Le 29 mai 1968, rien ne se passe comme prévu. Alors que le pays s'enlise dans le blocage des universités et des usines et vit au rythme des manifestations souvent violentes, le Conseil des ministres est avancé à 10 heures à l'Élysée. Mais il est annulé à la dernière minute. «Le Président s'en va !», lancent les huissiers aux membres du gouvernement déjà sur place. Juste avant son départ du palais présidentiel, le général prévient son Premier ministre Georges Pompidou qu'il se retire pour la journée dans son fief de Colombey-les-Deux-Églises afin «de réfléchir tranquillement, de ne pas rester dans la fournaise» parisienne.
Quelques minutes plus tard, à 11 h 24, deux Citroën DS sortent de l'Élysée à toute allure par la grille du Coq, à l'arrière des jardins de l'Élysée. Yvonne de Gaulle est du voyage tout comme l'aide de camp du général et ses gardes du corps. Le cortège présidentiel file à l'aérodrome d'Issy-Les-Moulineaux près de Paris où trois hélicoptères attendent le général. Ordre est donné aux peu qui savent (dont fait partie Alain de Boissieu le gendre du Général) de ne rien révéler du voyage présidentiel. En fin d'après-midi une dépêche de l'AFP laisse entendre que le général de Gaulle est bien arrivé dans sa résidence de La Boisserie.
Pourtant le Général est loin de la Haute-Marne : son escadrille a atterri à Baden- Baden, cette ville thermale allemande proche de la frontière alsacienne. Sur place, le président de la République a rencontré plusieurs chefs militaires, parmi lesquels le général de corps d'armée gouverneur militaire de Metz mais surtout le général d'armée Massu, commandant les forces françaises en Allemagne. Abattu, de Gaulle s'est confié à son fidèle compagnon d'armes dès son arrivée : «Tout est foutu Massu !»
Le soutien de l'armée
«Un homme de votre prestige a encore des moyens», lui a aussitôt répondu Massu. Les deux hommes engagent une conversation d'une dizaine de minutes. Un échange qualifié par le général lui-même de «providentiel».
Craignant des débordements incontrôlables, de Gaulle était venu à Baden-Baden s'assurer du soutien de l'armée et de la loyauté de ses généraux si une intervention militaire dans les rues de Paris s'avérait nécessaire. Son État-major en a aussi profité pour assurer le général de la participation de l'armée pour garantir, si besoin, la sécurité des élections générales des 23 et 30 juin. Les généraux ont également présenté au président un plan secret afin d'implanter en urgence un poste de commandement opérationnel à Verdun dont les soldats seraient capables d'intervenir dans Paris.
La panique à Paris
Ragaillardi par ses pairs, à 16 h 30 le général de Gaulle donne l'ordre de lever le camp et de repartir en hélicoptère pour Colombey. Pendant ce temps, dans la capitale, la confusion règne. À 14 heures, le secrétaire général de l'Élysée avait informé Pompidou que le général n'était pas à La Boisserie sans toutefois révéler sa vraie destination.
Sentant la vacance du pouvoir, la classe politique pressent la fin d'une ère. Si le général s'est retiré à Colombey c'est pour préparer son discours de démission. La rumeur court : le général se retirerait ! Déjà certains commencent à se partager les responsabilités. Mitterrand se voit déjà en chef de gouvernement provisoire.
C'était enterrer le général un peu vite. À peine arrivé dans sa résidence à 18 h 15, le chef de l'exécutif appelle son Premier ministre à qui il demande de convoquer un Conseil des ministres pour le lendemain à 15 h 30. Les journalistes évoquent l'annonce de la démission du président de la République pour le lendemain. Raté. Toutefois, même s'il est requinqué, le général juge la situation sérieuse. L'après-midi même, la manifestation de la CGT soutenue par le Parti communiste a rassemblé 100 000 personnes entre Bastille et la gare Saint Lazare. Mais de Gaulle est de nouveau aux commandes !
