Certains vieux routiers de la dalle en pente répondront : « T’es qu’un petit con ou une petite conne ! » mais avouez que ce type de réponse ne va pas pisser loin et que l’extension du domaine du vin pâti largement d’absence de discours audible par une population qui voit dans le vin une boisson de vieux, même de vieux cons, avec ses codes, son langage incompréhensible et sa pédagogie de spécialistes. Attention, je ne verse pas dans le jeunisme, le genre « les pauvres petits choux il faut leur proposer une cellule de soutien psychologique » bien au contraire on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif mais, ayant conduit un âne dans les Cévennes sur le sentier Stevenson, je sais d’expérience que l’âne est un animal intelligent et que si on instaure avec lui un lien de compréhension le bénéfice sera commun. Comme diraient les pigeons, qui sont aussi des ramiers sur le Net, gagnant-gagnant.
Le pire c’est que ces petits loups et petites louves, pour la plupart, n’ont jamais trempé leurs lèvres dans notre nectar. Comme le vin est une boisson qui, de tout temps, ne s’abordait qu’au seuil de sa vie de jeune homme, la transmission familiale jouait un rôle déterminant. Elle perdure mais elle s’estompe de plus en plus du fait des nouveaux modes de vie et de la transformation radicale de la cellule familiale. On peut se complaire dans le regret du bon vieux temps où l’on teintait l’eau de vin, tempêter contre les hygiénistes, vouloir pendre Evin avec sa loi, s’en prendre aux alcools forts, mais pour autant ce n’est pas avec ça que l’on fera changer l’a priori négatif de certains jeunes face au vin. Alors, que faire ? Les endoctriner ? Les séduire ? Les éduquer ? Par tempérament et par expérience je n’ai pas une âme de prosélyte et je ne supporte pas les communautaristes du vin qui prêchent pour leur seule paroisse en jetant des excommunications sur ceux qui ne pensent pas comme eux. Quant à la séduction pure et simple elle se heurte au mur des moyens que déploient les boissons concurrentes : non alcoolisées ou très alcoolisées (les gens du vin n’ont pas de ronds pour faire de la publicité de masse). Il ne nous reste plus que l’éducation et là c’est coton.
La question du comment éduquer, de la méthode, de la pédagogie peuvent trouver assez facilement des réponses si tous nos grands experts du vin, qui écrivent des livres, veulent bien se mettre à la portée de quelqu’un qui n’a aucune idée sur ce que c’est que le vin ou qui n’a que des a priori sur lui. Pour avoir au début de ma carrière enseigné à tous les échelons : de la 6iem jusqu’à des classes de BTS puis en 3iem cycle à la Fac, pour intéresser les jeunes à un sujet dont ils se tamponnent la coquillette il n’y a qu’une seule méthode ne pas leur asséner des vérités première mais les amener par des chemins détournés à s’intéresser à un monde qui n’est pas le leur. C’est un peu la méthode que j’expérimente sur cet espace de liberté en racontant des histoires, en abordant des sujets qui ne sont pas exclusivement centrés sur le vin. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Le plus difficile c’est où ? En quel lieu, en qu’elle circonstance, faire que ces rétifs puissent être mis en situation d’écoute ? Toutes nos manifestations, nos évènements s’adressent, et c’est bien normal, à ceux qui aiment le vin. De plus nous n’aimons rien tant que d’être entre nous pour nous congratuler, nous plaindre aussi de l’ostracisme dans lequel soi-disant on nous tient.
Pour faire en ce moment l’expérience avec une classe du lycée professionnel Jean Lurçat près des Gobelins qui aborde sous une forme ouverte un sujet difficile : les jeunes et l’alcool par le biais d’un film dont ils sont les acteurs sous la houlette d’une réalisatrice, je puis vous dire que c’est par la vigne qu’on peut les prendre par le bon bout si je puis m’exprimer ainsi. Pour leur faire découvrir la vigne je les ai amenés à Issy-les-Moulineaux, un après-midi, découvrir la vigne du chemin des vignes chère à Yves Legrand. Ce fut passionnant. Les questions qu’ils nous ont posées nous ont parfois désarçonnés mais leur attention, au départ un peu molle, fut captée. Leur première découverte fut que derrière les ceps de vigne il y avait des hommes et du travail, ça peut paraître évident pour nous mais pour eux qui ont la tête pleine d’images de pub ce fut une révélation. Le résultat c’est qu’ils ont décidé d’aller à la rencontre d’une vigneronne en Bourgogne pour la vendange. L’un d’eux voulait faire la vendange mais avec tous les règlements qui… ce ne fut pas possible. Tout ceci est filmé nous verrons le résultat lorsque le film sera terminé.
Bon, je suis comme le petit Larousse « je sème à tout vent » mais j’avions point d’argent et je me dis que nos beaux comités nourris de CVO pourraient, sans beaucoup piocher dans leurs finances, soutenir des initiatives de ce type. Comme je suis mauvaise langue j’affirme qu’un voyage de jeunes pousses dans les vignes serait un bien meilleur investissement d’avenir qu’un voyage de presse. Bref, sortir des sentiers battus, ouvrir les portes et fenêtres, écouter et répondre à des questions qui nous paraissent étranges, aller les chercher sans leur prendre la tête avec nos trucs compliqués, dire les choses simplement. Moi je suis partant pour faire le Gentil Accompagnateur dans l’autocar… surtout si ce sont des jeunes filles qui n’aiment pas le vin que l'on trimballe dans les vignes.