Imaginez-vous, au petit matin, comme un bon bourgeois se rendant soit à la messe si vous êtes pieux, soit rentrant de chez les filles si vous êtes licencieux. La rue, disons plutôt la ruelle, s’appelle : Bougerue du Pipi, de Basse-Fesse, des Aysances, Sale, Foireuse, du Bourbier, de Merderon, de Merdereau, de Merderet… c’est un cloaque pleins de détritus, on y « lasche ses eaues », on y défèque ou, plus poétiquement, on fait ses « aysemens et souillures », ses « vidanges », on crache avec désinvolture. Au Moyen Age on satisfait ses besoins naturels à même le pavé, dans la rigole appelée, selon les endroits, « esseau, essiau, gazillans, au pied des façades des habitations, dans le caniveau central, à la rencontre des deux inclinaisons.
Pire encore l’usage est de vider par les fenêtres les « pots à pisser », les eaux sales et les détritus, à uriner, ce qui oblige les bourgeois à tenir le « haut du pavé ». Même Saint Louis fut la victime de cette pratique. Se rendant à pied à la messe au petit matin le pieux roi fut aspergé par le jet d’un liquide nauséabond que venait de jeter de son galetas un pauvre étudiant. Comme le note Jean-Pierre Leguay « Le laisser-aller est relayé par le mode de vie traditionnel. Beaucoup de citadins sont d’anciens ruraux, émigrés de fraîche date ou des bourgeois enrichis, investisseurs de capitaux dans la terre, des hommes et des femmes qui conservent ou adoptent des habitudes et des activités rurales, introduisent intra-muros, pour leur provision annelle, du bois, des futailles à vin et à cidre, du foin en attente d’être stockés dans les caves et les greniers et du fumier pour fertiliser les jardins et les courtils omniprésents aux arrières des habitations. Beaucoup de vignobles se trouvent dans les faubourgs de Montpellier ou de Béziers. Les « fiens, terres, tassons et autres ordures » s’ajoutent aux résidus de boutiques et des ateliers.
Dans les villes des centaines de bêtes sont tuées sur place, les « escorcheries », « tueries » ou « tuyeries » ont laissé le souvenir de nom de rues :la rue du massacre à Rouen, « le bourc aux tripes » à Reims, « les chambres à chair » à Elboeuf… « Ce sont donc des litres de sang liquide ou caillé, ces « bouiaulx », « ces tripes et ventres » putréfiés, ces paeaux sanguinolentes, ces flots d’urine et de matières fécales déversées sur le pavé, stagnant et attirant les insectes, les vers et les rats, avant de rejoindre le caniveau central. »
« Les artisans médiévaux restent redoutables pour le voisinage. Faute d’espace, ils travaillent sur la chaussée qu’ils couvrent de noir de chaudière de graisse, de liquides de fermentation. Les moulins es premières papeteries d’Essonnes ou de Troyes produisent une pâte, « la chiffe », à base de chiffons macérés, plusieurs semaines dans l’eau et une affreuse colle associant l’alun et les rognures de peau. »
« Tout se conjugue dans la labyrinthe de rues ou de ruelles de nos cités pour rendre la vie impossible. Les pauvres des quartiers populeux, qui n’ont pas la chance d’habiter à l’abri d’une cour profonde, des frondaisons d’un jardin, sont réveillés à longueur de nuit par des les cris des charretiers, des noctambules, des soldats du guet. De jour, les passants supportent d’être éclaboussés de boue putride, respirent les pires miasmes, sont bousculés par les ouvriers chargés de matériaux, les portefaix, les marchands ambulants, les infirmes « chenus et cassés », les mendiants ou « caymans », les enfants qui jouent dans la rue, les chiens et les porcs en liberté. Ils sont agressés fréquemment par les voleurs à la tire injuriés et, pour les moins chanceux, écrasés par les conducteurs maladroits. Les accidents de la circulation sont fréquents. »
À cela s’ajoutait la crasse individuelle et collective, la puanteur des logements insalubres, les « punaisies » qui s’exhalaient des conduits de cheminées des maisons brûlant du « carbon de terre », de la tourbe ou du lignite… L’opinion publique considère la crasse comme une protection naturelle, un moyen de combattre les inconvénients de la porosité de la peau. Mieux vaut laisser les corps couverts de croûtes et de vermines que de succomber à la peste proclamaient les farouches adversaires du bain. Avec de tel arguments on pouvait refuser le linge propre et justifier ses mauvaises habitudes. Ainsi le Ménagier de paris recommandait « que les puce soient sans jour et sans air et tenues à l’étroit, ainsi périront et mourront sur l’heure. »
Cracher « par devers soy », se gratter en public est toléré, sauf à table « il est malséant et peu honnête de soi gratter la teste à table et prendre au col ou au dos, pouls et puces et autre vermine et la tuer devant les gens » disaient les mères à leurs enfants dans les bonnes maisons lyonnaises du XVIe siècle.
Paris n’a eu son premier véritable collecteur Tracé du grand égout de Paris. qu’en 1356 et on s’était contenté, pendant des générations, de la Seine, des rivières, des fossés et des canalisations sommaires, à ciel ouvert, appelées « ponceaux » et guidées par la déclivité. Le ruisseau de Ménilmontant est connu, dans l’histoire de la capitale, sous le nom de « Grand Egout » et, avec ses dérivations, ses « affluents » comme l’écoulement du Pont-Perrin, il a contribué à incommoder plusieurs quartiers… et l’hôtel Saint-Pol propriété et résidence favorite du roi !