Je ne suis pas François Simon link, ça se saurait. En revanche, né et élevé au beurre salé baratté par la tante Valentine, aux poulets de grains de mémé Marie, aux légumes du jardin du pépé Louis, à la cuisine de ma sainte mère : ah, le beurre blanc de maman, j’aime par-dessus tout le goût des choses dans leur plus simple et naturelle expression.
photo M style
Bruno Verjus est un inventeur de produits de génie – au sens de celui qui a découvert un trésor (article 68-9 du Code minier français). Il cherche et il trouve le produit d’exception à qui il donne toute sa chance en révélant ses saveurs originelles. Bruno et son équipe ne cuisinent pas, ils révèlent le goût des choses.
J’avais, avec ma copine Isa, fait l’ouverture de TABLE link : belles promesses puis j’avais fait un saut, plus tard, pour me faire une Parthenaise – quelle vulgarité ce Taulier – link Mention bien mais j’attendais encore mieux.
Vendredi, je vous l’ai écrit ICI link j’ai soupé à TABLE, à la table d’hôte face à Bruno et à son équipe aux fourneaux.
À ce propos, une petite incise tirée de « Manger » roman de Marie-Odile Beauvais :
« On mange quand ? demande la fille d’Édouard à son père.
- On ne mange pas, on déjeune, on dîne, on soupe, on grignote, on ripaille, on fait collation ou médianoche, on déguste, on goûte, on dévore et, s’il le faut, on casse la croûte, mais apprends qu’on ne mange pas.
- Alors ça sert à quoi le verbe « manger » ?
- Ça sert ailleurs, mais pas à table, ni au salon, c’est très mal élevé.
- Quand le loup dit au Chaperon rouge, « C’est pour mieux te manger, mon enfant », il est mal élevé ?
- Très. D’autant que ça ne se fait pas de manger les petites filles. Pas plus que les grands-mères qui sont bien moins tendres. À sa décharge, le loup n’était pas à table, il était au lit.
- Alors ce soir, on dîne ou on soupe ?
- Ce soir, on réveillonne. Enfin, quand ta mère sera là. Tiens on sonne, justement, la voilà. »
Sitôt assis pour ce souper impromptu je décidai de confier la partition de mes agapes au chef : ça s’appelle Menu Carte sur Table. Même si ce n’est pas dans mes habitudes de confier mes intérêts de bouche à un tiers je fis ce choix sans crainte car c’est Bruno qui tenait la baguette.
Puisqu’on appelle piano le plan de travail des cuisiniers, permettez-moi de noter, qu’au-delà de l’excellence des mets, de l’art de ce que fait la main, le rythme du service, le tempo, ajoute une touche de plaisir au déroulement d’un repas. Les silences, les soupirs et les demi-soupirs, permettent de converser entre les mets. Le trop est de trop, ni trop vite, ni trop lent, la bonne cadence c’est celle souhaitée, il faut la sentir, la ressentir.
Bruno a eu la main heureuse avec Alice et Ludo. La première vole, traverse le miroir, légère, attentive et souriante : une perle rare ! Le second, homme des vins, avenant et compétent, discret, pratique un sport à haut risque : l’accord Mets&Vins et c’est vous dire que j’étais en confiance car j’ai opté aussi pour que le verre de vin qui accompagnerait chaque plat serait de son choix. Je me retrouvais donc en pilotage automatique ce qui me laissait tout le loisir d’observer le travail de précision de Bruno et de son équipe. Un côté ruche tranquille où chacun est à sa place, exécutant sa partition avec nuance et soin. Pas si simple dans un si petit espace qui s’apparente à une fosse d’orchestre où rien n’échapperait au public.
