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8 décembre 2018 6 08 /12 /décembre /2018 06:00
C’est au milieu d’un océan de vignes roussies par l’automne que l’on retrouve Jean-Louis Trintignant, sur son domaine viticole Rouge Garance, entre Avignon et Uzès.

Dès que l’on évoque devant moi Jean-Louis Trintignant c’est toujours l’image du petit juge d’instruction intègre de Z de Costa-Gavras qui me vient à l’esprit. 1969, juste après 68 – les chars soviétiques à Prague – la Grèce vit alors sous la botte de la dictature des colonels instaurée le 21 avril 1967. Le film est adapté d'un roman de Vassilis Vassilikos fondé sur un fait réel : l'assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en 1963 à Thessalonique, assassinat organisé par des éléments de la police et de la gendarmerie et camouflé au départ en accident.

 

Question : « Vous habitez depuis plus de trente ans près d’Uzés. Provincial, c’est vital ? »

 

« Dans la famille, personne avant moi n’était monté jusqu’à Paris. C’était loin Paris ! J’y ai vécu vingt-cinq ans. Et puis je suis revenu dans ma campagne, où j’ai grandi et où je me sens beaucoup mieux. Petit-fils et fils de vigneron, je produis, moi aussi, du vin. Je m’y suis mis tard mais je suis content. Je bois toujours du vin. Je suis même un peu  « alcoolo » ! Le vin ça m’a aidé à vaincre ma timidité, ça m’a désinhibé dans ma jeunesse. L’ivresse est souvent meilleure que la lucidité. En tout cas je me sentais davantage moi-même quand j’étais ivre… J’ai connu, aussi, les stupéfiants, pendant une dizaine d’années. Lorsque j’ai  découvert cela, ce fut comme une religion. Je fumais du haschich et j’ai été jusqu’aux drogues dures, qui m’ont fait du bien, puis beaucoup de mal, à la fin. Mais je ne regrette pas toutes ces expériences.

 

C’était une chronique du 19 octobre 2012 ICI 

 

A l’occasion de son retour sur scène, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris, l’acteur, 87 ans, revient sur sa vie et sa carrière.

 

Propos recueillis par Fabienne Darge ICI 

 

EXTRAITS :

 

  • On revient sur la vie qui a fait de vous l’acteur que vous êtes…

 

Oh vous savez… Ma vie, au fond, elle n’est pas brillante. Enfin, elle peut être considérée comme brillante, mais moi j’ai le sentiment d’être un raté. J’ai raté beaucoup de choses.

 

« On est souvent très humilié en tant que comédien, parce qu’on est dirigé par des gens qui ne pensent pas comme vous. »

 

  • Qu’est-ce qu’un bon acteur, pour vous ?

 

Oh je ne sais pas… D’abord c’est un acteur qui est modeste, qui ne pète pas plus haut que son cul. Et puis la sensibilité, la justesse, le fait de ne jamais en rajouter. Je n’aime pas les acteurs trop brillants, qui font leur numéro, j’aime les acteurs comme Denis Podalydès, Jean-Pierre Darroussin, Niels Arestrup. Notre métier d’acteur, c’est avant tout d’être des passeurs.

 

Mais j’étais marié avec une femme ambitieuse [Nadine Trintignant], qui voulait que je devienne célèbre et qu’on gagne beaucoup d’argent. Chez Vilar, je ne gagnais pas beaucoup de fric, mais je n’avais pas besoin de beaucoup. J’ai toujours lu Jules Renard, qui disait : « Si au lieu d’essayer de gagner beaucoup d’argent, on essayait de vivre avec moins d’argent ? » Ce n’est pas bête.

 

  • Est-ce qu’avec « Un homme et une femme » vous vous êtes senti catalogué dans le rôle du jeune premier romantique ?

 

Oui, et ça ne me convenait pas tellement. J’ai toujours trouvé que les héros ne sont pas très intéressants. Les tordus sont plus excitants à jouer, évidemment. Dès que j’ai pu jouer un type qui n’était pas un jeune premier, j’ai sauté dessus. C’était dans Paris brûle-t-il ?, de René Clément, en 1966, je jouais un salaud, un type qui donne des juifs et les envoie à la mort.

 

  • Service militaire que vous avez effectué en Algérie…

 

A la fin de la guerre d’Algérie, oui, après mes études de droit à Aix-en-Provence. J’ai été envoyé là-bas, je ne voulais pas y aller, je me suis rendu malade pour être exempté, mais les autorités françaises me l’ont fait payer très cher. J’ai été interné, et j’ai fait des mois de service supplémentaires.

 

J’étais contre cette guerre, totalement. On nous disait qu’on allait « pacifier » l’Algérie, alors qu’on faisait une guerre atroce, qu’on torturait des gens. Je ressentais violemment cette hypocrisie : « pacifier l’Algérie »… Pas étonnant que les jeunes qui ont été envoyés là-bas soient incapables d’en parler aujourd’hui encore.

 

  • C’était présent sans être dit, cette histoire de la guerre qu’avait faite votre père ?

 

Oui… Mon père était un type formidable. Il était de gauche, ce que je trouve très bien. Il a été résistant, arrêté à ce titre. Quand il est arrivé en libérateur à Pont-Saint-Esprit, avec les Américains, en 1944, ma mère était dans la charrette des femmes tondues, pour avoir couché avec des Allemands… C’était une époque terrible.

 

  • Vous l’avez vue ?

 

Eh bien oui, j’étais avec elle… Je n’ai pas été tondu parce que j’étais encore un enfant. Pour mon père, ça a été un traumatisme affreux.

 

  • Pourtant on ne vous imagine pas dans les mêmes emplois, a priori…

 

Ça marche comme ça, pourtant. On est très remplaçables, nous les acteurs. Untel n’est pas libre, on en prend un autre, on opère juste quelques petites retouches. Michel Piccoli et moi, on a tourné pas mal de films que l’autre devait faire, et inversement.

 

Pour moi, c’est arrivé sur Le Dernier Tango à Paris, que je devais tourner avec Bernardo Bertolucci. Et que j’ai finalement refusé : ma fille [Marie], qui avait 8 ans à l’époque, avait lu des passages du scénario, et elle m’avait dit : « Je ne veux pas que tu fasses ce film, je ne pourrai plus aller à l’école, après ça. » Alors je ne l’ai pas fait. Et ce fut Brando. Peut-être qu’avec moi le film n’aurait pas été un tel succès.

 

Je dis des poèmes de gens que j’aime bien humainement, alors je peux passer du temps avec eux. Même si Apollinaire n’était pas très intéressant sur le plan humain, je crois. Prévert c’est évident que c’était quelqu’un de bien. J’aime aussi beaucoup Robert Desnos, qui a une histoire incroyable et était un type formidable. Il a été déporté dans un camp d’extermination. Il paraît qu’à la fin, en 1944, il lisait les lignes de la main à ses camarades qui allaient passer à la chambre à gaz, et il leur disait : « Vous allez avoir une vie merveilleuse… » Alors qu’il était lui-même mourant. Et puis il était amoureux de la compagne du peintre Foujita, Youki. Il paraît qu’il a vécu des mois avec le couple, il couchait à leurs pieds, il était comme un chien… Youki a trouvé qu’il était tellement merveilleux, cet homme-là, qu’elle a quitté Foujita pour aller vivre avec lui.

 

  • On peut voir chez ces poètes que vous aimez une forme de communauté d’esprit. Est-ce que ce qui vous plaît chez eux c’est un certain rapport à l’existence ?

 

Oui, c’est vraiment ça. Il y a un autre poète que je trouve magnifique du point de vue de l’écriture, c’est Aragon, mais il ne m’est pas sympathique. J’avais trouvé un poème que j’aimais beaucoup, pourtant, Le Lit défait. J’ai téléphoné à Aragon pour en savoir plus sur ce poème qui n’est pas très connu, et il m’a dit : « Ah non, je n’ai jamais écrit ça… » Comme il avait changé de femme depuis l’écriture de ce poème – il vivait alors avec Elsa Triolet –, et comme ce n’était pas d’elle qu’il parlait alors, il ne voulait pas en reconnaître la paternité.

 

Il écrivait magnifiquement, mais il était quand même un peu stalinien con, il faut le dire. Moi j’ai le cœur à gauche, je pense à gauche, j’y tiens, mais souvent je trouve les gens de gauche stupides. Quand on voit cet aveuglement d’Aragon, c’est troublant, quand même, non ? Prévert était plus modeste, mais il a dit moins de conneries.

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7 décembre 2018 5 07 /12 /décembre /2018 06:00
Sous Paris est 1 fête d’Hemingway se niche 1 terrible appétit de vivre, de manger qui caractérise la «Génération perdue» d’après la Grande Guerre. « D’où le solide coup de fourchette de Papa Hemingway, qui levait le coude pour ce terriblement bon vin de Bourgogne français ».

À la différence de Pudlowski, qui pond des twittes, à jet continu, comme des saucisses de Francfort, Jean-Claude Ribaut, lui ne twitte pas, son patrimoine de chroniques vit sur la Toile, il est devenu viral alors que les scories de Pudlowski durent le temps que durent les bulles de savon.

 

La jeune génération de critiques gastronomiques ne vaut guère mieux que ce dinosaure, elle est acculturée, suiviste, surfant sur la fameuse tendance, banale, chichiteuse, copinage et attachée de presse des chefs étoilés ou bistronomisés.

 

J’évite d’ironiser sur les ragoteurs qui vendent leur soupe bien cher, désolant, insignifiant, minable…

 

Bref, le Jean-Claude sait conter, raconter des histoires qui ne sont pas du storytelling formaté, elles font sens, instruisent : oh, le gros mot !, remettent certaines pendules à l’heure pour une génération qui a tendance à considérer que le monde a commencé  avec elle.

 

Extrait des cahiers de la Gastronomie hiver 2012 : quelques passages d’Hemingway Montparnasse est une fête !

