L’ANPAA a-t-elle définitivement gagné la partie dans cette affaire ?
La réponse est non, l’affaire n’est pas pliée.
En effet, la Cour de Cassation juge le droit « la cour d’appel a violé le texte susvisé » l’article L. 3323-4 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005.
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 février 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.
Mais il faut souligner, pour les petits loups et louves consternés, que la cour d’appel de Versailles n’est pas liée par l’arrêt n° 215 du 23 février 2012 (10-17.887) de la Première chambre civile de la Cour de Cassation.
Si celle-ci, comme la Cour d’Appel de Paris, confirme le jugement du 19 décembre 2006 du TGI de Paris 4ième chambre 1ier section, et que son arrêt de renvoi est de nouveau attaqué par les mêmes moyens, le pourvoi sera examiné par l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation (le Premier Président plus trois représentants de chaque chambre: le président, le doyen et un conseiller). Après cet arrêt solennel, en cas de nouvelle cassation, la nouvelle cour de renvoi devra s'incliner.
Pour mémoire je vous rappelle les considérants de la Cour d’Appel de Paris :
« Considérant que, au regard de l’exigence d’une analyse stricte des restrictions apportées, le juge n’a pas a procéder à des distinctions que la loi ne fait pas, tandis que compte tenu des dispositions légales et réglementaires comme des usages professionnels rappelés, la représentation figurative de professionnels appartenant à la filière de l’élaboration, de la distribution et de la commercialisation de vins de Bordeaux comme le caractère avenant, souriant, jeune, en tenue de ville, de personnes ou groupe de personnes, présentant différentes marques de vins en levant le bras en tenant un verre, avec une impression manifeste de plaisir ne peuvent être utilement reprochés dès lors que les autres exigences de la législation et réglementation applicables sont respectés, une telle représentation n’étant pas, par elle-même de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d’alcool étant observé que par essence la publicité s’efforce de présenter le produit concerné sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l’en détourner.
Considérant que de la même manière est vaine l’argumentation, au regard des dispositions de l’article L 115-1 du code de la consommation, comme de la définition donné par l’arrangement de Lisbonne, et des termes de la recommandation du Bureau de Vérification de la Publicité on ne saurait réduire, l’expression <facteurs humains >que visent ces différents textes, aux usages locaux entourant un produit, c’est à dire des usages de production spécifiques d’une région, ce qui revient à limiter les facteurs humains aux seuls aspects de la production et à exclure l’activité de négociation, de distribution et de commercialisation, à méconnaître la transmission d’un savoir-faire personnel entre générations successives qui caractérise les professionnels de la filière du vin, y compris dans le domaine de la distribution »
La chronique est ICI link
Arrêt n° 215 du 23 février 2012 (10-17.887) - Cour de cassation - Première chambre civile
Cassation
Demandeur(s) : L’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA)
Défendeur(s) : Le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) ; et autre
Sur le premier moyen :
Vu l’article L. 3323-4 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 15 avril 2005, puis courant décembre 2005, le Conseil
interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a mis en oeuvre une campagne publicitaire d’affichage ; que soutenant que celle-ci contrevenait aux dispositions de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique relatives à la publicité en faveur des boissons alcooliques, l’Association nationale de prévention de l’alcoolisme et addictologie (ANPAA) a assigné le CIBV en interdiction des affiches litigieuses et condamnation au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que les affiches litigieuses représentent divers professionnels appartenant à la filière de l’élaboration, de la distribution et de la commercialisation de vins de Bordeaux et met en scène des personnes ou des groupes de personnes souriant, jeunes, en tenue de ville, levant le bras en tenant un verre avec une impression manifeste de plaisir et qu’une telle représentation ne peut être utilement reprochée au CIBV dès lors qu’elle n’est pas par elle-même de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d’alcool, étant observé que par essence la publicité s’efforce de présenter le produit concerné sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l’en détourner ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ces constatations que lesdites affiches comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés, la cour d’appel a violé le texte susvisé;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 février 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles
Président : M. Charruault
Rapporteur : Mme Richard, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Falletti
Avocat(s) : SCP Odent et Poulet
Sur le fond cet arrêt est étrange car la Chambre Civile de Cassation est lapidaire : elle casse l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris car elle estime les « références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique »
« Promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés. »
Absorber, quel vilain mot, sous-entendu comme une éponge, le liquide prohibé. Le mot vin n’est pas cité : il ferait tache. Alors la Cour lâche les produits vantés. Si les professionnels du vin présentés sur les affiches contestées – chacun avait fourni une attestation établissant qu’il était bien viticulteur, négociant, maître de chai… – avaient tirés la gueule tout serait allé pour le mieux dans le meilleur des mondes. Très franchement lorsqu’on regarde les affiches les protagonistes sont assez figés dans une pause devant le photographe. Mais, point plus important : par ce type d’argument les hauts magistrats prennent le parti de la prohibition car leur argumentaire fort lapidaire sous-entend qu’une publicité ne doit pas inciter les consommateurs à acheter le produit. Je ne vois pas en quoi lever son verre de vin en souriant incite à une consommation abusive. Je rappelle que nous sommes en l’espèce dans le champ de la Santé Publique et non dans celui d’une morale puritaine. N’oublions jamais que les magistrats restent des hommes imprégnés eux-aussi de leurs préjugés. À nous de gagner la bataille de l’opinion publique pour inverser cette tendance lourde.