Dans le cadre des 18es Controverses européennes de Marciac. Octobre 2012 proposait au Groupe Local de Réflexion, composé d’acteurs locaux de la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers et des territoires voisins, de plancher sur les droits que les agriculteurs revendiquent et sur ceux qui ne leur sont pas forcément octroyés, en fonction de résistances au sein de la société ou de leur propre communauté.
« Pourquoi cette demande ? Car au sein de notre société, l’activité de l’agriculteur est l’une des rares activités s’opérant sous le regard de tous. Et ce n’est pas sans conséquence. Ainsi, il y a quelques décennies, dans certaines régions, des paysans se levaient la nuit pour mettre de l’engrais afin de ne pas le faire de jour, au risque d’être critiqués de « jeter l’argent dans la terre.
A l’heure où 70% des agriculteurs français vivent désormais à moins d’une heure de route d’un centre-ville, est-ce que les regards portés ont changé ? Et comment vivent-ils leur inscription dans la société ? »
Gérard Coutant, agriculteur dans le Gers
L’agriculteur a-t-il le droit d’avoir les mêmes aspirations que le reste de la société ? De prendre des vacances, de gagner de l’argent, d’avoir une rémunération horaire, une sécurité de l’emploi, une vie sociale…
Gérard Coutant : L’agriculteur a-t-il le droit d’avoir les mêmes aspirations que le reste de la société ? La réponse est oui. Pourquoi est-il légitime de se poser cette question ? Déjà, on peut se demander pourquoi la société est prescriptrice dans ce domaine.
L’agriculteur faisant partie de la société, il est normal qu’il aspire à la même qualité de vie que l’ensemble des citoyens. Parfois c’est l’inverse : les autres citoyens aimeraient bien avoir la qualité de vie des agriculteurs. Cependant le rapport affectif au métier d’agriculteur implique un rythme de vie particulier. Ce métier étant une passion, l’envie de temps libre n’est pas forcément la même que pour d’autres. Rien n’empêche cependant de se poser la question de la possibilité d’avoir les mêmes aspirations que le reste de la société en terme de temps libre, en terme de rémunération.
Justement, concernant le droit à une rémunération horaire, il y a là deux questions en une : celle de la rémunération horaire et de la rémunération. La rémunération horaire de la main-d’œuvre salariée est un indicateur, un outil de gestion de l’exploitation. Bien souvent, la main-d’œuvre disponible est un facteur limitant dans le fonctionnement de l’exploitation et dans le revenu qui en est dégagé. La rémunération de l’exploitant, elle, est soumise à un grand nombre de contraintes : les aléas climatiques, le coût de l’assurance, les financements des investissements, les choix en termes d’investissement… Au final, la rémunération dépend du temps disponible pour faire fonctionner tel ou tel atelier. Les agriculteurs doivent prendre en compte ce facteur « main-d’œuvre» dans le choix, par exemple, d’un atelier de diversification. Ainsi, la vente directe est une production à forte valeur ajoutée, mais très chronophage.
Et puis, la question de la rémunération est liée à l’implication des agriculteurs dans les filières économiques aval. Par essence, la valeur ajoutée du secteur agricole est assez faible. Les intervenants multiples exercent une pression forte sur la rémunération de l’agriculteur. Enfin, la question d’une rémunération suffisante pour l’agriculteur est posée. En 2011, par exemple, 188 agriculteurs du département des Hautes-Pyrénées ont demandé le RSA. Mais combien n’ont pas demandé cette aide ? Les chiffres doivent être à peu près les mêmes sur le Gers. Cela pose bien la question d’une rémunération suffisante par rapport à un travail et par rapport à un service rendu à la société.
Concernant la question du droit aux vacances, nous sommes confrontés à l’image d’Epinal de l’agriculteur au cul des vaches ou sur son tracteur, 365 jours par an. Il existe aussi un atavisme agricole, surtout chez les générations précédentes, sur le mode : « Il ne faut pas rester sans rien faire ; l’agriculteur qui se repose est un fainéant ». En somme, il existe une pression sociale, autour du fait qu’il faut prendre des vacances, et une pression sociétale émanant d’un des membres de la famille de l’agriculteur, de son conjoint ou de ses enfants, qui sont en demande. Cependant, un certain nombre d’agriculteurs n’éprouvent pas forcément le besoin ou l’envie de prendre des vacances. D’autre part ce n’est pas toujours possible. Les éleveurs, notamment, doivent s’organiser, se faire remplacer, ce qui est un coût supplémentaire. Les céréaliers, eux, peuvent plus facilement libérer du temps. Tous les producteurs ne peuvent pas prendre de congés de la même manière et au même prix.
