Lors d’un récent déjeuner celui des courtiers-jurés piqueurs de vin, sur le badge, dont on me dota à l’entrée, les organisateurs avaient inscrit journaliste, ce que je ne suis pas et ne serai jamais. J’en ai fait la remarque gentiment. Pour autant, l’attribution de la carte tricolore de journaliste professionnel ne fait rien d’autre que constater un état. En effet, la loi de 1935, dans son article L 7111-3, indique « est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques, ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».
La carte de presse qui illustre cette chronique est celle de Jacques Alexandre : il fut détenteur de la première carte de presse de l’après-guerre.
L'article L 7111-4, dès l'origine, a établi une incompatibilité en ce qui concerne les agents de publicité, ce qui ne signifie pas que les journalistes ne puissent occasionnellement et en tout cas minoritairement percevoir des commissions d'ordre publicitaire. En revanche, depuis octobre 1964, par arrêté du Ministre de l'Information, les fonctions de chargé de relations publiques et d'attaché de presse sont totalement incompatibles avec le statut de journaliste professionnel, même si celles-ci sont très accessoires au regard des activités journalistiques.
Enfin, un troisième cas d'incompatibilité a été ajouté en Mai 1986, par un arrêt du Conseil d'Etat qui a estimé que le statut de fonctionnaire ou d'agent public contractuel est exclusif du bénéfice de tout autre statut professionnel.
La Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP) est composée à parité de représentants des éditeurs de journaux et de syndicalistes élus par les journalistes, cette commission est chargée par la loi de délivrer une carte professionnelle aux journalistes qui peuvent y prétendre. Cela signifie concrètement que la Commission est amenée à rechercher, pour chaque demande examinée : s'il s'agit bien d'une occupation principale et régulière (3 mois consécutifs pour une première demande), si celle-ci procure au postulant l'essentiel de ses ressources soit plus de 50%, si les activités du demandeur s'exercent bien dans le cadre de la profession, ce qui entraîne en réalité deux questions : quelle activité ? Dans quel type d'entreprise ? Naturellement, les fonctions exercées doivent être de nature journalistique. Enfin, l’employeur doit être une entreprise de presse (écrite ou audiovisuelle) ou une agence de presse agréée.
Ma pomme étiqueté journaliste en compagnie de mon ami et fidèle lecteur Robert Tinlot
Vous allez me dire pourquoi est-ce que j’aborde ce sujet ? Tout bêtement parce que le sujet agite, le mot est un peu fort, et la blogosphère et Face de Bouc. Face au mélange des genres le statut de journaliste professionnel donnerait aux lecteurs des garanties déontologiques quant à l’indépendance du titulaire de la carte de presse vis-à-vis des « puissances de l’argent ».
Sujet épineux s’il en est mais qui peut se traiter simplement : comme pour les fonctions publiques ou électives, afin d’éviter la corruption, une vraie et solide rémunération permet d’éviter la tentation d’arrondir ses fins de mois ou de profiter de sa situation (ce qui ne signifie pas que la corruption ne s’exerce pas mais elle tombe alors sous le coup de la loi). Les garants de l’indépendance des journalistes sont leurs employeurs qui doivent les mettre à l’abri de toute forme de pression ce qui signifie qu’ils les payent correctement et qu’ils leur assurent par notes de frais le défraiement de tout ce qui touche à l’exercice de leur métier. Tous les accommodements avec cette règle simple font encourir au journaliste professionnel les mêmes risques que n’importe quel porte-plume. Enfin, il est bien évident que le poids des annonceurs dans les budgets des médias peut conditionner plus ou moins la ligne éditoriale du titre et, par ce fait même, peser sur l’indépendance du journaliste professionnel.
Attention je ne jette pas la pierre à quiconque et je ne me drape pas dans une quelconque posture morale mais simplement je rappelle que ce n’est pas une carte, même tricolore, qui garantit l’indépendance et la déontologie des journalistes professionnels. Alors me direz-vous comment faire pour assurer le lecteur que les écrits de X ou de Y l’ont été en toute indépendance ? Comment faire qu’il n’y ait pas ou peu de conflits d’intérêt ou de mélange des genres ? Ce n’est pas à moi de répondre à ce genre de questions mais aux patrons de la presse du vin. Simplement étant à la tête d’un microscopique média, à l’influence fort réduite, gratuit de surcroît, dépourvu de toute publicité, donc de toute ressource financière, j’assure mon indépendance en prenant à ma charge tous les frais que j’engage pour le compte de mon blog : déplacements, hébergement et achats de vins, de livres… etc. Comme je l’ai déjà écrit mon cas n’a aucune valeur d’exemple et ne constitue pas un modèle économique mais je cite mon mode de fonctionnement pour souligner que pour assurer l’indépendance intellectuelle d’un journaliste le meilleur rempart reste toujours de lui donner son indépendance économique.