 

« Si vous avez la chance d’avoir habité Paris lorsque vous étiez jeune, alors partout où vous irez pendant le reste de votre vie, cela restera en vous, car Paris est une fête mobile » (Lettre à un ami, 1950)

 

Hemingway s’installe à Paris en décembre 1920.

 

« Hemingway, journaliste, correspondant étranger du Toronto Star, et sa femme Hadley habitaient rue du Cardinal Lemoine. Ils fréquentent les cafés, déjeunent chez eux, ou bien soupent chez Gertrude Stein, établie rue de Fleurus dans un hôtel particulier de grande allure. D’elle on disait qu’elle avait pour la peinture « un flair oraculaire » Des toiles de Cézanne, Matisse, Picasso ornent ses murs. Scott Fitzgerald, qui venait d’épouser l’excentrique Zelda retrouvait Hemingway à la Closerie des Lilas, où il lui fit lire le manuscrit de son premier grand livre Gatsby le Magnifique. Hemingway publie Le soleil se lève aussi en 1926. Le livre de cuisine d’Alice Toklas, compagne de Gertrude Stein, fait alterner recettes et récits des manières de table d’une maison qui vit se constituer autour d’Hemingway, le cercle américain le plus illustre de Montparnasse, écrivains et peintres mêlés.. Une table ouverte et une cuisine fort bien achalandée, dont l’apparente monotonie était rompue par quelques excentricités. Sa recette la plus loufoque, émanant de son ami écrivain Brion Gysin était le haschisch fudge, un mélange de fruits secs, d’épices et de « canibus sativa » (sic), d’où l’appellation de certaines préparations à base de cannabis et de chocolat : Alice B. Toklas brownies. Pour l’ordinaire, c’est la fréquentation assidue et quotidienne des cafés et brasseries du quartier, selon l’image classique que perpétue la Balzar ou encore Lipp – citadelle auvergnate et brasserie – avec sa légende tissée par Hemingway, Léon-Paul Fargue, puis Maurice Fombeure et beaucoup d’autres : bière, plats copieux, choucroute, cervelas, hareng baltique, thon à l’huile et salade de museau, avec un service permanent assuré très tard par d’efficace tribus arvernes, venues de Gergovie, de Luzech ou de Capdenac.

 

[…]

 

La princesse russe à côté des peintres pouilleux mais célèbres, Pascin, Modigliani le bel italien, Chagall au charme slave, Soutine le tragique. Le rapin besogneux regarde avec envie l’incroyable Picasso qui a fait fortune déjà avec les célèbres Demoiselles d’Avignon. Grisettes, femmes du monde, les premières intellectuelles ou écrivains anglo-saxonnes croisent le demi-castor, femme affichée comme la célèbre Kiki de Montparnasse. Tous se divertissent. L’Europe, celle de Paul Morand, s’est civilisée à Montparnasse, et qui côtoient une population ouvrière pauvre, très bien décrite par Charles Louis-Philippe et Marguerite Audoux ? De la vache enragée, mais avec cette différence que les peintres inconnus avaient la chance, avec une œuvre consistante réalisée, qu’aussitôt admirée, ils étaient également prestement achetés. La cuisine était celle de tout le monde, issue elle-même d’une origine paysanne et provinciale, qui, par mutation urbaine, devient parisienne : « Du prêt à manger, consommé réchauffé chez soi. Plus les WC dans la cour en cabane, ou bien le confort des commodités à la Turque, au bout du couloir communautaire » confirme Hemingway dans Paris est une fête. C’est primitif, invivable en plein été, sinistre en hiver. D’où la fuite frénétique aux bonnes époques de la IIIe République des artistes fortunés tel Caillebotte déjà, hors de Paris, pour le grand air, pour la beauté des bords de Seine, pour une nourriture de légumes et de fruits du jardin.

 

Le sens caché de Paris est une fête d’Hemingway, dont à la fin de leur amitié, Gertrude Stein se plaignait qu’il n’y était question que du sexe viril et de la mort, masquait ce terrible appétit de vivre et donc de manger qui caractérise la période de la « Génération perdue » après la Grande Guerre. D’où le solide coup de fourchette de Papa Hemingway, qui levait le coude pour ce terriblement bon vin de Bourgogne français ». Paris peut alors se décliner comme une véritable géographie de la libido liée aux plaisirs essentiels, ceux raffinés et vulgaires de l’errance érotique, inextinguibles comme se succèdent le flux des marées et des cycles lunaires, ceux essentiels aussi de la faim physiologique et corporelle. Du Polidor, rue Monsieur-le-Prince, aux salons du Ritz…

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6 décembre 2018 4 06 /12 /décembre /2018 06:00
Brillat-Savarin voulait que la bonne volaille soit pour le cuisinier ce que la toile est pour le peintre. Ici, en Bresse, le poulet est beaucoup plus que la toile ; il est le tableau réalisé.
Brillat-Savarin voulait que la bonne volaille soit pour le cuisinier ce que la toile est pour le peintre. Ici, en Bresse, le poulet est beaucoup plus que la toile ; il est le tableau réalisé.

Les réseaux sociaux, y compris la volaille des critiques, qui s’empiffre, presque tous les jours aux tables étoilées, se sont émus du sort d’un éleveur de volaille de Bresse, gilet jaune, qui criait misère dans une vidéo vue 3 557 701 fois à l’instant où j’écris.

 

Monsieur Macron, vous ne méritez pas de manger mes volailles »

 

Gilet jaune sur le dos, larmes aux yeux, cet éleveur interpelle le président : ses volailles ont été servies à l'Élysée, mais il travaille 77 heures par semaine pour 700 euros.

 

« Installé depuis trois ans dans cet élevage de 16.000 poulets, ce trentenaire, père d'un enfant, en couple avec une auxiliaire de vie scolaire, peine à boucler ses fins de mois. «Avec 1200 euros par mois pour vivre et deux voitures en milieu rural, on fait comment pour vivre?, demande-t-il au président de la République. Je voudrais bien que vous donniez des conseils», ajoute-t-il. Chaque mardi, sa mère est obligée de lui remplir son réfrigérateur, pour 50 euros, raconte-t-il en luttant pour ravaler ses larmes.

 

Sans doute Aloïs Gury a vu trop grand. Environ 150 poulets de son élevage sont déclassés chaque semaine par les abatteurs et lui achètent moins cher. Un nombre qu'un voisin estime trop élevé pour s'en sortir. Pourtant, il a changé à quatre reprises les rations alimentaires de ses poulets. Financièrement, la communauté de communes l'aide en lui louant les onze bâtiments d'élevage seulement 1 000 euros par an. »

 

L'Élysée dément les propos d'Aloïs Gury. «La Présidence de la République est soumise à la commande publique et ne se fournit pas directement chez les producteurs et passe par des intermédiaires qui travaillent avec plusieurs éleveurs, indique un communiqué du palais présidentiel. En l'occurrence, l'intermédiaire habituel pour les volailles de Bresse est Le Coq Saint Honoré. Il ne se fournit pas chez ce producteur pour l'Élysée. Contrairement à ce qui est dit, Aloïs Gury n'a pas fourni les volailles pour le déjeuner du 11 novembre, il s'agit de deux autres éleveurs: Cyril Degluaire et Thierry Desmaris. Aloïs Gury n'a d'ailleurs jamais fourni l'Élysée».

 

L’éleveur de Montrevel a posté une seconde vidéo pour apporter quelques précisions de son côté, reconnaissant qu’il n’avait jamais travaillé directement pour l’Elysée. Il a expliqué qu’il fournissait en réalité deux coopératives liées aux volailles de Bresse : Chapon Bressan et les Volailles Miéral AOP.

 

Si un éleveur de poulet de Bresse AOP ne s’en sort pas c’est qu’il y a quelque chose de profondément pourri dans le royaume de la France agricole d’Henri IV et Sully réunis.

 

J’ai des doutes, j’aimerais que les journalistes avant de relayer ce genre de complainte fasse leur travail de vérification.

 

Le 30 décembre 2014 j’ai commis une chronique :

 

J’adore l’onctueux embonpoint des poules hard de Bresse bien roulées en buvant Viola odorata de Claire Naudin…

 

La poularde est une femelle de race blanche, plus précisément La Blanche dite de Bény, âgée de 140 jours minimum, à maturité sexuelle ayant constitué sa chaîne d'œufs mais n'étant pas encore entrée en cycle de ponte. Deux autres races sont admises : la noire dite de Louhans et la grise dite de Bourg mais elles  ne se rencontrent qu'à titre exceptionnel dans la zone délimitée.

 

La suite ICI 

 

La volaille de Bresse : un « objet parfait» de Sandra Frossard-Urbano

 

« Qu'est-ce que c'est une belle volaille ?

 

« C'est une volaille qui est lourde, qui est grasse, qui est blanche, qui n'est pas griffée, qui est presque parfaite : » un éleveur.

 

L'art de « faire un bon poulet » s'achève pour l'éleveur lorsqu'il a « une bête qui a du filet » et « une jolie veine », que tout est chair et graisse. « Une bête pleine », c'est une bête qui est faite en viande, « une bête qui a du filet » (les deux blancs qui existent sur les côtes du sternum de l'oiseau). Le bon état de développement de la chair d'une volaille est apprécié à l'aide du toucher. On tient la volaille par les ailes d'une main et, de l'autre, on tâte le corps des deux côtés du sternum. « Si c'est plat, ce n'est pas la peine ; si c'est plein, rond, s'il a du filet, on peut y aller. » Le bréchet (crête osseuse verticale sur la face externe du sternum) ne doit pas être saillant ; on doit sentir le moins possible les os sous la pression de la main (Boudol 1947).

