Tirer le portrait d’Olivier Dauga me turlupinait depuis que nous nous étions croisés à Vinexpo en 2009 link J’avais écrit ce jour-là « Olivier Dauga, né dans les vignes, sa carrure de rugbyman, ses lunettes, ses santiags, un style qui décoiffe l’establishment bordelais, une philosophie fondée sur l’harmonie entre terroir, raisin et la personnalité du propriétaire, une conception de l’environnement du produit résolument moderne pour toucher le consommateur, un vision très haute-couture par le sens du détail, une passion de l’excellence, des aphorismes percutants « la plus grande bouteille est celle qui se boit. » Mais la roue tourne, chacun suit son chemin, on se recroise de temps à autre sans prendre le temps de s’arrêter pour aller au-delà des clichés aussi réducteurs que commodes. En effet, s’en tenir aux chemises à fleurs d’Olivier, à ses grôles, à sa dégaine de 2de ligne et à ses aphorismes un peu provocateurs c’est tout bêtement passer à côté du bonhomme. Bon, pour certains de ses confrères passer à côté de leur personnalité n’est pas un problème car en fait ils sont tellement engoncés dans l’image qu’ils se sont fabriqués que dessous ça sonne le creux. En dehors du vin, point de salut, c’est le toujours plus, une course effrénée à la notoriété dont a bien du mal à saisir la finalité.
Olivier s’affiche, s’expose, au risque de se surexposer mais ça n’est pas qu’un jeu il y a sous le faiseur de vin affiché un gars qui a du cœur et un réel amour de la terre. Fort de cette intuition, et mes copines attesteront que j’en suis bien doté, il ne me restait plus qu’à soumettre Olivier, non pas à mes questions mais au plaisir d’une vraie conversation à bâtons rompus autour d’une table, fourchettes et couteaux, verres bien emplis qui délient l’esprit. Rendez-vous pris sur les hauteurs de Paris, du côté d’Abbesses un midi pour déjeuner. Je rejoins Olivier et nous marchons sur les pavés disjoints d’une de ces petites rues de la Butte qui mènent à la rue Lepic, tout en haut, au-dessus du Moulin de la Galette où Antoine Westermann vient d’ouvrir Coq’rico. Nous bavardons et tout à coup je me viande lourdement, mon pied droit ayant glissé sur un pavé. Olivier, en bon deuxième ligne, s’en veut de n’avoir pu me rattraper afin d’éviter ma chute, par ailleurs sans gravité. Ça c’est Olivier, l’esprit d’équipe, le bon geste, la solidarité. Arrivé à Coq’rico nous nous installons à la table d’hôte tout au fond, à un bout, à l’autre un couple déjà installé. Commande d’un poulet de Challans, des œufs en entrée et une bouteille de côte roannaise proposée par Olivier. Le décor est planté et nous sommes idéalement en situation de tenir une vraie conversation.
J’ai pris, une fois n’est pas coutume, des notes afin de ne pas me planter mais, comme ça fait quelques mois de ça, elles me paraissent bien maigres sans liens. Peu importe, plus que le détail des paroles c’est la musique qui compte et d'elle je me souviens bien. Ce qui me frappe tout d’abord c’est qu’Olivier est certes né dans un milieu viticole, Vérac le château du Pontet, mais son père est membre de l’UNCAC, l’Union Nationale des Coopératives d’Approvisionnement et de Céréales, la coopération, le mutualisme, il relance le bœuf de Bazas. Avec Olivier il est facile de parler d’autre chose que du vin, sa culture est aussi agricole. Même que nous abordons un instant ma mission laitière, le monde est petit pour ceux qui veulent bien ouvrir portes et fenêtres. Le père d’Olivier créera aussi Sol Dive, une belle marque de melon. Bien sûr Olivier s’intéresse au vin, tout comme Michel Rolland, il passe par le lycée agricole de Saintes l’Oisellerie mais comme il le dit c’est le temps de l’insouciance, Cognac, Martell, il joue au rugby, rejoint le Bataillon de Joinville pour faire son service militaire, y côtoie, Gérard Bertrand, Aubin Hueber, Olivier Roumat. Une autre époque, un temps où l’on forgeait des jeunes hommes dans des principes qu’on a aujourd’hui trop tendance à railler. Olivier rejoint le SBUC à Bordeaux. Sans doute ne suis-je pas exhaustif et ma chronologie est un peu ollé, ollé, mais il y a un temps pour tout et celui-ci pour Olivier lui permet aujourd’hui, permettez-moi l’image, d’émerger de la mêlée avec une belle part d’humanité, d’épaisseur humaine qui allie le goût de la compétition avec une forme de respect de l’environnement humain.