Le 30 mai, il va reprendre l'initiative par une allocution musclée où il affirme « Je ne me retirerai pas » qui sera suivie par une gigantesque manifestation de soutien sur les Champs-Elysées et, quelques semaines plus tard, des élections triomphales rétabliront son autorité.
Les témoignages qui suivent, dont celui du général Massu lui-même, vont éclairer ce mystère historique. Dans Les dossiers de l'écran en juin 1983, les langues se délient.
Jacques Massu lève le voile
Jacques Massu lève le voile sur ce pan d'histoire méconnu dont il fut un témoin privilégié. Il revient en détails sur sa rencontre à Baden-Baden avec un général De Gaulle aux abois.
Après avoir expliqué que le film diffusé avant le débat ne correspondait pas aux faits historiques, il relate comment il a tenté de pousser le général à se ressaisir : « Il m'a dit : tout est foutu. Les communistes ont provoqué une paralysie totale du pays, je ne commande plus rien […] donc je me retire. Comme je me sens menacé en France, je viens chez vous chercher quoi faire. »
Leur entrevue se déroule dans le bureau de sa résidence. Le général, affalé dans le fauteuil des invités face à un Massu perplexe, adossé à son bureau, lui explique qu'il a fait venir son fils et sa famille car il craignait pour leur vie à Paris. Il lui confie également son désespoir face à la situation catastrophique de la France qu'il se sent incapable de reprendre en main :
« Au début, il soliloque et je suis évidemment très étonné de voir le général tel qu'il m'apparait à ce moment-là. Il me demande tout de suite s'il pourrait aller à Strasbourg. »
Ils évoquent la situation dans cette ville et le général déclare souhaiter rester en Allemagne. Massu, contre cette idée, temporise. Il va tenter de convaincre le général de rentrer en France :
« Je vais assez loin […] allant jusqu'à lui dire qu'un homme comme lui ne peut pas laisser tomber le pays… qu'il se déshonorerait ».
Au bout de quelques heures, le général reprend ses esprits et l'écoute plus attentivement. La conversation continue et alors que Massu désespère et s'apprête à appeler l'ambassadeur de France en Allemagne pour organiser l'exil du président, le général se lève et lui demande d'appeler sa femme. Puis, il s'entretient avec d'autres membres de l'équipe. Il s'est ressaisit et repartira le soir même. Le général Massu avoue ne jamais avoir compris pourquoi de Gaulle était venu le voir lui.
Jacques Massu, sur l'entrevue avec le général De Gaulle à Baden Baden | INA
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27 avril 1969
Démission du président de Gaulle
Le 27 avril 1969, le peuple français est consulté par référendum sur une réforme du Sénat associée à la mise en oeuvre d'un ambitieux projet de régionalisation. Cette réforme proposée par le président Charles de Gaulle est rejetée à la majorité de 52,41% des suffrages exprimés. Les électeurs manifestent de la sorte moins leur opposition à la réforme de la Constitution que leur lassitude après onze ans de présidence gaullienne.
Le soir même, le général de Gaulle assume avec panache son échec et fait porter au président du Conseil constitutionnel Gaston Palewski le message suivant : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Dès le lendemain, lundi 28 avril, le président du Sénat Alain Poher exerce donc par intérim la présidence en attendant le scrutin qui verra l'élection de Georges Pompidou, le 15 juin suivant.
L'Irlande du Général
Par Dominique De la Tour ICI
Publié le 11 janv. 2013
Parions que ce sera votre porte d'entrée : Ballygarvan, l'aéroport de Cork. La halle de verre futuriste rappelle peu les hangars et la piste sommaire qui voient atterrir le Mystère 20, ce 10 mai 1969. Il est 10 h 30. Le comité d'accueil est restreint. « S'il y a foule, il est capable de redécoller », avait prévenu l'ambassade. « Welcome home ! » risque la délégation - car notre homme a un point commun avec le célèbre brasseur Guinness : il a des ancêtres chez les McCartan, un clan du sud de Belfast.
Ce visiteur flanqué de son épouse, c'est de Gaulle. Il n'est pas en mission officielle, et pour cause : à la suite d'un référendum défavorable, il vient de démissionner. C'est sur la terre des ancêtres qu'il compte lécher ses plaies.
