Dans la vigne France, je sais, j’en énerve plus d’un, les chefs surtout, ce n’est pas nouveau, mais j’ai aussi beaucoup d’amis dans tous les grands et petits et beaux plis de nos terroirs, en Bourgogne par exemple, sauf sans doute monsieur Gotti et ce cher Patrick Essa que j’ai tant déçu avec mes amours naturistes, mais j’en ai aussi à Bordeaux qui, selon le grand Bob Parker, « donne incontestablement le plus grand vin du monde » au Monde mondialisé, et produit « la plus grande quantité de grands vins sur la planète », même que selon lui Bordeaux « ne perdra jamais cette aura ». Bref, je ne vais pas vous bassiner avec la liste de mes amis sur Face de Bouc et ailleurs, mais vous confier ce que j’ai encore sur le cœur. Comme le faisait dire à ses acteurs, Michel Audiard, « ils ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. »
Qu’est-ce-à-dire ? Où veux-je en venir, chers lecteurs ? Tout bêtement que certains de nos amis Bordelais, les gens du vin bien sûr, surtout ceux des étages élevés, ou supposés tels, ont souvent l’art et la manière de s’ingénier à se faire détester de leurs collègues des autres régions. En paraphrasant de Gaulle ils ont un petit côté « sûr d’eux et dominateur » pour de vraies et bonnes raisons, la bonne image de leurs grands vins est incontestable et ils contribuent très largement à la notoriété des vins français mais, là où le bât blesse, c’est qu’ils n’assument pas toujours dans leurs pratiques, avec la rigueur souhaitable, leur éminent statut. Les dernières réformes des AOC, loin de l’esprit d’excellence que voulait insuffler René Renou, en se contentant d’habiller le système, je dirais même de l’enserrer dans l’illusion des contrôles externalisés, n’ont eu souvent qu’un effet cosmétique qui masque les bonnes vieilles habitudes. Qu’on ne me fasse pas dire ou écrire ce que je n’écris pas : je ne jette aucun opprobre sur Bordeaux, tout Bordeaux, et surtout je ne circonscris pas mes critiques à Bordeaux, ce qui n’aurait aucun sens, je me contente de souligner que le statut de ce grand bloc d’AOC devrait déboucher sur beaucoup plus d’exigences. Je pourrais mettre en avant l’exemplarité, mais comme je n’ai aucune vocation moralisatrice je préfère être beaucoup plus terre à terre : si nous n’en revenons pas, à Bordeaux, comme dans d’autres AOC, à l’esprit des origines nous viderons le système des AOC de sa substance et une grande part de nos vins, dit d’AOC, concurrencés par des vins mieux adaptés aux exigences de la concurrence, trouveront de plus en plus difficilement preneurs, ou à des prix de braderie. Je sais qu’on « ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » mais l’afflux massif de concurrents plus que sérieux sur les marchés en expansion va continuer de bousculer la donne.
Qu’on ne me taxe pas d’être un oiseau de mauvais augure que je ne suis pas, mais chacun sait, ou devrait le savoir, que c’est dans les périodes d’embellies qu’il faut savoir être courageux, mettre en place des mesures qui porteront leurs fruits lorsque les vents seront contraires. La crise venue c’est toujours le sauve-qui-peut. Alors me dira-t-on je devrais battre des deux mains face à l’initiative du Conseil des Vins de Saint-Emilion de resserrer les boulons de ses Grands Crus. Ce que je n’ai pas fait. Pourquoi ? Tout simplement parce que tout commence pour le vin l’excellence dans les vignes, plus encore pour un vin qui se pare de la mention valorisante de Grand Cru. Tous les systèmes de contrôles a posteriori, aussi sévères qu’ils soient dans la lettre, ne sont que des rustines sur des jambes de bois. En effet, les mauvais vins reconnus comme tels lorsqu’ils sont dans les chais, on en fait quoi ? Bien sûr on ne les versera pas dans le caniveau, ils se replieront en désordre et créeront le désordre chez ceux du dessous ce qui sera injuste si ceux-ci, eux, ont fait dans leurs vignes et leurs chais ce qu’il fallait. Lorsque le vin est fait, il se retrouve tôt ou tard sur le marché, sauf à le brûler avec subventions comme au bon vieux temps des distillations communautaires. Mieux vaut ne pas avoir la mémoire courte, y compris et surtout à Bordeaux.
Tout ça est bien loin, très loin, m’objectera-t-on. Tout va bien, ou presque. Je veux bien mais si je chante le énième couplet d’une vieille chanson c’est que, parodiant l’initiative d’Alain Juppé le maire de la ville éponyme ICI link , comme Bordeaux j’aime le vin et nul ne pourra me faire prendre des vessies pour des lanternes car comme le disaient ces deux farceurs de Pierre Dac et Francis Blanche car « ça brûle ! » Et puis, pour ne rien vous cacher, si j’ai pris la liberté de jeter, une fois encore, ces quelques réflexions sur la Toile c’est que j’ai reçu dans mon courrier électronique, suite à ma chronique sur le nouveau dispositif de contrôle appliqué aux Grands Crus de Saint-Emilion, une confirmation de taille provenant de quelqu’un qui n’est pas tout à fait rien à Saint-Emilion. Bien évidemment, comme tout journaliste, même si je n’en ai pas le statut, je protège l’anonymat de ma source, mais je puis vous assurer que ce qui suit ne sort pas de ma petite tête de chroniqueur compulsif. Il s’agit que d’un extrait car le reste mettrait de l’huile sur le feu et j’estime, comme mon correspondant, que puisque la majorité du Conseil des Vins de Saint-Emilion telle qu’elle est constituée, ne veut pas mettre en place un réel différentiel de rendement entre l’AOC tout court et les Grands Crus, le ver restera dans le fruit.
« (…) Une délimitation étant exclue car elle serait politiquement et pratiquement irréalisable restent des artifices pour que l'utilisation du terme très valorisant « Grand Cru » puisse perdurer.
En effet 70 % de la superficie est déclarée en Grand Cru (30 à 40 % il y a 30 ans) et beaucoup d'autres AOC souhaitent pouvoir utiliser ces mots.
Le Languedoc, Bergerac, Montagne-Saint-Emilion, Lalande-de-Pomerol, etc....
Les Bordeaux souhaitant obtenir aussi la dénomination « 1ier Cru ».
Saint-Emilion est donc attaqué de toutes parts et, de plus, d'après les contrôles effectués, 30% de Saint Emilion Grands Crus seraient qualitativement insuffisants.
Il faut reconnaître que le fait de porter le terme « Grand Cru » sur une étiquette fait gagner environ 2€.
En gros et HT, une bouteille de Saint Emilion est vendue 3,5€ alors qu'une de Grand Cru est vendue 5,5€.
Le différentiel de rendement autorisé est assez faible 55 hl / 49 hl en 2011.
Le syndicat de Saint-Emilion pense que la dégustation est capable de régler tous les problèmes et dit que 70 % en Grand Cru, si le vin est de qualité, est un pourcentage raisonnable.
Je ne partage pas cette opinion car, pour pouvoir présenter de belles bouteilles, il est nécessaire, surtout en année difficile, de trier.
Souvent le rejet n'est pas à la hauteur de l'image portée par le terme « Grand Cru ».
A Saint-Emilion les densités sont plus faibles qu'en Médoc. Pour avoir 49 hl très bon il faut se positionner à un rendement agronomique de 75 hl ce qui pose problème sur les petits terroirs en année compliquée.
Mais nous n'avons plus de petits terroirs à Saint Emilion ! »