 

La « jolie veine » est le signe du bon état d'engraissement de la volaille. C'est une veine en relief qui se trouve sous l'aile. Passée de la couleur rouge à la couleur blanche « puisque couverte de graisse », on doit l'apercevoir lorsqu'on tient la volaille par les ailes et que, tout en soufflant, on écarte, à l'aide des doigts, les plumes qui voilent cette veine immaculée.

 

Pour en arriver là, le travail commence pour l'éleveur dès l'arrivée des poussins à la ferme, à l'âge d'un jour. Ils sont élevés pendant cinq semaines au maximum dans un lieu clos, à proximité du foyer, sous la chaleur d'une éleveuse artificielle et nourris avec de l'« aliment composé » acheté dans le commerce. Tout mérite d'être surveillé : la température, les quantités de nourriture et d'eau disponibles, l'état de la litière, l'absence de prédateurs, la lumière.

 

Les poulets seront ensuite mis en liberté. Ils absorbent, en plus du mélange céréales/lait donné par l'éleveur, les vitamines et les matières azotées contenues dans la verdure et dans les animaux vivants (mollusques, insectes, etc.) qui se développent tout particulièrement dans le sol et le climat humide de la Bresse (sol argileux, imperméable aux eaux des pluies fréquentes). Chaque sujet dispose d'au moins dix mètres carrés de parcours herbeux.

 

L'éleveur doit agir en tenant compte des variables de la nature : saisons, aspect et comportement des poulets, présence de prédateurs, etc. En été, par exemple, contrairement à l'expression française, et bressane, « se coucher avec (quand) les poules », les éleveurs ne peuvent pas se mettre tôt au lit. Vers huit heures du soir, le champ est « tout blanc de poulets, et c'est là, alors là, qu'ils cassent la croûte », car les vers sortent de la terre à la tombée du jour. Le matin, par contre, il faut ouvrir les poulaillers le plus tôt possible car « le poulet, il adore partir le matin de bonne heure parce qu'il y a de la rosée, il y a des tas de petites bestioles et il fait frais ».

 

Après avoir passé un minimum de neuf semaines en liberté, les poulets ont enfin atteint un développement convenable. Ils ont constitué leur charpente et pris l'ampleur nécessaire. Leurs muscles se sont formés (Boudol 1947), « ils ont du filet ». L'achèvement de cette première étape, la formation de la chair, ne dépend pas seulement de la culture, du travail et de la volonté de l'être humain, mais aussi des qualités du terroir. Le savoir-faire bressan et les apports de la nature se conjuguent. Mme B. N. illustre cette idée : « J'ai de la famille qui habite en Côte-d'Or. Ils ont voulu essayer de faire du soi-disant poulet de Bresse. Ils ont acheté quelques poussins ici et puis ils les ont amenés chez eux. Ils les ont nourris avec du maïs, comme on les nourrit nous. Leurs poulets n'avaient pas ce goût qu'il y a ici. [...] Je trouve que le terrain... D'abord la Bresse, elle porte son nom. Il faut faire du poulet de Bresse en Bresse : Et puis en liberté... un parcours herbeux... C'est merveilleux ça : En plein air, tant de belle herbe... Ils ramassent tout ce dont ils ont besoin pour faire qu'ils soient aussi bons : Il n'y a pas à dire [rire] : C'est ça le poulet de Bresse : »

 

Un onctueux embonpoint

 

Si la chair reste encore en grande partie produit de la nature - l'homme ne maîtrisant l'élevage que partiellement - la graisse, résultat de la prochaine et dernière étape, l'engraissement, tient beaucoup plus au travail de l'éleveur. Elle s'élabore dans une enceinte bien close, l'épinette, qu'il contrôle entièrement. C'est là que l'on raffine pour fabriquer, en déformant la nature, un onctueux embonpoint. Après la période en liberté, les poulets sont donc placés dans des cages en bois montées sur pieds et divisées en compartiments, réunies dans une salle sombre et calme, à proximité du foyer. Ils y séjournent pendant huit à quinze jours. Mais, juste avant de les enfermer, l'éleveur a bagué chaque poulet. La bague porte son nom, son adresse et le nom Bresse. De même, il a coupé les pointes des ongles des poulets pour éviter qu'ils ne se griffent. « Une griffure c'est un déclassement, ce n'est plus un objet parfait » (un éleveur).

 

En épinette, l'éleveur préfère donner de la « pâtée » en opposition à l'alimentation sèche (mélange céréales/lait en poudre) donnée aux poulets en liberté. On dit que les poulets sont gourmands de la pâtée. Dans certaines fermes, on la prépare en mouillant le mélange céréales/lait en poudre avec de l'eau. Chez Mme B. N., elle est faite de céréales mouillées avec du lait de vache (caillé ou frais coupé avec de l'eau) produit à la ferme. Mme B. N. croit à la supériorité du lait de vache pour la finition : « Je trouve que le lait de vache blanchit le poulet. Ça lui donne une jolie veine ; ça l'engraisse bien. »

 

Certains éleveurs donnent de l'aliment cuit en épinette, notamment le blé. Le cuit est présent aussi dans la pâtée ébouillantée : « On met la farine dans un seau, puis on fait bouillir de l'eau que l'on vide dessus pour l'ébouillanter, et puis ça fait gonfler votre farine. Elle est cuite un peu et puis on met du lait. » Dans le discours de l'éleveur, le cuit peut être associé à l'humide (opposé du sec), dans la mesure où la cuisson lorsqu'il s'agit de bouillie nécessite l'adjonction d'eau : « On cuit du blé [...]. C'est quand même rafraîchissant, surtout quand il fait très chaud, le poulet mange mieux que du sec. »

 

En épinette, les poulets n'ont à manger que ce que l'éleveur leur apporte. Ils sont nourris à heures fixes. Mme B. N., ainsi que d'autres éleveurs, nourrit ses poulets « deux fois par jour, le matin et le soir. Il faut leur donner une bonne pâtée (pas trop), qu'ils la mangent quand même assez rapidement, qu'elle ne s'oxyde pas dans les mangeoires ». L'éleveur peut aussi varier la nourriture en épinette : « Quand ils sont variés, à notre impression, ils ont plus d'appétit. »

 

Après tant de soins, les poulets sortent de l'obscurité et du calme de la salle d'épinette, comme d'une cure de repos et de sommeil, avec « de belles veines », signe le plus sûr d'une chair « persillée » (parsemée d'infiltrations de graisse) et savoureuse. Si ces beaux poulets peuvent enfin partir chez le volailler, nous ne sommes pas pour cela au terme de l'exposé. L'art de faire une volaille grasse atteint son summum dans l'élevage du chapon - jeune coq châtré - et de la poularde - femelle qui n'a pas encore atteint la maturité sexuelle et n'est pas encore capable de pondre ; elle n'est pas châtrée comme certains le croient ; elle a seulement subi un engraissement intensif. Le gras est leur raison d'être.

 

La suite ICI 

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5 décembre 2018 3 05 /12 /décembre /2018 06:00
Scène de liesse sur la pelouse du stade France finale de la Coupe de la Ligue gagnée par le FC Gueugnon 2 à 0  contre le PSG

Scène de liesse sur la pelouse du stade France finale de la Coupe de la Ligue gagnée par le FC Gueugnon 2 à 0 contre le PSG

Dans mon dialogue avec mes lecteurs, un vigneron bourguignon, m’écrivait à propos d’un  article "NOS CAMPAGNES SE MEURENT" : À TONNERRE, LES "GILETS JAUNES" FONT ACTE DE PRÉSENCE ET DE DÉSESPOIR ICI 

 

« Moins de taxe, moins d'impôts, mais plus de service public. C'est bien parce que personne n'a voulu  trancher ce dilemme qu'on en est là. Et puis, tu as beau financer du social, ça ne redonne pas vie à une ville, à un canton. En rentrant de Bretagne, j'ai évité l'autoroute et traversé de la France dans la grande diagonale du désert. Ce n'est pas nouveau : déjà sous de Gaulle, on en parlait. Elle aboutit dans l'Yonne. Un département de misère : le plus bas niveau général de France. Un élu m'en parlait une fois : culturellement le désert. Économiquement, le désert. Politiquement le désert. C'est le résultat aussi d'une approche un peu trop préservée : Auxerre en son temps a refusé le train. Il fait venir des ouvriers, des gauchistes. »

 

« La mort des campagnes : elle n'est pas nouvelle non  plus. A quoi est-elle due ? Autant à l'attentisme des autochtones qu'à l'incurie des élus, qui ne savent plus quoi faire comme disait un artiste engagé. Mais les politiques n'ont pas à savoir quoi faire. Nous sommes tous des politiques. Un exemple : les beaux-parents de mon frère habitaient Gueugnon. Petite ville industrielle, en train de mourir. Est proposée l'installation d'une usine. Manif, pétitions : elle n'est pas construite. Revendication : les maisons aujourd'hui ne valent plus rien. Il y a une inculture économique consternante chez les Français : tout ne se résout pas par la tête et la volonté. »

 

De ma Vendée crottée j’ai connu Gueugnon bien avant la Bourgogne des vignobles renommés. Comment : par le football, le FC Gueugnon avec ses  couleurs jaune et bleu.

 

Ce club, fondé en 1940 c’est le tissu industriel local qui est à la base de cette terre de football. Pensionnaire pendant 37 ans de D2 (un éphémère passage en L1 en 1995-1996) et vainqueur de la Coupe de la Ligue en 2000 face au PSG (2-0). Le dernier moment de gloire avant une descente aux enfers inexorable.

 

Pelouse impeccable, 14000 places assises dont une tribune refaite à neuf en 2008. « Qu'on explique aux contribuables que la tribune à 11 M€ ne va servir à rien! » tempête Vairelles, l'ex-manageur-joueur-actionnaire principal.

 

« Je pense qu'on ne s'en remettra jamais. Déjà, quand les forges ont fermé les robinets, ça a fait mal. »

 

C'était il y a cinq, six ans, Arcelor-Mittal, propriétaire des usines, entamait alors un processus de désengagement dans le club. Puis son repreneur Aperam a poursuivi sur cette voie.

