C’est Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra (Gallimard 2007) énorme succès mondial dont a été tiré le film de Matteo Garrone en 2008), qui l’écrit dans la Repubblica « Du temps où j’habitais les quartiers espagnols de Naples, je connaissais par cœur toutes les chansons néomélodiques. Et je les connais toujours, à vrai dire, ces airs que les radios déversent à plein volume dans les ruelles, qui s’échappent des voitures et des sonneries de portables. Chaque matin à l’heure du ménage jaillissent des fenêtres ouvertes les voix de Tony Colombo, Rosario Miraggio, Stefania Lay et de mille autres. « Plus je souffre et plus je veux tester ce que fait le sel sur les plaies » (Rosario Miraggio).
Les artistes mineurs sont comme les petits vins, ils existent et leur popularité veut dire quelque chose qu’il faut se garder de mépriser. Comme le remarque très justement Saviano « c’est un marché – les producteurs et distributeurs de ces chanteurs pressent souvent eux-mêmes des copies pirates pour prendre de vitesse les faussaires – qui ne connaît pas la crise. Il ne touche pas simplement Naples et sa région, mais tout le sud de l’Italie, qui représente un immense vivier de fans. De la Sicile aux Pouilles en passant par la Calabre et le Basilicate, régions qui possèdent leurs propres répertoires traditionnels en dialecte, les jeunes plébiscitent les chansons modernes en dialecte napolitain. »
Les thèmes : sentiments, amour et trahison, sont universels mais les textes racontent le quotidien sur les terres de la Camorra où il est synonyme de mort, de prison, d’enrôlement, de violence et de pouvoir. L’absence de choix, c’est inéluctable avec pour corollaire l’honneur et le silence. Mais peu importe si le monde est hostile puisque la famille est là, aimante. « Le talent et la damnation des chanteurs néomélodiques résident dans leur art de raconter les moments de la vie quotidienne, en s’attachant à la vie et au destin de ceux qui composent leur public : les personnes contraintes à la cavale, des femmes mariées ou fiancées à des fugitifs, des tueurs à gages qui en ont assez de leur sale besogne. »
Je commence ma journée en faisant du mal à cette ville.
Casque sur la tête, j’enfourche ma moto, prêt à dégainer, bête à sang-froid sans pitié, je me sens comme un enfoiré blasé et perdu…
On peut bien sûr écouter ces bluettes avec le mépris, trouver ces chanteurs et chanteuses ridicules mais comme l’écrit Saviano « ces chansons m’ont plus appris sur mon pays que les dizaines et les dizaines d’éditoriaux. Elles représentent un pan important de l’Italie. »