Finissons par la question du droit à la vie sociale et au temps libre. Vous l’aurez compris, libérer du temps est souvent lié au revenu. Des outils existent, mais encore faut-il dégager suffisamment de valeur ajoutée afin de rémunérer le travail de l’agriculteur et financer soit un équipement, soit de la main-d’œuvre supplémentaire, soit un remplaçant. A la question de la vie sociale, la réponse tient donc en trois points : c’est un besoin, il faut le vouloir et il faut pouvoir. C’est un besoin, une nécessité plus ou moins forte d’échanger. Il faut le vouloir, et le lien social est souvent porté par le reste de la famille. Sauf que l’image de « l’agriculteur » peut mettre de la distance. Enfin, il faut pouvoir, or les contacts et les possibilités d’échanger restent de plus en plus limités au sein des territoires ruraux qui se vident…
Jean-Luc Bongiovanni, éleveur dans les Hautes-Pyrénées
Un céréalier qui est souvent conspué comme pollueur a-t-il le droit de dire qu’il peut être aussi efficace en termes environnementaux ?
Jean-Luc Bongiovanni : Cette question a provoqué de vifs débats au sein du Groupe de réflexion. Depuis quelques années, l’homogénéisation des pratiques environnementales a été imposée par la PAC. Cela permet de dire, à juste titre, que les céréaliers ont une certaine efficacité en terme environnemental. Alors, ont-ils le droit de le dire ? Oui, les céréaliers ont le droit de dire qu’ils sont efficaces pour l’environnement dans la mesure où ils appliquent dans leur activité professionnelle la réglementation environnementale définie par le législateur. Mais le droit de dire est différent de la conviction que l’on peut avoir soi-même d’agir efficacement dans le domaine environnemental.
En effet, au-delà de la réglementation, des pratiques agricoles qui se veulent de plus en plus respectueuses de l’environnement sont souvent réalisées par choix professionnel. Ce choix, en général, a pour cause des convictions diverses : santé humaine, préservation des sols et, aussi, intérêt économique.
L’environnement, quesaco ? Aux côtés des ressources naturelles diverses (eau, sol, air, biodiversité), dont on cherche à profiter durablement tout en limitant leur dégradation, n’y aurait-il pas d’autres éléments à ajouter ? Des éléments naturels déjà façonnés par l’homme (forêts, terres cultivables, estives, cours d’eau, paysages…), des éléments encore plus proches des sociétés liés à l’aménagement du territoire et chers aux citoyens.
Quelle que soit la définition de l’environnement retenue, le fait de privilégier un élément, à un moment donné, peut aboutir à des contradictions qu’il sera ensuite nécessaire de résoudre.
Un exemple : en agriculture biologique, la pratique de multiple binage pour désherber apporte un plus environnemental du fait de la non-utilisation de produits phytosanitaires. Mais cette pratique accroît aussi l’érosion des sols en coteaux. Autre exemple : retarder de trois semaines le broyage des chaumes pour permettre aux cailles de se multiplier est-il vraiment une avancée pour l’environnement et la biodiversité, quand on sait que cela va se traduire par un accroissement de prédateurs, notamment des renards qui auront vite fait de les « liquider»?
Prix, coût, revenu et environnement. Dans une société de marché comme la nôtre, les éléments économiques n’ont-ils pas, souvent, un poids plus fort sur le revenu et l’avenir des producteurs agricoles que les contraintes ou les objectifs environnementaux ? Et la volatilité des prix agricoles n’arrange en rien la chose. Et n’est-ce pas pour cette raison qu’il paraît impératif que la société puisse se fixer des règles environnementales. En outre, ces réglementations n’imposent-elles pas trop souvent des mesures ou investissements qui conduisent à des handicaps économiques supplémentaires pour les exploitations agricoles déjà en difficulté.
Pourquoi, depuis longtemps, les éleveurs ont-ils tendance à privilégier, pour l’apport protéique de leurs ruminants, les tourteaux de soja achetés plutôt que la luzerne cultivée sur leur exploitation ? Pourquoi, en cette année 2012, assiste-t-on à une accélération des arrêts d’ateliers laitiers dans le sud-ouest pyrénéen ? Ce recul ne risque-t-il pas de s’accentuer massivement dans les années à venir ? Et ne met-il pas en péril l’avenir de la filière laitière dans le Sud-Ouest ?
Le bon niveau du curseur. Dans la plupart des cas, l’optimum économique est rattrapé par l’optimum écologique, qui dépasse nos espérances en termes de quantités et de qualité des produits. Comprenez : parfois, quand nous travaillons de façon écologique, les résultats peuvent être meilleurs. Finalement, ce qui pouvait nous paraître comme une contrainte devient un avantage économique et écologique.
Mieux comprendre mieux le fonctionnement des sols, des haies, etc., nous permet d’utiliser moins d’engrais (on utilise mieux la photosynthèse) et de machinisme (grâce à des techniques culturales simplifiées), donc de gagner en autonomie. Controverse environnement et modernité. Le fait que de véritables controverses puissent exister - au travers de confrontations de points de vue, de retours d’expériences et de résultats concrets obtenus par les producteurs agricoles eux-mêmes - n’est-il pas une condition nécessaire pour faire émerger une modernité au sens large.
Une modernité qui ne se limiterait pas au seul aspect quantitatif et technologique, mais qui intégrerait aussi des aspects environnementaux et sociaux. Par exemple, les bandes enherbées au bord des ruisseaux font aujourd’hui le bonheur des promeneurs et des pêcheurs.