« Empêtrés dans leur dignité, nombre de ces familles* n’ont pas su prévoir les évolutions et les changements. Un modeste fils d’émigré va bâtir un empire à leur porte et à leur barbe : Pierre Castel. » Gabriel Milési commence ainsi dans son chapitre sur le Pouvoir Vert la saga de Pierre Castel. Les éditeurs sont des gens sympathiques mais ils ont un art du recyclage qui est parfois un peu limite. En effet, je possédais dans ma bibliothèque un bouquin du dit Milési titré « Les nouvelles 200 familles » les dynasties de l’argent, du pouvoir financier et économique chef Belfond 1990 140F acheté 5€ chez un bouquiniste. Intéressant, alors lorsque les éditions Michel de Maule ont publié en 2011 « Les dynasties du pouvoir de l’argent » L’État c’est nous 24€ du même Milési je me suis dit le gars en a rajouté une louche dix ans après. Un peu déçu, ce n’est qu’un peu de cosmétique qui n’apporte pas grand-chose. Mais revenons à Pierre Castel.
« En 1914, son père quitte l’Espagne sans le sou. Embauché d’abord comme ouvrier agricole en Gironde, il ouvre quelques années après un petit commerce de vin au détail à Bordeaux. En 1946, leur sixième enfant, Pierre, par pour le Cameroun avec 600 fûts et 25000 dames-jeannes que lui confient des viticulteurs. Il a vingt-ans. Quelques semaines plus tard, tout est vendu. En 1949, Pierre créé sa propre société de négoce, Castel frères. Son cheval de bataille, une bibine ! »
1ière étape : « Dans les années 60, grâce aux vins d’Algérie bon marché et des frais généraux écrasés, il s’impose face à ses concurrents les plus faibles. La chute progressive de la consommation du gros rouge met à genoux les plus importants négociants de la place. Castel rachète tout ce qui est à vendre. Radar lui cède Damoy et Cora la Générale des vins du Midi. Il réduit les effectifs, nettoie les bilans et grâce auxquels il fait tourner ses centres d’embouteillage. »
Note du Taulier : en 1986 lorsque j’officiais à Gennevilliers pour le compte de la SVF, celle-ci était la première société de négoce de France avec un portefeuille beaucoup plus diversifié de marques Vieux Papes, La Villageoise, Carré de Vigne, la société Cruse à Bordeaux donc un accès aux allocations de GCC, Bedhet-Vallette dans le CHR, des équipes de vente performantes. Ce n’était un secret pour personne Castelvin tirait la langue et si l’actionnaire quasi-majoritaire, Pernod-Ricard, l’avait voulu l’affaire aurait été vite pliée. L’Histoire s’écrira différemment et lorsque je quittai la SVF pour rejoindre à nouveau le cabinet du Ministre de l’Agriculture sous le gouvernement Rocard, en 1988, je pris le pari avec Thierry Jacquillat, le DG du groupe à l’époque, que la stratégie choisie par Axel Rückert, le DG de la SVF de l’époque, menait à une impasse et que la vente de la SVF à Castelvin était inéluctable. Ma proposition de passer une alliance stratégique avec le Val d’Orbieu d’Yves Barsalou se heurtait aux ego et je crois que l’absence de création de valeur dans les vins d’entrée de gamme ne pouvait qu’impliquer le retrait de Pernod-Ricard du secteur en France. Et ce sera l’Australie, Orlando Wyndham link , Jacob Creeks...
Thierry Jacquillat, dans son style lapidaire, expliquera dans son livre « Fais vite, ne traîne pas en route » la vente de la SVF ICI chronique du 30/09/2005 link . C’est très court et très édifiant. Ce livre Thierry Jacquillat me le fera parvenir avec une dédicace qui élégamment soulignait ma perspicacité.