 

L’histoire du Football Club de Gueugnon ICI 

 

 

Durant les années 1950, l’usine des Forges se modernisa et atteint le summum de sa renommée, devenant no 1 mondial de l’acier inoxydable et embauchant 3 750 salariés vers 1960. Ce qui permit à la ville de Gueugnon, intimement liée au dynamisme des Forges, de connaître, elle aussi, son âge d’or.

 

C’est à partir de 1950 et ce jusqu’à la fin des années 1960 que furent construits un groupe d’immeubles dans le quartier des Gachères, la cité HLM des Riaux, route de Toulon-sur-Arroux, et celle des Bruyères, route de Digoin, soit des centaines de logements qui vinrent s’ajouter à l’offre immobilière de la ville, ceci afin de répondre aux demandes qui affluaient. En effet, la population ne cessa de croître jusqu'à atteindre son maximum en 1975, avec près de 11 000 habitants.

 

Gueugnon a vécu, à cette époque, une grande période de constructions collectives et individuelles. Les finances de la commune étaient presque entièrement consacrées à ces travaux et aux aménagements nécessaires : eau, gaz, électricité, égouts et voies d’accès aux nouveaux quartiers.

 

En 1977, le gouvernement Giscard-Barre décida une prise de participation majoritaire de l’État sur l’essentiel de la sidérurgie française, afin de redresser cette industrie de base.

 

Cependant, face aux succès des résultats de l’usine de Gueugnon, contrairement à la plupart des autres usines sidérurgiques qui connaissaient un début de déclin, les de Wendel furent autorisés à conserver quelques entreprises regroupées au sein d’une holding appelé CGIP, dont les Forges de Gueugnon faisaient partie.

 

Cette situation porta alors un rude coup aux forges de Gueugnon. L’entreprise se trouvait désormais impliquée dans une politique sidérurgique nationale sans en recevoir les crédits d’aménagement. Rapidement, les Wendel tentèrent de se désengager de la branche sidérurgique. Une grande partie du parc immobilier des Forges, soit près de 1 200 logements, fut vendue. Une énorme part du patrimoine des Forges fut alors abandonnée.

 

En 1976, une page historique des Forges de Gueugnon se tourna. Le laminage à chaud qui avait marqué pendant plus d’un siècle l’histoire des Forges se termina avec la fermeture des deux dernières lignes employant ce type de production.

 

En 1980, la filiale « Equipinox », située près du quartier des Gachères et produisant des enjoliveurs et des plats en inox haut de gamme fut fermée. Le personnel, en majorité féminin, fut intégré aux Forges.

 

Le 1er janvier 1983, les Forges de Gueugnon furent intégrées à « Ugine Aciers », filiale de Sacilor, et prirent le nom d’ « Ugine Gueugnon SA », société au sein de laquelle la CGIP des Wendel ne détenait plus qu’une minorité d’actions.

 

Le 1er janvier 1991, Ugine aciers de Châtillon et de Gueugnon devint Ugine SA qui comprend, outre l’ensemble de la branche aciers inox et produits plats spéciaux du groupe, celle des produits longs inox : Ugine-Savoie et Imphy SA devinrent alors des filiales d’Ugine SA. Le nouvel ensemble, avec ses autres filiales françaises et étrangères, représentait 12 000 personnes employées et son chiffre d’affaires était d’environ 15 milliards de francs.

 

Le 28 janvier 2006, Mittal Steel Company fit une offre publique d'achat hostile sur Arcelor pour 18,6 milliards d'euros alors qu’Arcelor n’avait que 17,6 milliards d'euros de fonds propres. Fin février 2006, après une hausse d'Arcelor, la capitalisation boursière des deux groupes était presque identique.

 

Le nouveau groupe Arcelor-Mittal devenait ainsi le numéro un mondial de la sidérurgie, avec 320 000 employés dans plus de 60 pays. Son chiffre d’affaires passa à 70 milliards de dollars. Le groupe est dirigé par le milliardaire indien Lakshmi Mittal, cinquième homme le plus riche du monde selon le magazine Forbes en mars 2007.

 

Au 31 décembre 2006, les forges de Gueugnon comptaient 1 173 salariés

 

En septembre 2011, l'effectif demeure toujours en baisse à 940 salariés. La capacité de production est de 340 000 tonnes d'acier par an. La production se concentre sur les bobines d'acier (80 % de la production).

 

La société Aperam Stainless France SAS est implantée place des Forges, à Gueugnon. C’est l’un des plus gros employeurs du département de Saône-et-Loire, avec 750 salariés.

 

Aperam produit de l'acier laminé qui est utilisé notamment dans l'aérospatial, l'automobile, le secteur médical, le bâtiment…

 

L’usine Aperam mise en demeure pour des rejets polluants illégaux

 

Que reproche-t-on à la tôlerie industrielle Aperam ? ICI  

 

Les Gilets Jaunes sont les victimes indirectes de la désindustrialisation de la France.

 

La nouvelle taxe sur les carburants menace de faire exploser le pays. De partout s’élève un même  cri : « Trop, c’est trop ! ». Les Français se sentent écrasés par les impôts et les taxes, et 63 % d’entre eux déclarent  « avoir du mal à finir les fins de mois » (baromètre Kantar-Sofres).C’est, en effet, en France que la pression fiscale est, aujourd’hui, en Europe, la plus importante, les prélèvements obligatoires atteignant environ 48% du PIB, alors que la moyenne des pays de l’UE est à environ 39 % .

 

Cette pression fiscale anormale est d’autant plus mal ressentie que le PIB /tête des Français est très loin d’être un des plus élevés d’Europe. Nous en sommes à 38.476 US$/tête actuellement, alors que l’Allemagne en est à 44.469 dollars, le Danemark à 56.307 dollars, l’Irlande à 69.330 dollars, et la  Suisse à  80.189 dollars. La France, dans l’UE, se trouve seulement  en 11e position, selon cet indicateur de richesse, après avoir été dans les 3 premiers de 1960 à 1974.

 

Les gilets jaunes qui ont déclenché cette Jacquerie ne comprennent pas les raisons pour lesquelles ils ont des problèmes de fin de mois, et ils se retournent donc contre le jeune président pour lui demander des comptes. Partout fleurissent des pancartes « Macron démission ». Notre Président a commis deux erreurs majeures : d’une part, il n’a pas pris la précaution d’expliquer aux Français,  en prenant en charge les destinées du pays, l’état réel dans lequel se trouve l’économie du pays, et, d’autre part, pour lancer son train de réformes,  il a pris le problème à l’envers.

 

La France paye chèrement, aujourd’hui, les erreurs des gouvernements qui, depuis la fin de la période des Trente Glorieuses, ont laissé décliner notre secteur industriel : celui-ci ne représente plus, aujourd’hui, qu’à peine plus de 10 % du PIB, alors qu’il devrait se situer à, au moins, 18 %, la norme européenne étant à 20 %. Les effectifs de notre secteur industriel sont passés de 6,8 millions de personnes en 1980  à 2,7 actuellement, et l’on doit considérer qu’il nous manque environ 1,8 million de personnes  dans ce secteur. Si ces effectifs existaient, le secteur des services se trouverait renforcé de 3,6 millions d’emplois supplémentaires, les économistes considérant qu’un emploi dans le secteur secondaire induit, au moins, deux emplois dans le secteur tertiaire. Le PIB de notre secteur industriel se trouverait majoré de 180 milliards €, et celui des services de 232 milliards € (car ces derniers ne seraient pas au même taux horaire), soit au total 412 milliards €. C’est le montant qui manque actuellement au PIB de notre pays, du fait des erreurs passées. Le PIB/tête des Français se situerait ainsi au  niveau de celui des Allemands. Tout ceci, malheureusement,  n’est pas été dit  aux Français, d’où la Jacquerie qui ébranle le pays. Emmanuel Macron n’a pas voulu expliquer la situation très difficile dans laquelle se trouve l’économie du pays, sans doute pour ne pas dégrader encore l’image de la France  dans le monde.

 

La suite ICI 

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4 décembre 2018 2 04 /12 /décembre /2018 06:00
En 1697, John Locke posait la question « Que faire des pauvres ? » en 2016 dans « Que faire des classes moyennes ? » Nathalie Quintane, nous dit que le véritable problème des sociétés modernes, ce sont les classes moyennes

Jacques Julliard: ancien de la 2e gauche écrit dans le Figaro à propos du mouvement des gilets jaunes «Le Mai 68 des classes moyennes»

 

Gilets jaunes : Macron promet «une réponse claire» aux «classes moyennes et laborieuses» ICI  

 

Je suis un acheteur compulsif de livres en librairie et il y a plus d’un mois j’ai acheté un petit livre « Que faire des classes moyennes ? » de Nathalie Quintane publié chez P.O.L en novembre 2016

 

 

Je l’ai lu et, avant qu’il ne rejoigne la pile des livres lus, je me suis dit que je pondrais une chronique ; ce que je n’ai pas fait mais l’actualité me l’a remis en mémoire.

 

Comme je n’allais pas le relire pour me le remettre en mémoire je vous propose des extraits de critiques :

 

  • « Que faire des classes moyennes ? »

 

« Est un livre terrible et hilarant, qui pose toutes les questions que « nous », classes moyennes, évitons soigneusement, mais que les élections (celle de Trump, par exemple) résolvent dans la colère. »

Eric Loret, Le monde des livres, 2 décembre 2016

 

  • « Nathalie Quintane publie chez P.O.L. un savoureux petit livre mi-essai, mi-pamphlet - intitulé Que faire des classes moyennes?. Elle en profite pour rappeler que la valeur travail pose cette équivalence «que je suis mon métier, et que sans mon métier je suis rien. Je travaille à Roquefort dans une boîte et je dis nous quand je parle de moi; je suis entrepreneur, agent de surface, comptable, secrétaire, juriste, magasinier, et je dis nous quand je parle de moi. Mais ce nous, ce n’est pas moi et ce n’est pas nous. Ce "nous", c’est la boîte».