La Hillman Hunter roule vers l'ouest. Killarney. Sur ses traces, la voiture fait ses premiers miles sur la boucle de 170 km qui, depuis Killarney, longe la péninsule : l'anneau de Kerry. Des horizons courts, à cause du relief et des virages. Sur la droite, les monts beiges et chauves. A gauche, de menus ports de pêche qui sèchent leurs flotteurs rose et leurs casiers à homards. L'un des premiers rencontrés est Sneem. Les maisons bariolées ont l'exubérance latine. Sur la grand-place, une stèle brandit fièrement une citation : « En ce moment grave de ma longue vie, j'ai trouvé ici ce que je cherchais : être en face de moi-même. » C'est signé de Gaulle. Charles de Gaulle, dit le boucher d'en face - qui prononce comme Ray Charles : « Oui, il a logé à Sneem, mais où ? » Une cliente - qui prononce « general » comme General Motors - a un avis sur la question : « C'était au Parknasilla. » Un président pouvait-il descendre ailleurs que dans le seul golf-hôtel du coin ? Erreur. Le Parknasilla n'hébergeait que la meute de photographes traquant le chef déchu. Les de Gaulle, eux, avaient préféré un hôtel déclassé à 500 livres la semaine, avec vue sur mer, le Heron Cove - aujourd'hui maison privée.
Entre deux messes, Charles et Yvonne font leurs 4 à 6 km de promenade quotidienne, détaillant ce décor de genêts et de murets croulants, de ponts de pierre griffés par les ronces. Si, comme eux, on prise la botanique, on est à son affaire sur cette côte qui, à toutes les nuances du vert, ajoute les pointes vives des rhododendrons, des arbouses, ou l'éclat rarissime d'un lis blanc du Kerry. Magnolias, palmiers, fuchsias : les chaleurs du Gulf Stream éveillent les luxuriances exotiques.
Au volant de sa Mini Morris, Flohic, l'aide de camp, reconnaît à l'avance les itinéraires, calculant toujours une issue si un photographe venait à surgir. Malgré ces précautions, des reporters locaux, Joan et Padraig Kennelly, feront la « couve » de « Match », avec le couple à genoux à la messe de Sneem et, célèbre entre tous, le géant blessé arpentant la grève venteuse de Derrynane, trop grand dans son pardessus.
Une fois de Gaulle « dans la boîte », la presse passe à autre chose. C'est sans encombre que le vieux soldat visite les curiosités incontournables du comté; la rude enceinte ronde du fort celtique de Staigue, la demeure lambrissée de Daniel O'Connell, à Derrynane, justement. Sur ce pionnier de l'indépendance du XIXe, le Grand Charles en sait autant que le prof dublinois venu lui faire visiter : dès l'enfance, il a lu et relu sa bio, « Le Libérateur de l'Irlande », dont l'auteur n'était autre que... grand-mère de Gaulle !
La gifle à Robert Mitchum
De village en bourgade, on poursuit sur le fameux anneau : le front de mer à Waterville, la lande à Portmagee donnant sur l'île sauvage de Valentia, Glenbeigh, dérapée au pied de sa montagne trop lisse. Les de Gaulle déménageront dans l'ancienne laiterie du manoir de Kenmare, chassant grossièrement Robert Mitchum et David Lean en plein tournage de « La Fille de Ryan ». De là, ils arpenteront les lacs à cygnes de Killarney, leurs châteaux, leurs futaies rescapées de la manie gaélique du défrichement. Mais auparavant, le 3 juin, le couple a fait une incursion au nord, vers une autre péninsule, la terre brûlée du Connemara.
Cashel House, leur nouvel hôtel sur la baie homonyme, est masqué de la route par un jardin digne d'Uzès. Quelques connaisseurs viennent parfois, et s'enquièrent de la chambre du « Général ». « Il y en occupait deux », sourit le réceptionniste qui vous fait visiter de bonne grâce, « celle-ci pour travailler... l'autre pour dormir ». Le lit n'est pas le bon : Dublin en avait dépêché un de 2 m 13, aux mensurations gaulliennes. Les Irlandais avaient l'habitude : leur président, Eamon de Valera, avait la même taille.