Que fut donc la composition de ce souper ? (mes photos des plats sont foirées donc je ne ferai pas comme mes copines blogueuses qui parfois publient des horreurs)
Avant d’entrer dans le vif du sujet je me suis offert une coupe – je plaisante, une flute – de champagne Marie-Courtin Résonance extra brut link
- Foie gras des Landes fèves crues de cacao de Sao Tomé et Principe, poivre sauvage voatsiperifery (20/20)
+ Klevener De Heiligenstein 2012 Rietchlink
- Coquilles Saint Jacques d’Erquy crues, neige de chou-fleur, sel matcha (le goût de mon océan... un parfum d'enfance)
+ Bourgogne La combe 2011 Antoine Petitprezlink
- Huîtres plates sauvages 000 de Maldon tiédies à la grille, beurre cru d’agrume&nori (sauvage vous avez dit sauvage...)
+ Melon Vin de France La sœur cadettelink
- Maigre de l’Ile d’Yeu épinards de regain au sautoir, sésame, pommes de terre infusées d’anguille fumée (grand très grand Insula Oya... mes 20 ans à la Ferme des 3 Moulins...)
+ Pouilly-Fuissé Tradition Domaine Valette 2009 link
- Poularde infusée à la flouve odorante& rôtie simplement sur l’os, endives de pleine terre, chou d’aigrette (fin, très fin, la quintessence de la volaille...)
+ Sur la root Vin de France Lilian et Sophie Bauchetlink
- Vieux Gruyère suisse affiné par Hervé Mons (du fromage enfin sur une belle table !)
+ Savagnin Vin de France Clos de Trus François Rousset-Martin
- Coing infusé de vanille grand cru de Tahaa crème glacée caramel au beurre demi-sel (l'enfance toujours l'enfance, le cognassier, je ferme les yeux...)
+ Champagne fidèle extra brut Vouette et Sorbéelink
Un sans-faute dans une ambiance conviviale et chaleureuse, à la fin du repas j’ai pu engager la conversation avec le couple de la table voisine. Même si je ne suis pas François Simon je me permets d’écrire que TABLE est une Grande Table digne de beaucoup d’étoilés. Des produits d’excellence, des cuissons respectant les saveurs, un service impeccable, et une addition qui bien sûr n’est pas légère, mais conforme au tarif affiché sur la carte, donc sans surprise. Venir s’asseoir à TABLE c’est un instant de volupté, de belle satiété, une rencontre d’exception au gré de l’instant, des saisons, avec des produits d’artisans, rares, apprêtés avec savoir-faire. Tout cet ensemble justifie que l’on délie les cordons de sa bourse sans pour autant faire des folies. Pour mes verres de vin j’ai réglé 39€ ce qui dans le contexte parisien est aussi très raisonnable eu égard à la qualité des vins servis, parfaitement servis. Aucune fausse note : que du bon !
Moi qui ne suis pas un grand amateur des accords mets&vins, je tire mon chapeau à Ludo, il a, à la fois, tiré juste, tout était raccord, et fait grand plaisir en choisissant, sans le savoir, que des vins que j’apprécie. Qui c’est qui a dit que la tendance naturiste nous entrainait vers des déviances insoutenables et intolérables. Qui veut tuer son chien dit qu’il a la rage ou mieux que c’est un sale bobo.
Bravo Bruno, tes petits copains de la Toile t’attendait au coin de ta TABLE pour te tailler un sacré costard sur-mesures. Ils en seront quitte à se replier la queue entre les jambes car tu as relevé avec brio et classe le défi. Comme je te l’ai dit vendredi, tu as gravi en peu de mois beaucoup de marches qui place TABLE sur le même plan que beaucoup de Grandes Tables.
Moi qui ne suis ni gourmand, ni gourmet, mais rien qu’un flâneur qui aime passer à table, partager le pain et le sel, boire avec délice, bavasser, rêver, TABLE est, à l’image de Bruno, un lieu où tout est mis au service du « goût du bon ». Exigeant, la barre était haute, ambitieux mais généreux, Bruno est un homme qui fait. Il faut le voir œuvrer, concentré, habité même, tout entier voué à une forme de sacerdoce du manger vrai. Ne me dites pas que je l’encense, même si mon passé d’enfant chœur jureur m’y prédisposerait, que je m’enflamme. Non, quand j’aime je ne compte pas, je conte ce qui fut un vrai « Petit bonheur ».
Merci à Bruno et à toute son équipe avec une mention spéciale à Alice et Ludo. À bientôt !