Corina Ciocarli, Le jeudi, 30 novembre 2016

 

  • « Le Brexit, I’élection de Trump, la montée de I’extrême droite en Europe... Et si tout était de la faute des classes moyennes ? Mais alors, qu’en faire ? C’est I’une des questions que pose Nathalie Quintane dans un drôle de petit livre qui comme tous ses textes précédents (dès Chaussure en 1997), s’annonce comme une tentative d’épuisement d’un sujet... épuisant, puisqu’il s’agit de la classe moyenne, que seul peutêtre un Michel Houellebecq a si bien su mettre en scène dans ses romans. Une classe aux contours parfois flous mais une classe aujourd’hui majoritaire souvent issue du milieu ouvrier, et qui aurait eu I’illusion d’avoir évolué socialement grâce à la possibilité d’acquérir certains objets de consommation - "A partir du milieu du XIXe siècle l’achat de l’armoire à glace signe I ’entrée dans la classe moyenne c’est-à-dire qu’on achète une armoire à glace pour entrer dans la classe moyenne."

Nelly Kaprielian, les Inrockuptibles, 29 novembre 2016

 

  • « Ponctué d’autobiographie, bourré de colère, de questions et de drôlerie, avec sa manière méthodique de tout mélanger, «Que faire des classes moyennes?» est un essai excitant et excité, véritable antidote à l’avalanche actuelle de livres politiques tiédasses. Et si elle précise que la visée de son texte n’est pas de rigoler, difficile de résister à ce numéro de professeur Foldingue, ou elle déploie les modèles en bouteille, en sablier ou en montgolfière, les salaires médians, Guy Debord, Barbara Cartland et les pavillons de banlieue. »

 

Marguerite Baux, ELLE, 25 novembre 2016

  • « Le livre est une débonnaire et agressive petite symphonie de musique concrète. Il accueille et mélange les tonalités et registres du bovarysme social, ses illusions, ses déceptions, ses ressentiments, son arsenic. Ce n’est ni un essai ni un pamphlet : sa mayonnaise est huilée par l’autobiographie, une soudaine et familière brutalité pour bien marquer qu’ici, on ne nous la fait pas, l’argent c’est d’abord du pognon. L’auteure a bien de la colère. Cette colère passe par l’oreille et par le jeu.

Le résultat est finalement une preuve de la générosité, volontaire ou pas, des classes moyennes : elles ont engendré de beaux ingrats, de subtils meurtriers comme Quintane, qui le sait et le dit : «Par tout ce qui précède, je pense appartenir à la classe moyenne, et par conséquent ce texte est, d’une certaine manière, un produit de la classe moyenne. Il a d’ailleurs quelque chose de plastronnant - un mot qui conviendrait pour en décrire la majeure partie, jusqu’ici, est qu’il plastronne, au sens où il gonfle un peu le torse, peut-être pour se protéger la poitrine.» Bref, il est d’extrême gauche. Les moments où elle nous permet de l’oublier, par exemple lorsqu’elle parle d’une grand-mère, sont les plus sensibles. »

Philippe Lançon Libération Next, 2 novembre 2016

 

Quand «ce qu’il faut de courage» ne marche plus, c’est «ça suffit» qui s’installe :

 

«Ça suffit le travail, ça suffit les grèves, ça suffit les syndicats, ça suffit les politiques et ça suffit la politique, ça suffit les curés, ça suffit les plombiers, ça suffit les Polonais, ça suffit les Bulgares, ça suffit les Biélorusses, ça suffit les Roumains et puis ça suffit les Roms, ça suffit les Arabes, ah oui alors ça suffit les Arabes, ça suffit les Arabes nés en Arabie et ça suffit encore plus les Arabes nés en France, qu’ils aillent naître ailleurs, ou mieux : qu’ils ne naissent pas du tout

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3 décembre 2018 1 03 /12 /décembre /2018 06:00
Qui a osé dire que je faisais du Bordeaux bashing : il a 30 ans un vin d'une grande jeunesse « au baron de Pichon-Longueville 1988 Pauillac-Médoc »

Je ne suis, ni Bob Parker le King de la note sur 100, ni le Jacques Dupont l’arpenteur des terroirs de Bordeaux, mais rien qu’un pauvre licheur de vins nu roturiers, un qui ne fait que critiquer cette pauvre place de Bordeaux pour le plus grand désespoir du président Farge.

 

Et pourtant ma cave regorge, j’exagère, de GCC, des classés 1855 surtout.

 

Ils dorment du sommeil du juste.

 

Et puis un soir me rendant à un dîner en territoire naturiste m’est venu à l’idée d’y apporter une boutanche bien poussiéreuse. J’adore le risque.

 

Mon choix s’est porté sur un Pichon-Baron 94 « un vin magnifique, d’une grande retenue, tendu comme un câble de téléphérique, rigoureux comme Calvin rejetant la messe. Si c’était un tableau, ce serait un paysage de Nicolas de Staël : jamais rien de trop. »

 

Du grand Jacques Dupont, bravo, bravissimo !

 

 

J’étais dans mes petits souliers, je me disais je cours au bide face à ces palais habitués aux turpitudes des vins nu, pour faire dans le style du Jacques je risquais une Saint-Barthélemy naturiste, une excommunication en bonne et due forme...

 

 La bouteille fut ouverte, servie sans carafage.

 

« C’est un honneur et un plaisir pour moi de vous commenter ce Pichon-Longueville 1988, pour deux raisons sur lesquelles je reviendrai.

 

C’est au 17ème Siècle que Jacques Pichon, Baron de Longueville, a décidé d’établir cette belle propriété. C’est sur les conseils avisés de son beau-père, le Marquis de Rauzan, surnommé « le sorcier des vignes » parce qu’il avait un vrai talent et les plus belles propriétés de la rive gauche, que Jacques Pichon a suivi son exemple. Rapidement ses vignes ont été aussi célèbres que celles de Latour. Il vendait ses tonneaux de vin 300 livres or, ce qui à l’époque était un record. La renommée du Château Pichon-Longueville s’est poursuivie jusqu’à nos jours, parce qu’il a eu la chance de tomber entre les mains d’un institutionnel, mais d’un institutionnel avisé, le groupe AXA, avec Claude Bébéar qui est un grand admirateur des vins de Bordeaux et qui a su s’entourer d’un très bon vigneron, Daniel Llose. »

Commentaire de Madame Florence Cathiard le 31/10/2002 à l’Académie des Vins de Bordeaux.

 

Je suis un coquin, j’entretiens le suspens.

 

« Déjà propriétaire d’un vaste vignoble à Margaux, qui donnera naissance à Rauzan Gassies et Rauzan Ségla, Pierre Desmezures de Rauzan, négociant et fermier de Latour, achète en 1689 des vignes au sud de Pauillac à proximité de Latour. Ces vignes entrent dans la dot de sa fille Thérèse lorsqu’elle épouse peu après Jacques Pichon de Longueville. Le domaine reste tel quel dans la famille Pichon pendant plusieurs générations et la réputation de ses vins est alors établie. En 1850, par application des nouvelles règles successorales, la propriété est divisée en 2 parties, 2/5 revenant au Baron Raoul Pichon de Longueville pour donner Pichon Baron et le reste aux 3 filles, devenant Pichon Comtesse. Le Baron Raoul fait construire alors le romantique château que nous connaissons aujourd’hui.

 

C’est aussi à cette époque que le vin se voit officiellement classé 2ème Grand Cru du Médoc. En 1933, les héritiers Pichon sont contraints de vendre la propriété qui est acquise par Jean Bouteiller. Celui-ci maintient la réputation du vin durant des années mais le domaine, en difficulté, décline dans les années 1960 et 70 et est finalement vendu en 1987 à la compagnie d’assurances Axa qui développe alors ses investissements dans le vin. Axa s’appuie sur Jean-Michel Cazes, Directeur des Vignobles, assisté de Daniel Llose sur le plan technique. Des importants investissements sont réalisés avec reconstruction complète du cuvier et des chais. Cet impressionnant ensemble ultramoderne en partie souterrain est situé face au château qui, lui aussi, est magnifiquement rénové. Il vient d’être complété par la construction d’un nouveau chai destiné à faciliter et améliorer la production. »

 

Retour à l’historien Dupont du Point qui nous dit que la gestion technique du château est assurée par Jean-René Matignon « doux et modeste expert qui a considérablement réduit les rendements ces dernières années, renforçant le côté « pur Pauillac » de Pichon, c’est-à-dire un tiers d’austérité, un tiers de densité, un tiers d’élégance. »

 

Tout l’art de la formule ciselée au poinçon ce bas-bourguignon.

 

Cependant mon 1994 n’est pas goûté par lui dans sa somme bordelaise alors je me vois contraint de m’adresser à un LPVien qui le 05 Septembre 2014 écrivait à propos de ce millésime :

 

Bouchon parfait, non imbibé, souple.

 

Robe rubis, non tuilé, légèrement trouble.

 

Nez sur le miel cristallisé, le tabac, le cèdre. Superbe!

 

En bouche, les tanins sont merveilleusement fondus, c'est élégant, précis, pur...

 

Le vin a de la patine, le toucher de bouche est d'un soyeux incroyable!

 

Et surtout quelle longueur! On croit que le vin va connaitre un creux en milieu de bouche mais l'acidité légère redynamise l'ensemble pour envoyer la bouche dans un autre monde.

 

Un vin d'une grande jeunesse.

 

4 ans après c’est raccord.

