L’actualité traitée par les moulins à prière des toutologues a permis à André Comte-Sponville de faire entendre, avec courage et pondération, une certaine politesse dirais-je, une petite musique discordante.
Politesse, vous avez dit politesse, mais c’est un gros mot, une incongruité, un genou à terre prosterné devant notre Jupiter, le temps est à l’invective, à l’insulte, à la grossièreté, plus c’est gras et lourd plus le buzz est au rendez-vous. Au nom d’une ironie soi-disant décalée l’heure est à traîner ses adversaires, ceux qui ne pensent pas comme vous, dans la boue.
N’en déplaise à ses détracteurs, l’exécration de Macron ne peut tenir lieu d’une politique alternative, bien au contraire elle conforte, cimente le socle de ses partisans.
J’adore les mots crus, ils ont de la saveur, avec une pointe d’acidité, lorsqu’on débat il n’est pas interdit de décocher des flèches là où ça fait mal, Mitterrand qui n’était pas ma tasse de thé comme vous le savez, était un as en la matière, tel Talleyrand, son « Monsieur le Premier Ministre » lors de son débat face à un Chirac, grand bourrin, fut un must.
Pure hypocrisie me rétorquera-t-on, une vertu soi-disant aristocratique pour « mieux faire passer le suppositoire avec de la vaseline… »
Alors je me suis souvenu d’André Comte-Sponville qui eut il y a une quinzaine d’année une grande notoriété avec notamment son « Petit traité des grandes vertus » ce qui lui valut des volées de bois vert de Pierre Marcelle, journaliste à Libération, qui juge les propositions de Comte-Sponville « indigentes » et ses propos « venteux » que son « omniprésence de penseur consensuel est censée légitimer. Jacques Bouveresse, philosophe français, ne lui conteste pas son statut de philosophe mais lui reproche de faire partie de ces confrères contemporains devenus des « obligés du pouvoir ». Chronique de juillet 2015
Revenons donc à Comte-Sponville dont j’ai lu le Petit traité des grandes vertus (1995)
« C’est dire, sur la politesse, l’essentiel : qu’elle n’est que l’apparence d’une vertu, pour cela aussi socialement nécessaire qu’individuellement insuffisante. »
« Politesse », par André Comte-Sponville
Mis en ligne le 24/09/2013
En partenariat avec les Presses universitaires de France, Philosophie magazine propose chaque jour une entrée du «Dictionnaire philosophique» d'André Comte-Sponville. Aujourd'hui: « Politesse ».
« Après vous. » Dans cette formule de politesse, Levinas voyait l’essentiel de la morale. On comprend pourquoi : c’est mettre l’égoïsme à distance et court-circuiter la violence par le respect. Tant que ce n’est que politesse, l’égoïsme reste pourtant inentamé ; le respect, presque toujours, n’est que feint. Peu importe. La violence n’en est pas moins évitée, ou plutôt elle ne l’est que mieux (s’il fallait respecter vraiment pour la faire disparaître, quelle violence presque partout !). C’est dire, sur la politesse, l’essentiel : qu’elle n’est que l’apparence d’une vertu, pour cela aussi socialement nécessaire qu’individuellement insuffisante. Positivité de l’apparence. Être poli, c’est agir comme si l’on était vertueux : c’est faire semblant de respecter (« Pardon », «S’il vous plaît », « Je vous en prie »…), de s’intéresser (« Comment allez-vous ? »), de ressentir de la gratitude (« Merci »), de la compassion («Mes condoléances »), de la miséricorde (« Ce n’est rien »), voire d’être généreux ou désintéressé (« Après vous »)… Ce n’est pas inutile. Ce n’est pas rien. C’est ainsi que les enfants ont une chance de devenir vertueux, en imitant les vertus qu’ils n’ont pas encore. Et que les adultes peuvent se faire pardonner de l’être si peu.
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Mais, comme vous voulez tout savoir sans jamais rien payer – pas très polie la remarque – cette chronique est née de mes retrouvailles avec un petit livre : La Politesse d’Henri Bergson.
