La GD s’affiche comme « amortisseurs de crise », les négociations tarifaires 2013 ont été féroces car les grandes enseignes se sont lancées dans une course effrénée aux bas prix pour protéger leurs parts de marché et pour certaines de les augmenter. En plus les consommateurs semblent y croire : d’après le baromètre Posternak-Ifop publié par Les Echos link, en février 2013 les Français avaient une image très positive du secteur de la grande distribution. « Les distributeurs […] sont apparus dans l’esprit des Français comme des porte-parole de la défense du pouvoir d’achat. »
En voilà de preux chevaliers qui veulent que du bien au portefeuille des français. Est-ce vrai ? Facialement la réponse est oui mais dans cette compression des prix qui garde dans les dépenses alimentaires la plus grande valeur ajoutée ainsi dégagée ?
Le rapport de l’Observatoire des prix et des marges de juin 2011link montrait très clairement que ce sont distributeurs qui prennent le plus de marges et que « sur longue période les marges brutes étaient le plus souvent :
- en hausse au niveau distribution,
- en hausse ou stable au stade transformation
- et systématiquement stable au stade production.
Le rapport Chalmin link publié en novembre 2012, a montré que sur 100€ de dépenses alimentaires, moins de 8€ reviennent à l’agriculture, 11€ vont aux industries agroalimentaires, tandis que 21€ rémunèrent le commerce.
L’Ania (Association nationale des industries alimentaires), brame, s’alarme, en appelle au gouvernement, pour qu’il soutienne les producteurs et les industriels face à des distributeurs « sans foi ni loi ». « La guerre des prix entre enseignes doit cesser immédiatement si l’on veut maintenir une filière agroalimentaire en France ».
Pas simple car si les quelques 10 000 entreprises de l’Ania sont à plus de 90 % des TPE (très petites entreprises) et des PME (petites et moyennes entreprises), sur lesquelles les distributeurs réalisent le plus leurs marges, puisqu’elles n’ont pas le pouvoir de négocier les prix, les grands groupes ne sont pas indemnes de reproches en terme de politique tarifaire. Mais même pour eux la bataille des référencements est rude voir la bataille entre Lactalis et le groupe Leclerc qui a fait perdre beaucoup d’argent au premier.
Et les producteurs dans tout ça ?
Largués pour la plupart même si la fédération nationale des éleveurs de chèvres, relayée par La France Agricole, soutenait l’Ania en appelant « l’ensemble de nos transformateurs, grands et petits, à ne rien lâcher dans leurs négociations avec ces enseignes : ne pas passer de hausse tarifaire équivaut pour vous [transformateurs] à vous mettre une balle dans le pied, et pour nous, à nous planter un couteau dans le dos ». Bien sûr à l’Ouest de façon parfois violente, un peu plus symboliques ailleurs, les producteurs de lait qui ont vu « le coût de l’alimentation du bétail, colza et soja, flamber de 70% en 2012. Charges en hausse, revenus en baisse, les exploitations sont menacées. Pour le lait, la situation est critique avec un prix producteur à 0,30 €/L, soit une baisse de 16% par rapport à décembre 2011 ».
Le MEL (Michel Edouard Leclerc) jamais en reste d’un changement de pied, tente de renverser le rapport de force en annonçant que des concessions sur les prix supposeraient « que les transformateurs nous donnent des garanties sur ce qu’ils reversent aux éleveurs » (La France Agricole link).
Existe-t-il des solutions à l’échelle nationale et européenne ?
La réponse est non, tant que les consommateurs ne changeront pas radicalement leurs habitudes d’achat et lorsque le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll « veut rééquilibrer les relations entre agriculteurs et distribution » (Le Monde), il cherche la queue d’un serpent de mer. Reste une politique de soutien pour l’élevage et les éleveurs laitiers, mais agir sur les négociations tarifaires, qui en 2013 ont montré « les insuffisances des dispositifs actuels » prévus par la loi de modernisation de l’économie, relève d’un volontarisme de bon aloi qui se heurtera à la position dominante des grands groupes de distribution.
Du côté européenne où la Commission adore la concurrence, nous sommes dans la cour des vœux pieux. Le Comité économique et social européen, , a publié un rapport dont les conclusions tranchées appellent à plus d’action politique : « Seul un cadre juridique strict peut résoudre ce problème. […] La Commission doit combattre le poids et l’influence des oligopoles et enquêter sur une possible situation de monopole, de sorte que les règles et principes de la concurrence soient correctement appliqués » (La Libre Belgique link).
Sans conclure bien sûr il est clair et évident que la course aux prix bas est un facteur puissant de dégradation de la qualité des produits et son coût social est ravageur. En effet, au-delà des conditions de travail et des salaires, le taux d’emploi est souvent l’ultime marge de manœuvre des entreprises de toute la chaîne, jusqu’au distributeur. Nous allons finir sur la paille, certains y sont déjà, ils ne vont plus chez Leclerc mais aux restos du cœur…
Une petite revue de presse pour les studieux :
Dans la grande distribution, la guerre des prix revient L’Express link
L'industrie agroalimentaire dénonce les pressions tarifaires de la distribution Le Monde link
Michel-Edouard Leclerc, "Saigneur des agriculteurs" selon les syndicats Le Monde link
Le Foll veut rééquilibrer les relations entre agriculteurs et distribution Le Monde link
Alimentation : une guerre des prix dangereuse Ouest-France link
Source : la revue de presse de Diane Lambert, stagiaire à la Mission Agrobiosciences et étudiante à l’IEP de Toulouse.