 

 

Je fais un tabac, je croule sous les applaudissements, on m'adule, elle m'embrasse, le CIVB m’absout de mes fautes sans que fasse acte de contrition, me batte la coulpe, je vais enfin  pouvoir revenir à Bordeaux la tête haute, me pavaner dans les châteaux, recevoir la bénédiction de l'archevêque de Bazas&Bordeaux qui adore tant les cloches sonnant l'Angélus.

 

Dernier renseignement : je consulte la cave des Millésimes le Baron Pichon-Longueville 1988 est coté à 174 euros.

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 07:00
Courte lettre du dimanche aux français si versatiles !

Oui, j’ose, je me la joue Tonton qui, le 7 avril 1988, pendant la campagne Présidentielle, dites de la « France Unie » a publié une lettre aux français. François Mitterrand y dressait son bilan et développait surtout son programme en 18.000 mots et 7 chapitres. ICI 

 

 

Même si ça va faire hurler les hurleurs qui vont m’accuser d’avoir le melon, j’ai contribué à l’écriture de la partie agricole de ce courrier (j’ai le double dans mes archives).

 

Je ne m’adresse pas ici aux gilets jaunes dont je vous transmets les 42 revendications.

 

Baisse des taxes, référendum populaire, zéro SDF... 

ICI

 

C’est aux autres, ceux qui bien au chaud massivement disent soutenir le mouvement que je m’adresse. Selon un sondage Odoxa paru le 28 novembre, 84% des Français soutiennent le mouvement des "gilets jaunes".

 

Souvenez-vous du temps où, avant l’échéance présidentielle, votre détestation pour le sortant lui a fait jeter l’éponge ouvrant ainsi la voie à son ex-conseiller et Ministre.

 

Souvenez-vous du surprenant triomphe de François Fillon aux primaires de la droite, il serait sans aucun doute votre Président, appliquant une sacré purge à la dépense publique et une belle ponction via la TVA, s’il n’avait pas employé madame à ne rien faire sur le dos des contribuables et s’être fait acheté quelques costards de luxe.

 

Vous ne l’avez placé que 3e dans la compétition du premier tour.

 

Vous lui avez préféré la fille du seigneur de Montretout qui ensuite s’est ridiculisée par son incompétence lors du débat à la télé.

 

Une question : pourquoi n’avez-vous pas voté plus massivement pour l’insoumis, lui qui se dit aujourd’hui en communion avec les gilets jaunes, afin de le placer à cette fameuse seconde place ?

 

Et le petit Hamon, au programme pourtant aguichant, quelle claque vous lui avez balancé !

 

Pour l’anecdote, le gilet jaune autoproclamé de Debout la France n’a pas été plébiscité.

 

Bref, vous avez élu Macron dont le programme, sans conteste, penchait plus à droite qu’à gauche.

 

Que ce jeune garçon n’ai pas compris les ressorts profonds du pays, qu'il se soit comporté avec arrogance, j’en conviens aisément. À sa décharge, ce pays est un tel nœud de contradictions que je voudrais bien savoir qui, dans le personnel politique existant, apportera une réponse satisfaisante ?

 

Alors vous souhaitez aujourd’hui le faire plier, dégager ses députés godillots, le dégager lui, pourquoi pas !

 

Et après ?

 

Qui ?

 

Un scénario post-68 la France de la peur en appelle à Wauquiez ou à Le Pen qui se disent disponibles pour tirer les marrons du feu.

 

Le grand soir des Insoumis, une nuit debout réussie débouchant sur un grand mouvement de solidarité de votre part pour enfin faire triompher la justice sociale. Je ne suis pas sûr que la ponction effectuée dans votre porte-monnaie vous fasse applaudir.

 

Pour ma part, vieux que je suis, lourdement ponctionné de CSG sans râler, je ne serai d’aucun de ces scénarii et comme je n’ai aucun homme providentiel (désolé pour ce masculin) sous la main j’irai à la pêche.

 

Ce sera la première fois de ma vie civique, j’assume ce retrait face à l’océan de versatilité de nous les français. Je me mets dans le panier même si je suis resté attaché à mes engagements de jeunesse, mes fidélités politiques, je suis dans le système, je suis comme vous le système.

 

La France est, au fond un vieux pays conservateur, rentier, qui, de temps à autre, se donne des frissons, descend dans la rue, de nos jours de moins en moins nombreux vous préférez la force du like sur Facebook au pavé, vous réclamez le changement mais c’est essentiellement pour les autres, je m’adresse ici à une grande majorité qui ne vit pas, comme moi, dans la hantise des fins de mois, dans le déclassement professionnel, mais qui fait partie de ces 80% qui soutiennent le mouvement des gilets jaunes.

 

Au passage, quelle honte que le soutien de ces people au mouvement, si, comme pour les politiques, vous leur demandiez la publication de leur patrimoine ce serait une mesure de salut public.

 

Du côté de Hollande et de Ségolène on atteint le tréfonds du fonds du cynisme politique, ça ne me surprends pas.

 

Bon premier dimanche de décembre.

 

Je ne reviendrai plus sur ce sujet, je n’ai pas à me plaindre, ni à me victimiser, ce qui me reste de route à faire je le ferai en m’accrochant au collectif, à la paix, aux vrais compromis qui font le vivre ensemble, chez soi ou dans la société. J’essaie de balayer devant ma porte en évitant le y’a ka faut kon…

 

« Comment oser prendre des engagements lorsqu'on doute si l'on sera à même de les tenir? (...) D'où mes retraits, mes dérobades, mes fuites, mon apparente versatilité »

Gide, Ainsi soit-il, 1951, p. 1203.

"NOS CAMPAGNES SE MEURENT" : À TONNERRE, LES "GILETS JAUNES" FONT ACTE DE PRÉSENCE ET DE DÉSESPOIR

ICI 

 

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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 06:00
Mon beau sapin de Noël dopé aux pesticides !

Mais que fait Isabelle Saporta sur RTL !

 

J’attends quelle ferraille, qu’elle taille en pièces les empoisonneurs, pour défendre la santé de nos enfants.

 

En effet, que lis-je, loin du glyphosate, ce Round Up cher aux cœurs de certains agriculteurs et viticulteurs :

Complainte d’un pauvre arbre de Noël élevé en rang comme un vulgaire poireau, biberonné à l’engrais, fauché en pleine jeunesse pour éblouir les enfants, et qui finira tout sec sur le trottoir…

 

Comme 80 % des six millions de sapins de Noël vendus chaque année en France, je suis un Nordmann. Contrairement à l’épicéa (et ses 20 % de parts de marché, donc), je n’ai pas cette bonne odeur de résine, mais moi, je ne perds pas mes aiguilles ! Ma graine a été récoltée sur les cônes des hautes branches d’un sapin du genre Abies nordmanniana, là-bas en Géorgie. Mais je suis né en France, dans une pépinière du côté de Dijon. D’abord, j’ai passé deux ans de proximité intense avec mes petits frères de semis, puis deux ans encore en godet. Arrosé, traité, engraissé, re-traité, une vraie vie de patachon. A 4 ans, alors que j’avoisinais les 10 centimètres, j’ai été vendu, racines nues, à un agriculteur — et non pas à un forestier, ma production étant assimilée à celle des fleurs coupées — qui m’a repiqué en rang serré à raison de huit mille de mes semblables à l’hectare.

 

Comme un sapin sur quatre élevé en France, je pousse dans le Morvan. Un joli coin vallonné d’un pays de bocage, à quelque 700 mètres d’altitude, près du lac des Settons (Nièvre). Dans notre pré, on élevait auparavant du charolais. Mais le sapin, ça rapporte plus, presque autant que la vigne, dans les 4 000 euros à l’hectare. Tant pis si ça bouleverse le paysage. Notre champ a été préalablement labouré et traité au glyphosate pour que les herbes folles ne gênent ni ma croissance, ni l’épanouissement régulier de mes branches basses.

 

« Le sapin bio, on n’y est pas encore », Sylvain Mathieu, président du parc naturel régional du Morvan.

 

La suite ICI 

 

C'est l'Agence Régionale de Santé qui a découvert ces traces de pesticides en 2010 dans cette commune de 250 habitants près de Saulieu. Le produit incriminé est du "dichlobénil", un puissant herbicide, possible cancérogène, interdit en France depuis 2012. Depuis cette pollution, constatée il y a 6 ans, l'ARS a mis en place un traitement de l'eau aux charbons actifs, un traitement toujours en cours, pour que les habitants puissent continuer à consommer cette eau. Selon Maryse Bollengier, maire de Champeau-en-Morvan, grâce à une collaboration avec la maison du parc, basée à Saint-Brisson à quelques kilomètres de là, dans la Nièvre, les producteurs de sapins de Noël ont tous été sensibilisés à ce problème.

 

Selon la version officielle de l'ARS, le "dichlobénil" étant interdit depuis plusieurs années, cela veut dire que les doses retrouvées à Champeau-en-Morvan, proviennent de restes de ce produit utilisé avant l'interdiction. Une pollution rémanente, dont on essaie de se débarrasser depuis six ans. L'histoire du Morvan et des sapins de Noël est une histoire récente. Puisque les premiers sapins de Noël y ont été plantés en 1939. Nordman, épicéa commun, leur exploitation a ensuite explosé après-guerre. Aujourd'hui 1/5ème des 5,4 millions de sapins vendus en France ont poussé dans cette région sur un territoire d'environ 1.500 hectares.

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1 décembre 2018 6 01 /12 /décembre /2018 06:00
L’antre du Lapin Blanc mène à tout y compris à l’Ecole Normale supérieure de la rue d’Ulm, j’y étais hier au soir pour 1 colloque Sauvegarde de la biodiversité et démocratie : les enjeux d’une transformation et, à mon grand regret, je n’y ai pas croisé le fantôme d’ « Althusser à rien »

Parmi la foule immense de mes lecteurs fidèles se détache un certain PAX qui, accompagné de sa légitime épouse, se hissa un beau soir jusque en haut de la côte de Ménilmontant pour se restaurer au Lapin Blanc de la Claire qui maintenant s’initie à la culture des carottes et des navets.

