J’ai si souvent, et parfois trop facilement, la dent dure à l’endroit de la corporation des « présidents de... » pour que ce matin ce que je vais écrire à propos de Dominique Granier, vigneron, Président de la Chambre d’Agriculture du Gard et de la SAFER Languedoc-Roussillon, ne soit pas assimilé à du cirage de pompe ou à un passage complaisant de plats. Le Gard fut un grand terroir de Présidents nationaux – mais n’attendez pas de moi que je vous rafraîchisse la mémoire – c’est ce qui me permet d’affirmer que Dominique Granier sort de l’ordinaire. Ce garçon est monté sur un ressort, il a de l’énergie à revendre et surtout il écoute ce qu’on lui dit et il réfléchit. Ne me faites pas dire que de telles prédispositions ne sont pas communes à la corporation des présidents, simplement je constate que Dominique Granier, depuis que je le connais, n’a pas pris un gramme de notabilité. C’est rafraîchissant.
Lorsqu’avec sa casquette de président de la SAFER il constate que dans sa Région le foncier agricole fond, deux fois plus vite qu’en France et trois fois plus qu’en Allemagne sous l’effet d’une urbanisation sauvage. Lorsqu’il souligne que le phénomène est du à la prédominance du mode de faire-valoir direct : 70 % des agriculteurs du Languedoc-Roussillon, propriétaires de leur sol, sont peu à peu contraints de le brader pour survivre, par opposition au reste du pays, où 70 % des paysans sont des fermiers. Et lorsqu’il lâche en conclusion « Nous sommes face à un choix de société extrêmement grave » je prends très au sérieux son avertissement. Ça me change des discours sur le tonneau et autres joyeusetés du microcosme languedocien.
Lui et moi ne nous sommes jamais croisés – il était encore un jeunot – lorsque j’étais aux manettes, en charge de responsabilités comme on l’écrit dans les gazettes : « le bras droit du Ministre » écrivait Laurent Thieule dans le Midi Libre (le JO de la viticulture méridionale de l’époque) mais, sa modestie dusse-t-elle en souffrir, il fait parti de ceux avec qui « on avance ». Sur le dossier « Cap 2010 » son sentiment d’occasion manquée n’est pas feint. Mais ce matin je laisse le vin de côté.
En effet, lorsque Dominique Granier dans le Nouvel Obs. http://www.berthomeau.com/article-lettre-de-dominique-granier-vigneron-du-gard-a-jean-pierre-coffe-50297553.html a évoqué les pêches du Gard l’image du Président de la FNPF Henri Bois, producteur de pêches dans le Gard à Saint Gilles, avec qui j’avais lié une solide amitié au temps où je faisais mes premières armes auprès de Michel Rocard Ministre de l’Agriculture, m’est revenue. Face à un François Guillaume vent debout il n’a jamais failli à sa parole donnée, un vrai Président. Ses 4 fils ont pris sa succession lui l’Ardéchois descendu dans le Gard et sont à la tête d’une grande entreprise (15000T de fruits et 15 M d’euros de CA). Des gros me dira-t-on, pas de quoi faire pleurer dans les villes.
Mais pourquoi diable les paysans devraient-ils faire pleurer ?
Les propos de Dominique Granier ne sont pas larmoyants mais réalistes. Ils interpellent sans pathos. Dans ses habits de Président de Chambre d’Agriculture il se fait le porte-parole, non d’une corporation passéiste, mais de ceux qui tiennent nos territoires. Je ne vais pas reprendre mes antiennes habituelles mais demander à Dominique Granier de répondre à mes questions.
Jacques Berthomeau: Dominique Granier dans la rubrique du Nouvel Obs. de la semaine passée « Une personnalité nous écrit » avec un titre à la Sergio Leone : « Pour quelques centimes ? » vous jetez un pavé dans la mare des pousseurs de caddies, vous les interpelez, n’est-ce, comme on dit vulgairement, qu’un de ces coups de gueule sans lendemain ?
Dominique Granier : C'est beaucoup plus qu'un coup de gueule : l'agriculture est une activité à la fois économique, sociale, écologique, patrimoniale. De ce fait la société doit lui assurer les conditions d'une rentabilité minimale quitte à mettre en place des garde-fous évitant les abus. Dans le Gard, sur une culture comme le pêcher : à force d'enchaîner des récoltes vendues à perte, on assiste à la mort d'exploitations qui étaient le fleuron de l'arboriculture sur un terroir qui est un véritable eldorado agronomique, qui plus est, aménagé et irrigué il y a cinquante ans par la Compagnie du Bas Rhône Languedoc de Philippe Lamour : les Costières, terroir exceptionnel qui — je le précise pour les lecteurs de votre blog — ne sont pas seulement productrices de vin mais aussi de fruits et de maraîchage. Et bien de 1997 à 2007, il a manqué en moyenne de 8 à 20 ct par kg de pêche chaque année pour simplement équilibrer les comptes !
