La provocation est une arme à double tranchant à ne pas mettre entre toutes les mains, surtout dans celles de la faune pépiante des éditorialistes qui squattent les grands médias. En effet, maniée avec hauteur, distance et à propos, elle permet à ceux qui l’utilisent de se démarquer de ce qu’on qualifie d’une expression générique « du politiquement correct » ; en revanche si, comme c’est le cas sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur Twitter, c’est pour faire de la surenchère face à la concurrence, afin d’émerger du flux continu de la Toile, elle relève comme le sérieux de l’esprit de série (c’est du Lacan). Besogneux, navrant, nombriliste, parfois même malodorant lorsque l’instantanéité fait déraper.
Pour autant, entre les petits robinets d’eau tiède et les provocateurs, les vrais, les grands, j’ai choisi mon camp. Ils sont rares c’est pour cette raison qu’ils me sont chers. Sinon, comme le disait Jean-Michel Ribes « se pendre au sérieux » Je plaide donc ce matin pour une esthétique de la provocation en m’appuyant sur des maîtres anciens. Que des défunts, je n’ai pas trouvé de petits nouveaux à la hauteur en magasin.
Tout d’abord le précurseur jamais égalé
« Clochard, ivrogne, grande gueule, exhibitionniste, échangiste et pourfendeur des contraintes sociales Diogène… » qui dans la vie s’efforçait de faire le contraire de tout le monde, se masturbait en public, qui pissait sur les convives lors d’un banquet, ne craignait personne, pas même l’empereur Alexandre « Que désires-tu Diogène ?
- Que tu t’ôtes de mon soleil ! »
David Wahl écrit qu’on devine aisément que derrière son ironie féroce, se cache une bienveillance infinie pour ses semblables. Un gai savoir avant la lettre, une esthétique de la provocation au service de la défense du genre humain, une ode à la liberté de dire, à l’indépendance de l’être. Vivre est-il un mal ? lui demandait quelqu’un, « non, mais mal vivre… ! »
Ensuite un provocateur bonhomme le regretté Jean Carmet
« Magnifiques toutes ces statues antiques. Tous ces costauds avaient des petites bites. Ça rassure ! »
Puis l’un des plus grinçants avec une Lettre ouverte à Mgr Lustiger en 1983
« Cher Seigneur, qu’il me soit permis de de m’indigner ici véhémentement contre les insupportables attaques portées régulièrement à la télévision à mon athéisme militant par vos camarades de goupillon Il est intolérable, deux siècles après la séparation de l’Église et de l’État, dans un pays qui pousse la laïcité officielle au rang d’institution nationale, que des anti-athées hystériques accaparent l’antenne de la télévision le dimanche matin avec des émissions (je cite) : « La Messe du dimanche » dans laquelle les minorités athées non priantes, non bigotantes et mal bêtifiantes sont méprisées et bafouées – et je pèse mes mots – au profit de grotesques manifestations incantatoires d’une secte en robe dont le monothéisme avoué est une véritable insulte à Darwin, aux religions gréco-romaines et à ma sœur qui fait bouddhiste dans un bordel de Kuala-Lumpur. Voilà. Et je précise que j’envoie par ce même courrier une copie de cette lettre à Dieu et que ça va chier ! »
Pierre Desproges.
Pour terminer par des TRAITS j’ai choisi Bosc plutôt que Reiser, bien que ce dernier soit sans contestation un maître-étalon de la provocation, car l’expression « mon cul ! » est l’une de celle que j’aime balancer à ceux qui me prennent la tête.
« Je suis la manivelle des pauvres : je leur remonte le moral » disait Coluche, il manque drôlement à l’appel…