 

En ce haut-lieu incertain, aujourd’hui disparu, autour de verres de vin nu, de solides nourritures, se tissèrent des amitiés, se nouèrent des liens entre des « gens », comme le dit Mélenchon, qui ne se seraient jamais rencontrés si cette tanière d’altitude, ce bouiboui, ce rade, n’avait pas existé.

 

C’est ainsi que votre serviteur y a rencontré un bel esprit, de la bonne graine d’intellectuel, répondant au nom de Jérémie Ferrer­ Bartomeu, pour faire court : comment un vieux rocardien non révisé pouvait-il cohabiter avec un jeune tenant de la nuit debout ?

 

Mystère des atomes crochus, d’une forme de respect mutuel, de jeu de l’esprit, bref le sieur Jérémie Ferrer ­Bartomeu et moi sommes amis sur Face de Bouc où nous échangeons des plaisanteries de garçon de bain à propos du poireau du 78 rue de Varenne.

 

L’autre matin, ce coquin m’a hameçonné sur Face de Bouc pour que j’aille à un colloque :

 

Sauvegarde de la biodiversité et démocratie : les enjeux d’une transformation

 

Le Jeudi 29 novembre à 19h00 Salle Dussane, 45 rue d’Ulm à l’Ecole Normale Supérieure

 

Avec :

Bruno David, paléontologue et président du Museum national d’histoire naturelle

Barbara Pompili, députée LREM de la Somme et présidente de la Commission du développement durable et à l’aménagement du territoire

 

Après moult échanges j’ai cédé en me disant qu’aller respirer l’air de Normale Sup me ferait du bien.

 

D’un côté, les populations de vertébrés ont diminué de 60% depuis 1970 et les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse, une baisse d’environ un tiers depuis 1990. Un océan de plastique est né au milieu du Pacifique. Le dernier rapport du GIEC explique, lui, que même si l’accord de Paris était respecté, les conséquences du réchauffement climatique seront catastrophiques.

 

De l’autre, la programmation pluriannuelle de l’Énergie va être révélée, la loi Alimentation a été votée, mais pas l’interdiction du glyphosate, qui le sera cependant d’ici la fin du quinquennat si l’on en croit les engagements de l’exécutif. Quant à la hausse des prix des carburants polluants, elle suscite une levée de bouclier d’une ampleur inattendue.

 

Le politique a-t-il pris la mesure de l’enjeu ? Dispose-t-il seulement des leviers pour mener une action réellement efficace lorsqu’il s’agit de sauvegarder l’avenir de l’humanité en préservant son milieu naturel ?

 

En effet, face à cet enjeu global, que peut le politique à l’échelle nationale ? Peut-on encore changer de modèle agricole ? Faut-il mettre en cause le modèle économique dominant comme l’a déclaré Nicolas Hulot lors de sa fracassante et médiatique démission ?

 

Sommes-nous réellement entrés dans l’ère de l’anthropocène, ce nouvel âge géologique où les activités humaines sont le principal moteur du changement ? Peut-être faut-il même parler de « capitalocène », où le capitalisme serait seul responsable, et appeler à un changement radical des modes de production ?

 

En matière d’environnement, comme sur les autres sujets, il faut que les différents secteurs de la société puissent faire valoir leurs intérêts particuliers auprès des décideurs politiques. C’est le propre du débat démocratique et de l’élaboration des normes communes. Mais quelle est la limite entre la légitime prise en compte des intérêts privés et la soumission à des groupes de pression organisés qui détournent l’action politique à leur profit par un lobbying intense et toujours plus efficace ?

 

Autant de questions qui touchent non seulement aux fondements de nos sociétés démocratiques, mais à la possibilité même de leur pérennité. L’enjeu, au fond, c’est notre disparition en tant qu’espèce. L’effondrement a-t-il déjà eu lieu, peuton encore nourrir quelque espoir de changer le cours des choses ?

 

ICI 

 

 La rue d’Ulm est à 10 mn à vélo de chez moi.

 

Cette rue éveille en moi des souvenirs personnels, l’Institut Curie, j’arrive devant le 45 et je constate que les jeunes pousses au crane bien fait sont des adeptes du vélo, ça me rassure.

 

J’entre dans le Saint des Saints, fais une photo avant de gagner le couloir où s’étend une queue d’attente.

 

 

Sur le mur une belle affiche. Je plaisante avec les deux jeunes, une fille et un garçon, qui me précèdent « Faire la queue ça me rappelle les beaux jours de l’URSS… » J’ajoute pour rassurer le garçon « Bien sûr vous n’avez pas connu l’URSS… » Il sourit avant de me répondre « Vous êtes libéral… » Je lui réponds que non, et lui offre un petit laïus sur le socialisme réel au bilan globalement positif. La jeune fille ne dit rien, c’est le garçon qui me pose des questions et j’y réponds volontiers sans me la jouer vieux sage.

 

Bref, nous pénétrons enfin dans la salle, madame Pompili nous annonce-t-on aura un peu de retard.

 

La salle s’emplit de  jeunes têtes bien faites, je dois être le patriarche de la séance.

 

Le colloque commence par les présentations d’usage, très universitaires, je me dis que je vais prendre des notes. Ce que je fais.

 

 

Le Président du Muséum est précis et concis ; madame Pompili, pour être gentil, nous sert un petit discours d’élue de la majorité après avoir été secrétaire d’Etat à la biodiversité sous le mandat du gros Flamby qui fait maintenant l’intéressant avec les gilets jaunes ; normal pour un pratiquant assidu de scooter.

 

Ce discours, très jérémiades, me chauffe les oreilles, je rumine et lorsque vient le temps du dialogue avec la salle je dégaine une question qui ravit ce diable de Jérémie. Je ne vous en donnerai pas la teneur afin de satisfaire ceux qui me reproche de trop ramener ma fraise et d’étaler mon expérience, de nos jours ce n’est plus de saison.

 

 

Les questions des jeunes gens sont pertinentes, je goûte sans retenue le plaisir de me faire du bien à la tête.

 

Tout à la fin, je salue Nicolas Iommi Amunategui le frère d’Antonin et Olivier Christin, directeur du CEDRE, ancien élève de l’ENS, professeur d’histoire moderne à l’Université de Neuchâtel, Directeur d’études à l’EPHE et ancien président de l’université de Lyon 2.

 

Et puis Jérémie me dis, et si tu venais dîner avec nous ? J’hésite, me retrouver au milieu de si beaux esprits. C’est au Mauzac , alors je dis oui.

 

On se met à table, nous sommes rejoints par Ariane Chemin du Monde et, bien sûr, l’essentiel de la conversation tourne autour des gilets jaunes. J’écoute, oui j’écoute, ça m’arrive, je me dis qu’ils ont la même fraîcheur et naïveté que moi en 68 mais les temps ont bien changé.

 

Les vins un Côtes-du-rhône et un Bordeaux estampillés bio sont très patapoufs, ça m’évite de picoler.

 

Je rentre chez moi requinqué.

 

C’est bien joli tout ça mais à quoi ont servi tes notes camarade ?

 

À rien, à les relire ce ne sont que des scories et je ne sens pas la force d’y mettre du liant, trop gros travail pour un résultat qui sera décevant.

 

Et puis, je me dis pourquoi tu te décarcasses pour te voir ensuite accusé par les éternels contempteurs de la Toile de te complaire dans l’évocation de ta vie, ton oeuvre...

 

Bosser gratos c’est déjà pas mal mais je dois avouer que certains me gonflent avec leurs œillères, je ne plaide pour aucune chapelle, je tente de proposer, à qui veut bien prendre la peine de lire, des pistes de réflexion.

 

Bien sûr c’est plus chiant que de s’envoyer des horions sur les réseaux sociaux.  

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30 novembre 2018 5 30 /11 /novembre /2018 06:00
« Ce chacun pour soi, je l’observe aujourd’hui, où l’on peut avoir les pires conflits avec des gens dont on était proche dix ans plus tôt. Et cela ne peut qu’être aggravé par les réseaux sociaux qui sont, pour les intellectuels, la communauté de la peur. » Elisabeth Badinter.

Je tiens le coup.

 

Je continue d’observer les réseaux sociaux, twitter, face de bouc, sans me livrer aux outrances des commentaires de certains de mes « amis ».

 

De la violence, de l’invective, du parti pris, des œillères, le cul sur leur chaise, face à leur écran certains déversent le trop-plein de leur aigreur, de leur vie riquiqui, grand bien leur fasse mais ça a pour moi un effet bénéfique : je ne les fréquente plus physiquement, n’ayant nulle envie de mettre un mouchoir hypocrite sur ce que je pense d’eux.

 

L’irruption du mouvement des gilets jaunes, via les réseaux sociaux, est la traduction de cette violence d’abord verbalisée puis déversée dans la rue.  Il suffit d’écouter ce que ceux qui s’expriment disent, c’est très souvent radical (j’exclue bien sûr les professionnels de la violence situés aux deux extrêmes). Des victimes me rétorquera-t-on ! Peut-être, mais ce sont eux qui le disent, qui est en capacité de le vérifier ?

 

Malheureusement pas les journalistes qui leur tendent leur micro, leurs boss leur demandent du sang et des larmes pour doper l’audience.

 

Les politiques ?

 

Eux, ça apporte de l’eau à leur moulin, si le petit peuple souffre, descend dans le rue, ce qu’ils n’arrivent plus à faire faire, ça alimente leur rêve de contraindre le pouvoir en place à leur laisser la place. Pourquoi pas ! Mais, à qui fera-t-on croire que leur arrivée aux responsabilités va, comme par magie, changer la vie des gens.

 

C’est une escroquerie intellectuelle, un cartel des non, hétéroclite, bourré de contradictions, débouche soit comme en 1981 à un reniement ou comme chez nos voisins italiens à une politique d’exclusion, de fanfaronnade, qui débouchera sur rien de bon pour le peuple.