Résultat : aujourd'hui : plus de 300 ha de pêchers abandonnés sur pieds, un risque sanitaire énorme pour la zone. Et surtout 300 emplois en moins, des jeunes et des gens qui vont pointer au chômage. Pas de bruit, pas de pneus enflammés, pas de Prime time comme pour les salariés de Continental, mais tout aussi dramatique. Voilà ce que je veux faire comprendre : nous sommes au bout de notre capacité légendaire de rebondir. Tout cela pour quelques centimes. Et je pourrais citer la cerise du Gard restée sur les arbres l'an dernier car les prix payés aux producteurs ne couvraient même pas les frais de ramassage, tandis que les consommateurs ne pouvaient même pas se les payer. Ensuite, vous n'avez plus qu'à dépenser quelques millions d'euros pour dire aux Français qu'ils doivent manger cinq fruits et légumes par jour…
Jacques Berthomeau : C'est quasiment du commerce équitable que vous souhaitez ? Ça devrait plaire à la Grande Distribution si friande de ce label.
Dominique Granier : Et bien oui ! Et pourquoi pas ? Le commerce équitable à l'origine, c'est pour aider à la survie des paysans… Chez nous, on y est ! Aujourd'hui 75 % des exploitants du Languedoc-Roussillon ont moins de 7000 euros de revenu annuel !
Pour les Français, le commerce équitable commence à côté de chez eux : les agriculteurs locaux contre les produits low-coast. Ou alors on n'a qu'à aller chercher des Préfets, des gendarmes, des artisans, des ministres en Inde ou en Chine… Après tout ils ne seront pas forcément aussi bons mais ils seront bien moins chers !
Un paysan qui disparaît, c'est un pan du territoire en friche qui apparaît, des balades du dimanche condamnées, du patrimoine séculaire qui fout le camp. Et demain, dans le Gard, on ne passera plus du Pont du Gard aux arènes de Nîmes ou de la bambouseraie d'Anduze à la plage du Grau du Roi en traversant ces magnifiques paysages méditerranéens cultivés. Cet enjeu est l'affaire de tous. Je suis donc content que le président Sarkozy se penche lui-même sur les marges abusives de la Distribution. Maintenant… « Wait and see ! »
De notre côté, l'effort sur les charges, nous le faisons et le ferons encore, mais lorsque la variable de rentabilité d'une production repose sur quelques centimes, cela devient l'affaire de tous. Surtout quand 65 % du coût d'un kilo de pêche provient de la main d'œuvre et que ce ne sont plus seulement les paysans d'Italie ou d'Espagne qui ont un coût horaire plus bas que nous mais aussi les Allemands, les Belges, les Hollandais…
Jacques Berthomeau : Générer de la valeur certes par ces « quelques centimes de plus » demandés aux consommateurs mais que faites-vous pour les convaincre qu’ils ont besoin de vous sur vos territoires ? Est-ce que vous vous réveillez brutalement face à l’ampleur du désastre ou bien avez-vous déjà entrepris des actions en leur direction ?
Dominique Granier : Oui ! Cela fait déjà quinze ans que le Gard développe ET la qualité ET la proximité. Si je compte tous les produits, nous en avons une soixantaine sous signe de qualité. Dans un contexte de réduction budgétaire, on a mis le paquet sur le réseau Bienvenue à la ferme. Résultat : le Gard fait partie des trois premiers départements français en agritourisme.
La force de l'agriculture c'est qu'elle fédère ! Nous avons su motiver la Communauté Nîmes Métropole et le Conseil général du Gard et ça marche ! Nous faisons prendre conscience aux décideurs politiques de l'importance de l'agriculture locale. Pour éduquer au goût dès l'enfance, à la saisonnalité et à la complexité toute en nuance de notre activité ; pour faire entrer nos produits dans la restauration scolaire et collective ; pour faire de la pédagogie, comme dans notre station d'expérimentation, la SERFEL à Saint-Gilles qui accueille chaque année 2000 scolaires, pour quelques heures de joie, de découvertes, de pique-nique en plein air et de cueillette sur l'arbre. Nous estimons être à plus de 20 % de vente directe. Nous devons encore progresser ! Nous devons cultiver nos consommateurs à notre porte et le citoyen doit aussi cultiver ses producteurs à sa porte. C'est un intérêt partagé.
Dans le même domaine, nous sommes désormais le 3e département bio de France. Pour nous, la bio, c'est une des façons de faire de l'agriculture durable. La bio, c'est techniquement plus compliqué que le conventionnel, et pas gagné commercialement si on ne s'organise pas… Plus largement, nous militons pour une agriculture écologiquement intensive ; mais elle ne peut-être durable que si elle génère des agriculteurs durables. Pour cela, notre combat est d'obtenir cet équilibre subtil entre la capacité personnelle de l'agriculteur, la rentabilité de ses productions et le soutien indispensable que la société doit lui apporter, véritable investissement à long terme pour elle !