Souvent dans mes chroniques j’évoque ma Vendée natale, non par nostalgie de ce pays mais tout simplement parce qu’au fond je suis toujours resté un petit gars de la Mothe, élevé dans l’eau bénite par de saintes femmes : mémé Marie, la tante Valentine et ma chère maman, enfant de chœur indiscipliné, sauvageon dans les prés avec les vaches normandes du pépé Louis ; qui a bien aimé jouer au basket à la Vaillante Mothaise avec le si adroit Jacques Bernard ; qui est parti à 17 ans tout juste à la Fac de Droit de Nantes sans regret car il savait que ça n’était pas dans son petit pays qu'il ferait sa vie. Dire qu’on a ses racines dans son terroir natal ne reflète aucune réalité car, sauf à y vivre toute sa vie, très souvent on le quitte sans pour autant être un déraciné.
La Mothe-Achard, son gros bourg commerçant, sa foire aux bestiaux, son école d’Agriculture où je ferai l’essentiel de mes études secondaires, le Bourg-Pailler où je suis né, l’Auzance, sa route Nationale la Roche-Les Sables, le car Citroën de Nantes, les pères Martin et Plissonneau les marchands de grains, Mougard le marchand de bestiaux, le château du Plessis et Antoine de la Bassetière, et quelques métairies où la vaneuse de papa faisait les batteries, c’est ma jeunesse. Une jeunesse heureuse, insouciante, où nous jouions aux marbres en rentrant de l’école avant d’aller goûter de belles tartines embeurrées sur lesquelles mémé Marie râpait des miettes de chocolat Menier. Le matin prendre son bol de cacao à la table où les hommes : mon père, le cousin André Neau et mon frère Alain déjeunaient. Sœur Marthe, Mademoiselle Brye, le frère Pothain et le grand blond dont le frère s’était rendu célèbre en publiant ses récits d’évasion des camps de prisonnier : « Le Dodore fait la malle » (toujours en vente sur Price Minister) qui m’ont appris à lire, à écrire et à compter. La famille Remaud avec Madeleine et Petit Louis le boulanger, mes 3 frères supplémentaires Dominique, Jean-François et le malheureux Jacques (Jacquot, moi c’était Jacky, je détestais) avec bien sûr Geneviève que nous appelions Bounette. Mon copain Gervais, son scooter Vespa sur lequel nous allions au bal à 3 dessus avec Dominique Remaud. Ne parlons pas des filles, ceux qui se sont colletés à mon petit roman dominical à son tout début savent que je suis « un homme qui aime les femmes »...
Tout ça pour vous dire que ce pays qui colle à mes godasses m’a toujours permis, surtout lorsque je me suis retrouvé sous les ors des Palais Nationaux, de savoir d’où je venais et surtout à qui je devais d’être ce que je suis. Ainsi, lorsque nous avons réformé cette foutue PAC au temps de Jacques Delors, en 1990, mon frère Alain à marié Vincent mon filleul en septembre (chez les Berthomeau on se marie toujours après la moisson sans doute en mémoire de notre père Arsène qui aimait tant ses batteuses) j’ai passé toute ma sainte soirée, après le repas déjà long, au lieu de faire danser une jeune femme qui manifestement attendait plus encore de moi, un verre à la main, à discuter avec tous les gars des métairies, les copains d’Alain, de l’arrêt du soutien par les prix. C’était chaud mais, tout socialo que j’étais, j’étais quand même un gars de la Mothe, ils m’écoutaient et, ceux qui me connaissent, savent que je ne lâche pas le morceau facilement. J’aime convaincre. En fin de soirée je ne sais plus si j’étais saoul de paroles ou de vin, ou des deux, mais qu’importe je leur devais bien des explications surtout que celles de Luc Guyau, mon voisin de classe à l’école d’agriculture, ne les satisfaisaient guère. Lui a fait une bien plus belle carrière que moi : président du CNJA puis de la FNSEA, puis de l’APCA pour finir ambassadeur auprès de la FAO, mais je ne l’envie pas car je n’ai jamais eu de goût pour les grandes manœuvres des appareils horizontaux comme disait le frétillant Michel Rocard.
Oui je suis nostalgique de mes jeunes années rêveuses et sauvageonnes, de la C4 de Louis Remaud pleine des miettes de pain de la tournée, des baignades à la Normandelière ou au Marais-Girard, du Gois de Noirmoutier, du beurre blanc de maman, du riz au chocolat de la tante Valentine, du blazer bleu marine de ma couturière de mère, de l’eau de Vichy du pépé Gravouil, des livres de mon père dont j’étais si fier le jour où il fut l’un des mieux élu au premier tour des élections municipales alors que presque toute la liste d’Antoine de la Bassetière était balayée (hé oui, Henri-Pierre, ton père Alfred était de la conspiration avec Marthe Régnaud la sage-femme qui m’a fait naître). Papa m’a appris l’amour du bien public, la grandeur de l’engagement citoyen et le goût de la discussion. Orgueilleux je suis, oui simplement au nom de mon père à qui j’ai toujours dédié ma vie surtout lorsque l’étais au 78 rue de Varenne face aux grands appareils syndicaux si prompts à laisser accroire que nous n’étions que des urbains insoucieux du devenir de notre agriculture.
Pour autant j’aime Paris, j’aime y flâner, y faire du vélo, y vivre ; j’aime tous les coins et les recoins de la France, pour les arpenter et y rencontrer ceux qui y vivent, qui les font vivre ; j’aime traîner mes guêtres dans le vaste monde pour me frotter à tous ceux qui ne sont pas nous mais avec qui nous partageons cette foutue planète ; j’aime la vie que je vis car je la vis au présent, ardemment. Le passé c’est ma mémoire, et par bonheur j’en ai beaucoup. Pour le futur, lorsqu’on atteint mon âge, il se rétrécit mais comme chaque matin je me dis que ce jour est un nouveau jour et qu’une nouvelle chronique se met en ligne j’en conclue « que du bonheur à venir ! » J’exècre l’expression « c’était mieux avant ». Je souris face à l’angélisme de certains défenseurs de la Nature : oui qu’ils étaient beaux et secrets mes prés bas enserrés par de profondes haies mais les petits gars de chez moi avaient-ils d’autres choix que de partir ou de les retourner ces prés et de les shooter au NPK ? Comme PH Gagey je préfère le mot terre à celui de terroir, car lorsqu’elle venait tout juste d’être labourée c’est la vie que j’y découvrais avec tous les « achets » rouge brun qui se tortillaient au sommet des sillons. Alors, et la Terre qui meurt, ou celle qui ne ment pas, ou encore celle d’une soi-disant agriculture paysanne, me hérisse car je lui trouve des senteurs qu’elle n’a jamais eu, celles d’une idéologie « passéiste ».
Voilà, je me suis laissé aller à vous parler de moi mais comme je suis en vacances j’espère que vous me le pardonnerez.