Par-delà cette lancinante mise en cause de l’indépendance de certains, de la dénonciation du mélange des genres dans le monde du vin, je pense que le sujet de fond qui doit-être abordé en priorité est l’accès au marché de la foultitude de vignerons indépendants. Comment se faire connaître, être connu et reconnu, se constituer un fonds de clientèle ? Comment l’entretenir ? Bien sûr un tel sujet ne fera de buzz sur Face de Bouc ou ne provoquera pas un déluge de commentaires sur un blog, mais il est essentiel surtout pour les nouveaux entrants. La religion bien ancré chez beaucoup d’amateurs, vieux ou jeunes, du petisme, comme le dit Jacques Dupont, leur fait oublier ou plutôt méconnaître que c’est un vrai sujet pour les vignerons. Alors il ne faut pas s’étonner de la profusion, de la multiplication, de dégustations, de mini ou grands salons, de vitrines plus ou moins bling-bling, qui se présentent comme autant d’opportunités de montrer le bout de son nez au marché. Enfin, j’avoue avoir beaucoup de mal avec la notion de commerce militant de la part de vignerons, de cavistes ou de nombreux intervenants voulant grappiller sur la distribution. En effet, lorsqu’ils vendent, proposent ou défendent des vins à des niveaux de prix forts conséquents (je n’écris pas qu’ils ne sont pas justifiés) ils s’adressent à une clientèle aisée qui, parfois et même souvent, fait le grand écart entre le discours et la pratique. Bref, le misérabilisme n’est pas une bonne pratique, un argument de vente, chacun fait ce qu’il veut de sa vie : vigneron ou acheteur et je ne vois pas au nom de quoi je m’érigerais en censeur de femmes et d’hommes qui exercent un métier où, par le choix qu’ils ont fait, exige qu’ils vendent par eux-mêmes le produit de leur travail.
Moi qui ne suis pas un journaliste professionnel et qui ne le serai jamais mais, par moment, j’exerce ce métier, je ne lave pas plus blanc que blanc, j’essaie simplement de manier la pertinence et l’impertinence, d’intéresser mes lecteurs, d’ouvrir des débats, de faire en sorte de sortir les gens du vin de leur petit marigot. Prétentieux peut-être mais toujours très méfiant face aux purs qui se transforment vite en ayatollahs. Alors je comprends parfaitement qu’il soit de bon ton sur Face de Bouc, afin de créer le buzz, de lancer un beau sujet polémique de derrière les fagots ou les tonneaux pour faire couleur vin. Alors se mobilise une poignée d’habitués, souvent les mêmes, des amateurs et des payés pour ça et, eu égard au petit format des messages, le débat ne dépasse rarement le rase-mottes, les plus ou moins bon mots, le yaka fokon. Mais, puisque Face de Bouc est un réseau social, je n’ai rien à redire sur cette forme moderne de conversation. Refaire le monde ça ne mange pas de pain même si les échanges se font comme on dit sur Face de Bouc, en public, sur le mur de l’intéressé. Le soufflé monte plus ou moins, dure le temps que durent les choses sur Face de Bouc, soit une poignée d’heures ou au mieux quelques jours et puis le soufflé s’effondre pour disparaître dans la gorge profonde de Face de Bouc.
Reste que le sujet est d’importance et qu’il mériterait de dépasser le huis clos de Face de Bouc ou de nos micro-audiences de Blog pour être traité au fond entre les intéressés. Moi petit chroniqueur je suis preneur d’une vraie rencontre. J’irai en tant chroniqueur non pourvu de la carte tricolore de journaliste professionnel, j’en ai déjà une qui me sert à entrer mon auto dans le parking, à passer le portillon de l’immeuble où est mon bureau et à aller à la cantine…