Aux USA, la fête de Thanksgiving a lieu le 4ième jeudi du mois de novembre, ce jour-là, on remercie Dieu par des prières et des réjouissances pour les petits et grands bonheurs de l’année écoulée. L’origine de cette fête remonte aux premiers arrivants venus sur le « Mayflower » qui se sont établis à Plymouth Rock le 11 décembre 1620. Le premier hiver fut redoutable : 46 étaient morts sur les 102 arrivants mais la moisson de 1621 fut bonnes et le gouverneur William Bradford décréta trois jours d’action de grâce. Les colons invitèrent le chef indien Massasoit et 90 de ses hommes à venir partager leur repas en remerciement de l’aide apportée. Durant ce festin des dindes sauvages et des pigeons furent offerts. Ce fut George Washington qui proclama une journée nationale du Thanksgiving en 1789 mais ce fut une éditrice de revue, Josepha Hale, qui contribua par de nombreux articles à l’instauration du « Thanksgiving Day ». Finalement, c’est en 1863 que le Président Lincoln proclama le dernier jeudi du mois de Novembre journée nationale du Thanksgiving.
« Récemment, dans le Times, Frank Prial a affronté l’éternelle question, celle du vin qu’il convient de servir pour accompagner la dinde et les garnitures d’usages. Certains suggèrent le champagne, d’autres un chardonnay, Frank penche pour un zinfandel, et il laisse même entendre qu’un jeune cabernet sauvignon pourrait faire l’affaire. Sachez toutefois que mon père ne recommande rien d’autre qu’un Johnnie Walker Black.
Nous faisons notre dîner de Thanksgiving au restaurant Regis. En bons traditionnalistes, maman et moi nous nous cantonnons à une bouteille de champagne. L’aspirant consort actuel de ma sœur, Doug Hawkin, docteur en médecine, a déjà englouti plusieurs Coca light, comme s’il n’y avait pas de lendemain. Il est arrivé avant nous, droit sorti de la salle des urgences du New York Hospital. Doug le Doux Dingue est chirurgien en traumatologie dont Brooke a fait la connaissance après qu’elle est tombée dans les escaliers de l’université Rockefeller. Brooke est défoncée et sirote une infusion de menthe, comme la hippy qu’elle fut autrefois, en regardant le contenu de son assiette d’un œil mauvais.
- Thanksgiving est la fête de la gratitude, mais j’ai du mal à dire merci, alors que tant de personnes de part le monde souffrent ce soir, marmonne-t-elle.
- Tu n’as qu’à remercier le ciel de n’être pas l’une d’elles, dit papa en attaquant un nouveau verre de Scotch.
- En Ethiopie, une famille de quatre ne voit pas autant de protéines en un mois.
- Vous devez voir beaucoup de souffrance, dit maman à Doug.
Je ne comprends toujours pas pourquoi il est venu. Est-ce qu’il n’a pas une famille bien à lui, tout aussi cinglée que le nôtre, à ennuyer ?
- Est-ce qu’il y a une saison particulière, un mois, ou une période durant laquelle vous recevez plus d’urgences en traumatologie ? poursuit maman.
Papa renifle en entendant cette question – c’est la déclaration nasale d’un homme qui ne cesse jamais d’être ébahi par l’excentricité de sa femme.
- Non, en fait, c’est une bonne question, dit Doug, répondant à la fois à maman et au ronflement de mon père. La pleine lune est le pire moment. Les urgences sont systématiquement plongées dans une frénésie extrême les nuits de pleine lune. Je ne sais pas comment l’expliquer scientifiquement, mais la manifestation empirique est tout à fait convaincante. Ce qui est plus facile à comprendre, c’est pourquoi les enfants malades, en particulier ceux qui sont issus des quartiers défavorisés, ont tendance à arriver aux urgences après vingt-trois heures.
Maman arbore une expression de joyeuse perplexité.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que c’est la fin de la soirée télé.
- - Les enfants attendent la fin des programmes pour tomber malades ?
- Je crois, intervient papa, que le... heu... l’ami de Brooke veut dire que les parents attendent la fin .de leur émission préférée pour amener leurs enfants.
- C’est affreux, s’exclame maman en se tournant vers Doug. C’est vrai ?
Doug hoche la tête tristement. »
Extrait de la nouvelle Philomena in « Moi tout craché » de Jay McInerney aux éditions de l’Olivier. Octobre 2009
4ième de couverture « Qu’est-ce qui a bougé, en Amérique, entre 1982 et 2009 ? Avec sensibilité, avec humour, et non sans cruauté, Jay McInerney fait le portrait d’une génération qui avait voulu changer le monde et qui se retrouve, tente ans plus tard, prise au piège de ses propres contradictions. »
Une écriture frémissante, incisive, corrosive même, le trait est vif comme une pointe sèche, il touche au plus profond sans concession. La langue est crue, elle met à vif le secret des vies et rend de façon stupéfiante le climat de l’époque.