L’intérêt de certains urbains, mangeurs et parfois buveurs, pour le monde paysan est évident. C’est un beau cas, comme disait les chirurgiens de la vieille école, il permet des confrontations musclées sur les plateaux de télé entre José Bové et les agriculteurs-pollueurs, des nostalgies du bon vieux temps d’avant avec les poules de mémé qui picoraient dans l’aire et le cochon du pépé qui braillait avant d’être sacrifié, des débats sans réelle réponse sur l’inquiétante question des pénuries alimentaires liées à l’insuffisance des capacités de production, les concurrences énergétiques, le gaspillage… Bref, on glose beaucoup, la FAO pond des rapports, les experts de toute obédience s’écharpent sans vraiment convaincre sur les pistes à emprunter pour progresser. J’avoue avoir du mal avec ces approches où le dossier est soit totalement instruit à charge par des militants ou à l’opposé en défense d’une agriculture peu soucieuse de son environnement par des lobbies puissants. Rien de très probant, chaque camp campe sur ses positions inexpugnables, et pendant ce temps-là une forme d’agriculture disparaît, une autre « géant aux pieds d’argile » prospère et la malnutrition dans le monde ne recule guère.
Ainsi donc :
1- Le 16 octobre, sur ARTE joli succès pour l’émission « Les moissons du futur » diffusée à 20h50 et cela malgré la rude concurrence du match de Coupe du Monde 2014 diffusé sur TF1.
N.B. Vous pouvez (re)voir le documentaire jusqu'au 23 octobre sur ARTE+7.link
2- Les 15es Rendez-vous de l'histoire à Blois consacrés aux paysans se sont tenus du 18 au 21 octobre. link
Je vous livre sans commentaire : le pitch de l’émission« Les moissons du futur » et un extrait de la tribune d’Emmanuel Le Roy Ladurie dans le Monde de samedi « Les paysans survivront ! »
1-« Les moissons du futur »
« Existe-t-il une alternative au modèle agricole actuel, issu de la révolution verte lancée dans les années 1960? La réponse est oui pour la journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin qui affirme dans son dernier film qu'il est possible de nourrir le monde sans pesticides et sans engrais chimiques.
Ce documentaire est le troisième volet d'une enquête entamée avec "Le monde selon Monsanto" (2008), le géant des semences, des OGM et des produits phytosanitaires, et "Notre poison quotidien" (2010), sur l'évaluation des produits chimiques. Ce nouveau documentaire est prolongé par la sortie d'un livre ("Les moissons du futur", La découverte, Arte éditions, 19,50 euros).
S'appuyant sur le travail d'Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur l'alimentation, la journaliste est allée au Mexique, au Malawi, au Kenya ou en Allemagne rencontrer les tenants de l'agroécologie. Fin de la monoculture, suppression des intrants chimiques, réduction de la dépendance à l'égard des énergies fossiles, restauration de la richesse et de la fertilité du sol font partie des principes de cette agriculture durable. Elle doit permettre de mieux lutter contre la pauvreté rurale et de répondre aux changements climatiques, précise Olivier de Schutter dans ce documentaire.
Que ce soit à travers l'agroforesterie (qui utilise l'arbre comme facteur de production, NDLR), ou la technique du "push and pull" pour lutter contre les ravageurs, Marie-Monique Robin entend démontrer que ces techniques n'ont rien d'un retour en arrière mais qu'elles sont issues de la recherche et de la science. Et que les rendements sont équivalents à ceux de l'agriculture classique. Un point sensible vivement contesté par l'industrie agro-alimentaire.
L'enquête se place aussi sur le terrain économique: difficile en effet de parler d'un autre modèle agricole sans évoquer les mécanismes économiques qui conditionnent l'avenir des filières de production et les revenus des agriculteurs. Comment concrétiser ces "promesses de l'agroécologie", pour reprendre l'expression employée par Marie-Monique Robin, dans un pays développé comme la France, absente du documentaire? Il faut une véritable "révolution agricole", autant technique que culturelle, affirme l'agronome Marc Dufumier (Inra) en conclusion du documentaire. »
2- Les paysans survivront !
L'agriculture se développera à l'avenir en gagnant du terrain sur les plaines fertiles, au risque de nuire à l'environnement. Comment peut-elle se maintenir sans rogner la biosphère ?
« (…) Ce qui s'est vraiment produit aux Etats-Unis, c'est l'abandon éventuel des terres les moins rentables, ainsi que le gigantisme accru des exploitations terriennes d'outre-Atlantique. Pour celles-ci, l'unité de base est dorénavant, dans bien des cas, le millier d'hectares, et non pas la dizaine ou la centaine d'hectares, comme c'est le cas, en revanche, en France, voire dans d'autres pays d'Europe.