Henri Bergson n’est plus aujourd’hui, pour beaucoup, qu’un puits à citations, quitte à se les approprier sans le citer.
La citation exacte est « J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. »
Henri BERGSON en exergue de CAP 2010
« Le Défi des Vins Français » le 17 mai 2002 NOTE d’ORIENTATION STRATÉGIQUE à l’attention de Monsieur le Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires Rurales.
« Le cœur c’est la vertu, une charité faite de modération opposée aux susceptibilités de l’amour-propre. Savoir écouter ; vouloir comprendre ; pouvoir entrer dans la vie d’autrui ; ne pas choquer, telles sont pour Bergson les composantes de la « vrai politesse ». Le respect de l’opinion d’autrui ne s’acquiert que par un effort continu pour dompter en soi l’intolérance qui est un instinct naturel. »
« Contemporain de la seconde révolution industrielle, aux prises avec l’idéologie ambiante caractérisée par une confiance immodérée dans les progrès de la science, Henri Bergson dénonce alors l’apparente simplification de la pensée humaine découlant des avancées de la science. Un scepticisme à l’encontre des apparences trompeuses qu’il développe magistralement à l’occasion de son cours sur la politesse.
Bergson est alors, à l’aube d’une brillante carrière qui le verra successivement titulaire de la chaire de philosophie au Collège de France, Président de l’académie des sciences morales et politiques, académicien et couronné du Prix Nobel de littérature.
Remarquable orateur, doté d’une expression d’une rare clarté, Bergson n’est pas un philosophe « révolutionnaire ». Il se méfie du positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) et de l’école matérialiste issue de Marx (1818-1883) et de Hegel (1770-1831).
Il s’oppose au scientisme des positivistes et des matérialistes qui ne voient en l’homme qu’un élément d’une vaste mécanique complexe et déterminée et défend l’enseignement unitaire de la philosophie qui se voit déclassée par de nouvelles disciplines, notamment la Sociologie de Dürkheim et la psychologie. »
Bergson nous invite à aller au-delà des apparences et à tenter de comprendre ce que Jung nommera plus tard des archétypes. Sa philosophie nous invite poliment à la modération dans un dialogue d’une belle intelligence permettant de s’affranchir de la tentation totalitaire face au progrès.
Le 6 avril 1922, Einstein rencontre Bergson pour la première fois. Un fameux débat a lieu entre eux sur la nature du temps, à la lumière de la théorie de la relativité.
Est-ce que le temps du physicien est le même que celui du philosophe?
Le conflit entre les deux perspectives est alors inévitable, et la controverse entre Bergson et Einstein devient l’emblème des relations difficiles entre science et philosophie. Les conséquences de cette fracture sont innombrables.
Le débat entre Einstein et Bergson le 6 avril 1922 s'est très mal passé. Einstein a dit que Bergson ne comprenait rien à la physique. Bergson, quant à lui, voyait chez Einstein une philosophie, et même une métaphysique, dont l'élaboration laissait à désirer.
L'avantage de refaire les conférences du passé, c'est qu'on peut les infléchir. Grâce à deux spécialistes de Bergson et de l'histoire de la physique, Elie During (Nanterre) et Jimena Canales (Harvard), nous allons donc reprendre le dialogue comme si Einstein et Bergson avaient eu la vraie discussion qu'ils n'ont pas eue en 1922 sur leurs métaphysiques respectives.
Est-ce le monde de Bergson qui inclut celui d'Einstein ou le monde d'Einstein qui inclut celui de Bergson ?
Afin d'arbitrer le débat, nous demanderons à l'artiste Olafur Eliasson, dont toutes les œuvres portent sur cette question d'inclusion et d'exclusion de l'art et de la science, de nous expliquer comment il s'y prendrait pour composer la relation du monde et des sciences.
Le débat Bergson / Einstein
Bruno Latour, Olafur Eliasson, Elie During, Jimena Canales ICI