Parfois il est des évidences qu’il faut savoir énoncer tant le sens commun semble les avoir oubliées. Lorsque le temps s’ancrait dans la réalité et non dans des images, des concepts, fricotés par des petits génies du pré-vendu, du prédigéré, faiseurs de modes ou de tendances, une salle à manger était la pièce où l’on mangeait le dimanche chez les petits bourgeois, tous les jours chez les gens d’en haut, alors que le populo lui, faute de place se contentait de le faire dans une cuisine pourvue d’une table et de chaises. Quant au restaurant, petit ou grand, du Routiers au bord des grandes nationales dont la 7 bien sûr, en passant par les bonnes maisons souvent tenues par des femmes, jusqu’aux grandes tables étoilées, on s’y arrêtait ou, on y venait, pour se restaurer. Il y avait même des maisons où l’on pouvait apporter son manger et qui gagnaient leur vie avec le boire.
Bien sûr, chez soi, comme au restaurant, tout un chacun reste sensible à la qualité, voire à la beauté, de la vaisselle, des couverts, du nappage, des serviettes et surtout pour nous gosiers fins : des verres. Des fleurs sur la table, un service attentionné et impeccable, chez soi comme au restaurant participent au savoir-vivre et au contentement. Et bien évidemment la simplicité n’est pas forcément synonyme de petite cuisine ou de gastronomie au rabais. Le décorum, l’épate, le trop de tout, aussi bien dans le style néo je ne sais quoi que dans la froideur d’un faux-minimalisme à coup de matériaux dignes d’une formule 1 ou d’une fusée spatiale, n’apportent pas grand-chose au plaisir si ce n’est celui d’un paraître de nouveaux riches. Quant au service proliférant, encombrant, caquetant, malpoli lorsqu’il interrompt la conversation pour vous décrire l’œuvre du maître, intransigeant pour la partie sommelière sur les accords mets-vins, hautain parfois comme si nous n’étions pas à la hauteur de la magnificence de la maison qui nous tendra une addition en béton ou cire-pompe jusqu’à l’outrance si dans la tablée la tronche de cake d’un ou d’une people émoustille la brigade, je ne vois pas ce que tout cela apporte à ma restauration.
Reste l'essentiel : ce qu’il y a dans notre assiette, puisque de nos jours le service se fait majoritairement à l’assiette, et là trop souvent le désir du client, de celui qui vient se restaurer – concept qui selon les jours, les heures, les circonstances va de l’œuf mimosa jusqu’au plat le plus raffiné – est la dernière préoccupation du chef. Quand il ne vous impose pas un manger sans choix possible, il ne vous demande en rien votre avis sur la taille de la portion qui va d’un minimalisme chichiteux absorbant des heures d’une main-d’œuvre très qualifiée à un trop de tout qui ne cadre pas forcément avec l’appétit d’oiseau de votre compagne du jour. Pour le boire n’en parlons pas, vu la tradition des prix à la bouteille coups de bambous ou de ceux au verre à choix restreint et tout aussi juteux. Quant à la qualité du breuvage elle dépend du soin apporté à la conservation. Bref, et si ces messieurs – ils sont encore ultra-majoritaire – et ces dames aussi, voulaient bien penser un tout petit peu à nous plutôt que d’être obsédés pour certains ou certaines par des étoiles de plus en plus toc ou par du du précuit pour les champions du revenant bon maximal avec les gogos de payants.
Pour inverser la tendance, le cours, que dis-je la dérive, ce matin je lance un appel pour un retour aux sources en mettant sur la table une chaîne volontaire – je n’ai pas écrit franchisée – baptisée : La Salle à manger®.
Chaque adhérent y adjoignant son prénom, son nom, celui du lieu, de ce qu’il veut. Ce qui donnerait : La salle à manger de Léon, d’Eva, d’Antonin et de Samia Iommi-Amunategui, de Guillaume NICOLAS-BRION, de la Baronne G, du Taulier, de la Gare, de la Poste, de la Santé, du Boulevard Saint-Jacques, des Amoureux, de Sainte Thérèse de Lisieux, des Indignés, des Bois sans soif…
La Charte de cette chaîne volontaire n’aurait rien à voir avec un cahier des charges. Je hais les cahiers des charges ! Ne serait en rien un label. Je déteste les organismes certificateurs mangeurs de laine sur le dos. Ce serait tout bêtement l’engagement de faire simple et de bon goût pour le décor et tout ce qui touche à la table...
Et du côté manger du bon, du frais, de la proximité, du cuisiné en direct avec comme seul juge le bouche à oreille des clients. Le point essentiel sera de proposer si le chef tient au service à l’assiette des portions tarifées en fonction de l’appétit du client : je n’innove en rien ça existe déjà dans certains restaurants (petite, moyenne, grande assiette). Dans le cas d’un plat partagé sur table par les convives : même approche pour l’importance du plat : ça se fait déjà avec les poissons selon leur poids. Bref, ce qui compte c’est l’adéquation entre la faim du ou des clients et la nécessité pour le restaurateur de gagner sa vie. Plutôt que de nous faire chier avec des descriptions de plats un bon palabre préalable au repas mettrait tout le monde en appétit et permettrait de satisfaire et le porte-monnaie du restaurateur, et celui des clients, tout en contentant l’estomac de ces derniers. Tout le monde n’atteint pas la satiété avec la même quantité de manger.
Et du côté matériel de cuisine : tout ce qu’il faut, rien que ce qu’il faut et pas plus que ce qu’il faut. Nous les cochons de bouffants nous n’avons nul besoin de voir le poids des investissements pharaoniques des stars de la haute gastronomie faire maigrir nos assiettes. C’est lourd pour l’addition et léger pour l’estomac ! La satiété est trop souvent inversement proportionnelle à celle de l’ego de certains étoilés. Les millions d’euros ça ne n’apporte pas à la cuisine une once d’inventivité, ça satisfait les fonds de pension qui n’aiment rien tant que le gavage à deux chiffres.
Enfin du côté du vin : là je propose, mais je n’impose pas, le concept de vignerons ou de maisons de vin associés à La Salle à manger ® fondé sur la triple satisfaction du client, du vigneron et du restaurateur toute entière contenue dans le PRIX de la bouteille ou d’un verre. Discussion, échange d’arguments, accord clair tenant compte des intérêts de chacun : ça me semble plus productif et efficace qu’un colloque sur le prix des vins au restaurant. Sans se la jouer alter : du commerce équitable explicable aux clients.
Le seul engagement obligatoire sera bien évidemment une adhésion à l’Amicale du Bien Vivre dites des Bons Vivants et bien sûr le Taulier ne touchera pas la moindre royaltie sur l’enseigne. Il se contentera, tout autant que Dieu lui prête vie, de botter le cul à ceux qui profiteraient de la folle réputation de l’enseigne La Salle à manger ® pour fourguer tout ce qu’il déteste et décrit ci-dessus. Autre point de la plus grande importance : pas de photo du Taulier, genre petit père du peuple, encadrée dans la salle à manger.
Bien évidemment toutes les suggestions visant à améliorer la « géniale proposition » du Taulier seront les bienvenues…
Bien sûr il suffit de consulter Google pour comptabiliser toute une tripotée de restaurants baptisés La Salle à manger mais ils n’ont rien à voir avec ce que je propose. Ils n’ont pris qu’un nom de fantaisie… Nous c'est du lourd, du vrai, de l'authentique...