu’un de bien. J’aime aussi beaucoup Robert Desnos, qui a une histoire incroyable et était un type formidable. Il a été déporté dans un camp d’extermination. Il paraît qu’à la fin, en 1944, il lisait les lignes de la main à ses camarades qui allaient passer à la chambre à gaz, et il leur disait : « Vous allez avoir une vie merveilleuse… » Alors qu’il était lui-même mourant. Et puis il était amoureux de la compagne du peintre Foujita, Youki. Il paraît qu’il a vécu des mois avec le couple, il couchait à leurs pieds, il était comme un chien… Youki a trouvé qu’il était tellement merveilleux, cet homme-là, qu’elle a quitté Foujita pour aller vivre avec lui.
- On peut voir chez ces poètes que vous aimez une forme de communauté d’esprit. Est-ce que ce qui vous plaît chez eux c’est un certain rapport à l’existence ?
Oui, c’est vraiment ça. Il y a un autre poète que je trouve magnifique du point de vue de l’écriture, c’est Aragon, mais il ne m’est pas sympathique. J’avais trouvé un poème que j’aimais beaucoup, pourtant, Le Lit défait. J’ai téléphoné à Aragon pour en savoir plus sur ce poème qui n’est pas très connu, et il m’a dit : « Ah non, je n’ai jamais écrit ça… » Comme il avait changé de femme depuis l’écriture de ce poème – il vivait alors avec Elsa Triolet –, et comme ce n’était pas d’elle qu’il parlait alors, il ne voulait pas en reconnaître la paternité.
Il écrivait magnifiquement, mais il était quand même un peu stalinien con, il faut le dire. Moi j’ai le cœur à gauche, je pense à gauche, j’y tiens, mais souvent je trouve les gens de gauche stupides. Quand on voit cet aveuglement d’Aragon, c’est troublant, quand même, non ? Prévert était plus modeste, mais il a dit moins de conneries.