2ième étape : « En 1967, le président Bongo, du Gabon, persuade la France de financer la construction de la première brasserie du pays. Paris donne son accord mais exige un industriel français. Bongo propose Castel. Ce dernier hésite. Il ne connaît rien à la bière. Il finit par accepter. « Cet épisode inaugure une longue et discrète coopération entre le gouvernement français, le président Bongo et Castel. Paris a trouvé un voyageur de commerce hors pair qui défend ses intérêts économiques et politiques en Afrique, le Président Bongo un industriel qui construit des brasseries mais aussi des routes et des stations d’épuration. Quant à Pierre Castel, le voici enfin reconnu. Quai des Chartrons, il n’est toujours qu’un intrus qui orne ses bureaux de tableaux représentant ses châteaux médocains, mais à Libreville on salue « le président Castel ». Et pendant des années, les juteux bénéfices de la bière vont discrètement fiancer la guerre du vin. » L’Expansion 5 avril 1990.
Les étapes suivantes :
- 1988 : Il rachète la plus grande chaîne de cavistes spécialisée dans le vin : Nicolas au groupe Rémy-Cointreau
- 1990 : Il rachète les Brasseries et Glacières Internationales (BGI)
- 1992 : Il rachète au groupe Pernod Ricard la Société des Vins de France (SVF), principal concurrent du groupe Castel sur le marché du vin.
- 1995 : Il lance sa propre marque de bordeaux, baptisée Baron de Lestac, devenue premier bordeaux de France.
- 1999 : Il rachète les Domaines Virginie, en languedoc spécialistes des vins hauts de gamme destinés à l'international.
- 2003 : Il rachète la société Malesan à Bernard Magrez.
- 2007 : Il rachète les sociétés Friedrich, leader du Bag in Box français, et Sautejeau-Beauquin, numéro 1 du Muscadet.
- 2008 : Il rachète Œnoalliance, société de négoce bordelaise.
- 2010 : Il rachète Barton & Guestier, une maison de négoce dont les vins sont vendus dans plus de 130 pays.
- 2011 Achat du Château Beychevelle détenu à parts égales par Castel et le groupe japonais Suntory au sein de la société Grands Millésimes de France. En 2011 toujours, Castel s'installe en Bourgogne et se lance sur le marché du vin effervescent avec l'acquisition du groupe Patriarche propriétaire de Kriter.
Pierre Castel fut aussi présent dans les eaux minérales troisième groupe français en France (Cristaline, Vichy Célestins, Courmayeur, Saint-Yorre, Chateldon). J’ai traité cette affaire avec Pierre Castel et Antoine Riboud lorsque j’étais directeur de cabinet : la marque Volvic tombant dans l’escarcelle d’Antoine Riboud, Perrier dans celle de Nestlé et Pierre Castel récupérant les autres marques car ce qui était alors BSN-Gervais-Danone se trouvait en position dominante. Il a cédé sa participation de 60% dans le holding Alma, qui chapeaute, d'une part, la société Neptune et d'autre part, la société CGES, propriétaire de l'eau Cristaline et des différentes sources régionales qui fournissent cette marque.
Pierre Papillaud, associé historique de Castel, augmente sa participation de 40% à 51% dans Alma, alors que le groupe japonais Otsuka Beverage Co., qui commercialise les marques de Neptune au Japon, récupère 49% d'Alma, selon le magazine Challenges. Pierre Castel faisait savoir, qu'il ne prévoyait pas de prendre sa retraite, mais qu'il s'agissait d'un recentrage de son groupe sur ses trois activités historiques : le vin (Malesan, Baron de Lestac…), la bière en Afrique et les boissons gazeuses.
En 2010 il est classé 13ième dans le classement des 15 plus grandes fortunes professionnelles de France link
En 2012 il est classé 7ième dans le top 20 des plus grosses fortunes de France link
Reste à écrire une vraie biographie de Pierre Castel, qui s’y colle dans la palette de nos brillants journalistes du vin ?