Plutôt Valera que le Valérien
Un panneau signale pieusement l'endroit où Charles contemplait la mer, pendant que Flohic pêchait la truite et qu'à Clifden, la ville voisine, Yvonne achetait de quoi tricoter, pour passer le temps, pendant que son mari rédigeait ses « Mémoires d'espoir ». Ici, vous goûterez des paysages plus austères, les étendues de fange somptueuse, les briques de tourbe, tranches luisantes comme des fondants au chocolat. Autour des Twelve Bens, ces monts qui forment le noyau du Connemara, les routes sont compliquées, échancrées de balcons sur la mer, sur des lacs bleu prune, ou ceux, rouillés et écumeux, où se mire la belle abbaye de Kylemore... tout cela peuplé par le battement d'ailes des pétrels et des busards, et ces moutons de pré-salé plongeant dans une crissante touffe d'ajoncs. De Gaulle boudait leur viande savoureuse, depuis qu'il avait offert son agneau de compagnie pour amuser les bambins d'un orphelinat - qui l'avaient préféré en gigot... Il boude aussi la chaumière d'un autre héros de l'indépendance irlandaise, celle du poète Padraig Pearse, fusillé après la révolte de Pâques 1916 contre Londres.
Le 17 juin, nos touristes ont fait leurs valises et roulent vers Aras an Uachtaráin, la « Maison-Blanche irlandaise » de Dublin. Ils y sont accueillis par Valera, le vieux révolutionnaire. Fêté par des octogénaires condamnés à mort pour rébellion contre l'Angleterre, le rebelle de 1940 oublie qu'on est ce fatidique 18 juin, commémoré au mont Valérien - sans lui. Une rencontre avec le clan McCartan, et déjà de Gaulle remonte dans son Mystère, pour reprendre le ciel. Vers Saint-Dizier.
Dominique de La Tour
Charles de GAULLE : voyage en Irlande | INA
Après avoir quitté le pouvoir 3 semaines auparavant, et tandis que se déroule en France la campagne des Présidentielles pour sa succession, le général de Gaulle séjourne en Irlande du 10 mai...
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00014496/charles-de-gaulle-voyage-en-irlande
13 septembre 2008
Les Tongs et les mots du Général...
Ce matin, jour de retour, de l'humour et de la réflexion, à propos du Général...
Extrait d'une bande dessinée " de Gaulle à la plage" désopilante de Jean-Yves Ferri chez Dargaud dont Libé publie des planches cet été. Achetez-là, elle pourra de toute façon, avec sa jaquette rigide, vous servir à protéger votre visage du soleil à la plage (fonction principale du livre de plage selon le critique littéraire de Libé)
« L'armée allemande vient d'envahir la Russie. Des militaires britanniques invitent le Général à suivre, devant une radio d'état-major, le déroulement des opérations.
La rapidité de la progression allemande étonne, puis scandalise et enfin désespère les stratèges britanniques. Silence du Général qui, seul, ne participe pas au concert de lamentations. Les villes russes tombent les unes après les autres. Les officiers anglais s'interrogent sur le sort réservé aux armes alliées. Le Général continue de méditer.
- Et vous, de Gaulle, que pensez-vous de la façon dont les blindés allemands pulvérisent les défenses russes ? demande un officier britannique qui a lu "Vers l'armée de métier".
- Je pense, dit le Général, qu'il faudra désormais songer... aux moyens d'arrêter la progression communiste en Europe.
Il dit, puis déploie sa haute taille et plante là l'assistance médusée.
Sur le pas de la porte, il confie à son aide de camp :
- N'oubliez pas ces heures-là ! Je me trompe souvent dans ce que je fais, mais jamais dans ce je prédis.
Extrait du livre "Les Mots du Général" de Ernest Mignon chez Fayard