 

Reste les intellectuels, ceux que l’on considérait comme tel, pas les usurpateurs qui s’autoproclament pour faire prospérer leur fonds de commerce.

 

Étant abonné au journal Le Monde je vous livre la salutaire réflexion d’Elisabeth Badinter.

 

Je le fais comme autrefois je passais mon journal papier à des amis pour qu’ils lisent un article qui avait retenu mon attention. Foin du copyright, j’ai payé et je dispose de ce que j’ai acheté.

 

Elisabeth Badinter : « Je ne pense pas qu’on puisse parler librement sur Internet »

 

La philosophe, dont « Les Passions intellectuelles » paraissent en un volume, évoque la violence des réseaux sociaux, qui contraste avec l’idéal de rationalité des Lumières.

Propos recueillis par Jean Birnbaum

 

Les Passions intellectuelles, d’Elisabeth Badinter, Robert Laffont, « Bouquins », 1 216 p., 32 €.

 

Sous le titre Les Passions intellectuelles, les éditions Robert Laffont font paraître un volume de la collection « Bouquins » qui regroupe les trois beaux essais consacrés par Elisabeth Badinter à l’effervescence du XVIIIe siècle et des Lumières. C’est l’occasion d’interroger la philosophe sur la vie des idées et son évolution.

 

  • Voilà plus de quinze ans qu’est paru le premier tome de votre trilogie. Que vous inspire cette réédition dans le contexte actuel ?

 

Cela me fait plaisir car je pense, peut-être naïvement, que nous avons un besoin fou de rationalité. Le combat des philosophes du XVIIIe siècle, c’était quand même celui de la rationalité ­contre les superstitions. A une époque où l’irrationnel prend une place immense dans notre vie sociale et intellectuelle, revenir à ce combat me semble un geste opportun, peut-être beaucoup plus encore qu’au moment où j’ai publié ces textes pour la première fois.

 

  • « Les intellectuels ont changé de maître, mais pas d’esclavage », écriviez-vous à la fin du troisième tome des « Passions », pour expliquer que les clercs obéissaient de moins en moins au roi et de plus en plus à l’opinion. A qui obéissent les intellectuels aujourd’hui ?

 

Aux réseaux sociaux ! Tout le monde en a peur. Moi je n’y suis pas, je tiens à ma tranquillité et je crains de me prendre au jeu, mais j’entends ce qu’on dit et je lis ce qu’en raconte la presse. Il y a des sujets qu’on aborde à peine, sur la pointe des pieds. En ce qui concerne #metoo et #balancetonporc, j’ai été impressionnée par le silence de féministes historiques, parfois fondatrices du MLF, qui n’étaient pas d’accord avec la façon dont la parole se ­libérait, interdisant toute nuance, toute objection… mais qui avaient si peur ­qu’elles se sont tues. Les réseaux sociaux ont doublé le pouvoir d’une opinion publique qui est libre de dire ce qu’elle veut, mais qui est souvent peu nuancée, peu avertie et d’une violence inouïe. Jamais la presse ou les médias en général n’ont eu une telle puissance d’intimidation.

 

On peut critiquer autant qu’on veut la tribune parue dans Le Monde sur #metoo signée, notamment, par Catherine Deneuve. Il reste que ce qui s’est passé est incroyable : elle est devenue une cible mondiale. L’opinion publique du XVIIIe siècle, la doxa, respectait les savants, les philosophes, et elle était limitée. C’était déjà une menace indirecte pour la pensée, la critique, mais ce n’était rien du tout à côté de ce qui se passe au­jour­d’hui : personne n’a envie de se faire écraser sous les insultes de millions de gens. Ce pouvoir des réseaux sociaux, je le ressens paradoxalement comme une censure !

 

  • « On est bien seul : j’ai un tel besoin de “communauté” », écrivait Mauriac dans une lettre à Jacques Maritain. Les intellectuels ne sontils pas d’autant plus intimidés par les réseaux qu’ils sont travaillés, dans leur solitude, par un désir de « communauté » ?

 

Je crois qu’il faut distinguer entre les ­intellectuels reconnus par l’opinion publique et la jeune classe des intellectuels. Au départ, quand on est Diderot, Rousseau, d’Alembert, et qu’on déjeune chaque semaine à l’Hôtel du Panier fleuri, on forme une amicale communauté. Mais quand les mêmes émergent au regard de l’opinion publique, alors le groupe éclate, parce que les rivalités prennent le dessus. Et là on est seul. Chez les intellectuels, le sentiment communautaire ne dure pas. Ce chacun pour soi, je l’observe aujour­d’hui, où l’on peut avoir les pires conflits avec des gens dont on était proche dix ans plus tôt. Et cela ne peut qu’être aggravé par les réseaux sociaux qui sont, pour les intellectuels, la communauté de la peur.

 

Sur Twitter, au fil des années, les ­choses se sont durcies, au point que chacun semble fuir la discussion loyale et désirer des ennemis plutôt que des contradicteurs. Assiste-t-on, en retour, à une « twitterisation » du débat intellectuel ?

 

Je n’ai pas l’impression que les relations entre intellectuels ont fondamentalement changé depuis vingt ans. Oui, il y a une sorte de distance que l’on met entre soi et les autres, mais je n’ai pas le sentiment qu’on les traite en ennemis. Peut-être même les intellectuels vont-ils retrouver un sentiment communautaire grâce à l’hostilité des réseaux sociaux ? Si nous faisons l’objet de la détestation générale, cela peut remettre un peu de vie entre nous ! Les intellectuels pourraient régresser de six ou sept siècles, et retrouver la vie des clercs qui s’expliquaient ­entre eux dans les couvents, sans que personne d’autre intervienne. On ­continuera de réfléchir, on échangera, on fera des colloques, on s’engueulera, mais on sera entre nous. Je reste donc relativement optimiste : la vie intellectuelle, c’est un choix, un plaisir, une douleur, mais c’est aussi un besoin, et même si cela doit redevenir l’expérience d’un microcosme coupé du monde extérieur, rien ne pourra la faire cesser.

 

Au XVIIIe siècle, le champ intellectuel était déjà un champ de bataille. ­Voltaire évoquait la « guerre des rats et des grenouilles », selon une formule qui parlera sans doute à quiconque fréquente les réseaux sociaux…

 

Mais le facteur important, c’est le nombre. Oui, à l’époque des philosophes, il y avait des clans politiques ennemis, on ­représentait Rousseau à quatre pattes en train de manger des salades, c’était violent, et Twitter représente sans doute la radicalisation de tout cela. Mais à l’époque cela concernait un microcosme. La quantité de haine personnifiée, cela change les choses. Si cette tendance ­twitteuse l’emportait aujourd’hui, ce ­serait la fin de la réflexion et de la ­connaissance hors des couvents ! En même temps, là encore, je reste assez optimiste : ce faux savoir, ces provocations, cette haine… on en a déjà assez, on va se lasser de tout ça, j’espère.

 

  • Les correspondances ont toujours été fondamentales pour la vie ­intellectuelle. Que deviennent-elles à l’ère numérique ?
  •  

C’est une source de savoir qui est aujourd’hui coupée, car on ne s’écrit plus de lettres. Les courriels, on les supprime, ou ils s’effacent, et puis ça va vite. Les lettres de philosophes que je cite dans mes livres pouvaient faire huit, quinze, vingt pages, assez pour exprimer un raisonnement. Si la correspondance est fondamentale pour la vie intellectuelle, c’est que, en général, la censure ne s’y exerce pas, on peut y ­exprimer toutes ses pensées. Et j’ai remarqué quelque chose : dans les correspondances du XVIIIe siècle, même les gens très collet monté, un scientifique comme Réaumur par exemple, finissent toujours par se lâcher, et donc par éclairer quelque chose de leur personnalité.

 

Aussi les correspondances régulières sont-elles la source d’une connaissance approfondie des destinataires, et de ­controverses fécondes. On n’est pas inquiet et même si on a tort parfois, on estime qu’on peut parler librement. Or je ne pense pas qu’on puisse parler librement sur Internet. Moi, je n’ai jamais participé à une polémique intellectuelle par courriel ! D’ailleurs, je n’entretiens aucune correspondance digne de ce nom par courriel. Quand j’écris une lettre, je suis plus confiante. Pas vous ?

 

Rien n’est moins intellectuel que le mot « intellectuel », tel qu’on l’applique aux interventions des écrivains et théoriciens dans la vie publique. Ses usagers sortent rarement d’une mise en scène répétitive de l’affrontement des opinions, avec, à défaut de ­pensée critique, la morale pour arbitre. Comment y échapper, comment traiter de la réalité de l’engagement intellectuel sans devenir le singe plus ou moins savant des « débats de société » qu’on restitue ? En reconnectant justement les positions et les textes à la société dont ils émanent, répond ­Gisèle Sapiro dans tous ses essais, depuis La Guerre des écrivains. 1940-1953 (Fayard, 1999).

 

Cette entreprise de réévaluation sociologique de l’histoire littéraire s’amplifie encore dans Les Ecrivains et la politique en France, qui systématise, à partir des concepts forgés par Pierre Bourdieu (1930-2002), la corrélation entre la place des écrivains dans des « champs » politiques et littéraires structurés par les rapports de « domination », et leurs modes d’intervention – de la fin du XIXe siècle aux débats sur la décolonisation. Avec un art virtuose du changement de focale, qui lui permet de mêler aperçus biographiques, histoire intellectuelle et lecture serrée des œuvres, la sociologue met en question les notions de droite et de gauche littéraires, analyse les évolutions historiques, observe la manière dont les textes construisent des visions du monde. Elle n’échappe pas toujours, à son tour, à une forme de schématisation mais livre une nouvelle fois un stimulant exercice de décrassage de nos idées sur la vie des idées. Florent Georgesco

 

Jean Birnbaum

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