Ensuite, et là je me perds dans le bazar de mes notes, autrefois les grands reporters étaient équipés des merveilleux Nagra, mais Olivier me confie, et j’aime la formule « Le Médoc était à cette époque-là un truc invisible… » Et puis Alfred Minot (je ne sais plus qui c’est) envoie des gars à Sociando-Mallet et c’est la rencontre avec Jean Gautreau. Olivier découvre un homme hors normes doté d’un sens du détail exceptionnel qui se donne les moyens de sa politique : grâce à lui il sort de sa culture familiale, ouvre grande ses élytres, engrange de l’expérience, une école d’humilité. Ensuite la direction technique de la Tour Carnet. C’est la rude école où sa combativité est mise à l’épreuve et comme il me le confie en 96 il sort la tête hors de l’eau, il lève le nez au-dessus du guidon et, sans aucun doute, dans sa tête un grand désir d’indépendance s’installe. Son passage chez Jean Guyon, à Roland de By et haut Condissat, où Olivier accomplit le dernier pas de son parcours : il apprend au côté d’un homme qui n’est pas du sérail : le faire-savoir, il ne suffit pas de faire du vin il faut vendre des bouteilles.
Enfin, le grand saut, la question s’installer, oui mais le coût du foncier est un facteur limitant. Alors, à l’image des Michel Rolland, Stéphane Derenoncourt, du professeur Dubourdieu et d’autres : devenir consultant. 2 ou 3 clients au départ, le bouche à oreille, tenter d’apporter autre chose, de ne pas se substituer au propriétaire, garder son caractère entier et indépendant… Alors ne pas s’en tenir à la place de Bordeaux, voir ailleurs dans les vignobles proches : la Navarre en Espagne ou plus lointain : le choc de l’Australie avec ses autres méthodes, son approche du vin entièrement tournée vers la recherche de nouveaux consommateurs. La Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud sont des pays de consultants, alors s’y établir. Le chemin des hommes est rarement rectiligne, il est pavé d’hésitations, d’enthousiasmes ou parfois d’impasses. Qu’importe l’important c’est d’avancer vers le but qu’on s’est fixé. En 2003, avec sa compagne Cathy Olivier se pose les termes de l’alternative de tout jeune entrepreneur qui a atteint une certaine notoriété : se développer ou en rester à une forme de cousu-main ? C’est la deuxième voie qui est choisie avec des relations privilégiées avec les vignerons. Ne pas se mettre en avant, bien identifier son vignoble, son potentiel, le faire s’exprimer. Dit comme ça, tout paraît simple, banal, mais n’est-ce pas là le lot de toute activité humaine, ce que fait la main qui n’est en rien de la pure mécanique mais l’expression la plus aboutie de la pensée.
D’autres chantiers sont en cours tels le suivi des vins de la Cave en ville de Monoprix, la Cuvée Mythique du Val d’Orbieu… mais ça sera pour une autre fois car chacun d’eux requiert de ma part une attention particulière car nous sommes dans le domaine des vins du plus grande nombre, ceux que mes chers confrères confinent dans la zone grise, celle qui n’est pas intelligible à leur haute compétence, tous ces vins de monsieur et madame tout le monde qu’au fond ils méprisent absolument. Le temps passe si vite lorsqu’il est empli d’une conversation suivie et j’ai tout juste le temps d’amener Olivier à des confidences qui paraîtront à certains hautement futiles mais qui dans la trame qui compose la personnalité sont tout autant révélatrices que la hauteur du CV. Olivier aime les tissus, leur texture, leur toucher, c’est un tactile et comme en toute chose, la beauté de la matière, sa densité, son origine, son mode de fabrication, est à la base de tout. Cette animalité, cette sensualité que je partage avec Olivier, ôte à l’intellect pur, sa froideur, son inhumanité. Le contact est essentiel, il donne aux gestes comme aux mots leur chaleur, leur densité, leur force. Le faiseur de vin est tout entier dans cette sensibilité, cette simplicité, ce faire qui manque si souvent à celles et ceux qui se contentent de refaire le monde sur leur canapé ou sur les lignes de leur science.
Si j’avais encore du temps, nous aborderions un sujet cher à Olivier : la Ford Mustang dont j’ai évoqué le mythe récemment à propos d’un film culte Bullitt avec Steve Mac Queen et une poursuite extraordinaire dans les rues de San Francisco link Un de mes lecteurs vigneron à écrit en commentaire : « La poursuite de Bullitt est un monument: on attache la ceinture, et pas une goutte de sueur avec le col roulé. La classe jusqu'au bout, il évite le motard et j'ai l'impression que SM Queen semble vérifier qu'il peut repartir.
Et les rapports de vitesse sont beaux comme des doubles débrayages... »