Les Français adorent les minorités au cinéma, en témoigne le succès de deux films populaires : Bienvenue chez les Ch’ti et les Intouchables. Dans la réalité c’est une autre paire de manches et une palanquée de vautours nationaux planent au-dessus des ressentiments. N’ai vu ni l’un ni l’autre mais je ne crache pas sur le succès : toute œuvre qui rencontre son public doit être respectée. Mon propos initial n’est là que pour introduire un fromage méconnu dans l’univers des « qui puent » : le Maroilles qui fut tiré de son oubli par le facteur ch’ti qui le consommait au petit déjeuner trempé dans son café.
Et pourtant, dès 1961, autant dire un temps que les moins de 20 ans ne connaissent que par les sixties, le père Maurice Lelong o.p., plongeant dans les miettes d’une vie antérieure, celle de son enfance picarde, avait commis une célébration du fromage en une Homélie sur le fromage de Maroilles.
Avant de vous donner quelques bouchées il faut que vous sachiez que « Quand on n’est pas du côté de chez Marcel Proust mais du versant de la plèbe, l’odeur d’un certain fromage pourrait bien faire l’office de ces délicatesses fades et distinguées.
C’est d’abord un bruit assourdissant qui monte du fond des âges avec ce parfum mâle et puissant.
Ma petite enfance picarde a été bercée au rythme fracassant des jacquards –en vérité, nous disions toujours : métiers-jacquards. »
Plongée dans les odeurs de l’enfance « le marchand de maroilles qui s’en venait ainsi de Levergies, au pas flegmatique de son cheval roux traînant une carriole à bâche verte, s’appelait Octave. Car le seul fromage qu’il vendait était, bien entendu, le maroilles, tout de même que Marie Pameu, la marchande de poisson au visage grêlé par la variole, était vouée, et nous avec elle, au hareng.
Octave avait plusieurs sortes de maroilles, celui des riches et des jours de fête, qu’on découpait en fines tranches, pour le faire durer, et le modèle populaire, à croûte épaisse, pour les petites bourses, qui n’avait pas volé son nom de « Puant » « Plus il pue, meilleur il est », disait rudement le vulgaire. Sur la croûte d’acajou, des brins de seigle étaient incrustés, en témoignage des longs et savants recueillements dans les hâloirs et les caves d’affinage ; comme une certaine poussière, qui est l’œuvre inimitable des ans, manifeste l’expérience du temps et la noblesse de souche des bouteilles vénérables. »
Donc le 28 mai 1961, des années-lumière avant Dany Boon, notre prêcheur retrouvait la Thiérache picarde de son enfance et « l’antique et vénérable village de Maroilles, Maro Ialo ou « Grande Clairière » des Gaulois, au pays d’Avesnes... » qui « fêtait ce jour-là le millénaire du fromage qui avait fait sa célébrité » et « embaumé les souvenirs d’enfance » du père Lelong. Le Maroilles sent « les pieds du bon Dieu » selon un mot de Léon-Paul Fargue.
Deux extraits de l’homélie pour finir cette belle célébration du fromage, la première toujours d’actualité « mangez Français ! »
et l’autre plus tourné sur notre versant vin ce qui me fait penser, qu’en dehors de la bière qui servait à laver ce fromage « à croûte lavée, que peut-on bien boire avec ce fromage qui pue les « pieds de Dieu » ? Serez-vous d’accord avec les « accords parfaits » du père Lelong ? Monsieur Alleosse www.fromage-alleosse.com m’a indiqué, lorsque j’ai acheté un Maroilles chez lui pour Noël (une merveille), qu’il était toujours lavé à la bière et qu’autrefois les mineurs glissaient leur Maroilles dans un bas de leur femme et il le plongeait dans la bière pour le conserver. Fromager-affineur, un vrai Philippe Alleosse.
« De même que certains coteaux privilégiés reçoivent, du Maître de toutes choses, le soleil qu’il faut pour que la vigne donne un cru qui n’a pas son pareil au monde, ainsi la vallée de l’Helpe possède les pâturages qui fournissent, de mai à juin et de septembre à octobre, les hâloirs orientés au nord-est et les caves d’affinage exposées au sud-est, qui leurs envoient de la mer les vents propices chargés d’humidité. A l’instar des vins de marque, le fromage de grande classe connaît des années fastes et les années les plus ordinaires. Le maroilles tient au sol et au climat non moins intimement que les grands vins avec lesquels il trouve des accords parfaits : Beaune, Châteauneuf-du Pape, Côte Rôtie, Morey Saint-Denis, et je ne me retiens pas de citer, au-delà même des Côtes-du-rhône, dans un des paysages les plus fins et les plus spirituels de Provence, un certain Bandol rouge dont il forme un contrepoint idéal avec lequel je rêverais d’un jumelage qui serait le signe le plus émouvant de l’unité, de l’harmonie et de la santé de la France. »