Notre agriculture française survivra elle aussi, semble-t-il. Elle se maintiendra, au titre de chaque exploitation survivante, sur une superficie mise en valeur de plus en plus vaste par regroupements terriens. Les vignerons feront exception. Mais les grands fermiers " macro-entrepreneurs rustiques " rassemblent d'un seul tenant et rassembleront plus encore les domaines, certes contigus, qui continueront, eux, à dépendre de propriétaires différents. Ce devenir affectera surtout les terroirs de plaines ou de contrées relativement planes et recouvertes, si possible, de limons fertiles. Il est vrai que l'usage souvent massif des engrais et des pesticides permet déjà d'augmenter les rendements de façon considérable au détriment de l'environnement. Ce faisant, les agriculteurs, et ils le savent fort bien, prennent des risques génétiques peut-être considérables pour leur descendance.
L'agriculture bio est-elle une solution ? En principe, oui, mais le producteur travaille toujours ou presque toujours à la marge de la profitabilité : il n'envisage pas volontiers, on le comprend, pour mieux préserver l'environnement, d'éroder les maigres profits qu'il attend de son activité.
« (…) l'agriculture de plaine entre en compétition avec d'autres investissements, porteurs de profits plus considérables.
La construction de maisonnettes dans la plaine de Caen, sur un rayon de plusieurs kilomètres ou davantage aux alentours de la ville, dévore préférablement des sols limoneux et fertiles ; ils sont dorénavant perdus pour la production agricole, celle-ci indispensable néanmoins pour l'export et pour l'alimentation des milliards d'individus supplémentaires ; ceux-ci viendront s'ajouter aux chiffres de population mondiale déjà existants. Les mêmes réflexions s'imposent à propos de l'établissement de larges autoroutes et d'aéroports immenses, eux-mêmes grands amateurs de terrains plats.
L'agriculture de montagne est abandonnée, et pour cause, dans les vallées alpines et ailleurs. Les vignerons, oléiculteurs, jardiniers et même céréaliculteurs du Languedoc avaient imaginé, à flanc de coteaux des Cévennes ou des pré-Cévennes, une production agricole installée sur des terrasses artificiellement étagées sur des pentes de collines, voire de montagnes.
Ces terrasses avaient coïncidé avec la mise en valeur agricole croissante des terroirs méridionaux lors des XVIIIe, voire XIXe siècles. Il n'est évidemment pas question de recultiver ces prodigieux escaliers d'agriculture ou de viticulture, tant le travail fait uniquement à la main ou à la rigueur avec des mules y était pénible et, c'est le cas de le dire, assez peu rentable.
La formidable augmentation des rendements du blé, froment et autres céréales d'une quinzaine de quintaux à l'hectare (ou moins encore au XVIIe siècle) jusqu'à 100 quintaux à l'hectare, plafond presque indépassable de nos jours, est un bienfait pour nos exportations frumentaires vers les pays déficitaires en production des grains au sud de la Méditerranée et ailleurs. Mais il y a un prix à payer : dans les campagnes de l'ouest de la France, les terres schisteuses à très faible épaisseur de sol arable sont devenues porteuses de moissons assez considérables... et les coccinelles ont disparu, victimes des insecticides. Les bleuets et les coquelicots qui cernaient autrefois les vastes parcelles labourées, puis emblavées, se sont évanouis, si l'on peut dire, dans la nature.
Il ne sert évidemment à rien de gémir, puisque, à cette liste quelque peu impressionniste des divers méfaits subis par l'environnement rural, on pourrait ajouter bien d'autres phénomènes du même genre. Ne parlons pas des flatulences des vaches et autres bovidés : elles contribuent, à force de méthane, au réchauffement du climat, en compétition avec le CO2. L'évocation du réchauffement mondial n'est pas inutile.
La situation, quant à ce problème, n'est pas très différente de celle que nous venons d'évoquer pour l'agriculture de plus en plus industrialisée. D'une part, le plus grand nombre des Européens, sinon des Américains, fait preuve d'une prise de conscience désormais perspicace quant aux périls " calorifiques " issus de l'accroissement d'injections atmosphériques des gaz à effet de serre. Mais d'autre part, très peu parmi les citoyens du Vieux Continent, notamment paysans, acceptent d'envisager, de façon concrète, une réduction de l'usage de l'automobile et de la motorisation en général.
Le problème est presque insoluble : les désirs de confort de nos populations, en soi légitimes, sont en contradiction flagrante avec les exigences, elles aussi fondées, du respect de l'environnement sous ses diverses formes. La pensée hégélienne elle-même, amoureuse des propositions contradictoires et de leurs solutions dialectiques, s'y casserait les dents, qu'elle avait pourtant fort longues. »
Emmanuel Le Roy Ladurie de l'Académie des sciences morales et politiques Professeur honoraire au Collège de France.