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16 avril 2011 6 16 /04 /avril /2011 00:09

J'invite Bernard à ne pas lire ce texte.

Comme je ne suis qu’un mécréant, que mes doigts se couvrent d’ampoules à force de taper sur mon clavier, que ma vue baisse face à la neige de mon écran, que seul mon cœur garde de belles et vives pulsions, ce matin, comme trop souvent diront certains, je me laisse aller à décoconner. En un mot comme en 100 j’ai senti sourdre cette sève ardente à la lecture du supplément du N°100 d’une revue vinifiée par des amateurs : LeRouge&leBlanc. « Rien n’a changé Et pourtant tout a changé » constatent-ils, une façon élégante de dire que l’esprit est toujours au cœur de leur projet éditorial mais qu’avec presque trente de plus, la sérénité aidant, la focale est plus large, la porte est un peu plus ouverte « à nous donc de placer notre vision critique sur la bonne focale, autrement dit de ne pas nous laisser enfermer par exemple dans le pseudo-militantisme bio ou biodynamique, mais de faire partager à nos lecteurs l’idée que le vin que nous défendons est un projet global... » Longue vie au trentenaire, comme nous vivons de plus en plus vieux, LeRouge&leBlanc sera sans aucun doute un beau centenaire.

L1000862.JPGLes MOTS donc, ceux du VIN, sous la plume des rédacteurs de la revue ou celle des autres, voilà un beau projet : pour un ignare total comme moi c’est faire œuvre utile. En effet, la gourmandise, l’austérité, la finesse, la minéralité, la sapidité, l’émotion, l’énergie... et bien d’autres mots, tel la tension, ne parlent guère à ceux qui ne sont pas du cénacle. J’en suis et parfois l’aridité de certains propos me fait décrocher car je ne souhaite pas encombrer mes vieux neurones de mots qui n’évoquent rien pour moi. C’est de la stricte hygiène mentale et les pontifes du vin, que ne sont pas les amateurs du Rouge&Blanc, enfermés dans leur sabir, n’effleureront jamais, la merveilleuse alchimie de l’émotion esthétique. Le vin, quel qu’il fut, n’est que du vin, lui accoler des mots boursouflés, ne le hissera jamais au réel statut d’œuvre d’art. Moi je préfère la main de l’artisan, celle qui jour après jour, avec la ténacité et l’intelligence des gens de peu, fait.

 

Mais alors me direz-vous que vient faire Sartre dans cette galère ? Les Mots mon cher, son récit autobiographique qu’il publia dans Les Temps modernes en octobre et novembre 1963 et en volume chez Gallimard en 1964.  Conçu comme un « adieu à la littérature »  le livre rencontra un succès immédiat et contribua à l'attribution du Prix Nobel en octobre 1964, que Sartre refusa. Jean-Paul Sartre traversait un temps de sa vie ponctué d’évènements tragiques : l’accident de Camus, la disparition de Merleau-Ponty qui l’incitèrent à revisiter son enfance et à s’interroger : « que peut la littérature ? » Alors que les souvenirs d’enfance riment souvent avec complaisance, Sartre lui, au contraire, s’y livre avec un esprit critique acéré et beaucoup d’ironie. Nul attendrissement autour de cette époque de la vie : « J'étais un enfant, ce monstre [que les adultes] fabriquent avec leurs regrets. »

 

Reste notre DALIDA : « Des mots, encore des mots, toujours des mots, les même mots, rien que des mots, des mots faciles, des mots magiques, des mots fragiles, des mots tactiques qui sonnent faux... » Paroles, paroles... (voir en fin de chronique)

 

La transition avec mon chemin de traverse c’est Jean-Marc Gatteron qui me la donne en écrivant « le rédacteur devient en quelque sorte guetteur de mots tandis que le lecteur se cantonne – dans un premier temps – au rôle de goûteur de mots. » La suite est aussi de lui.

 

De l’art de trouver les mots

 

« Exprimer ses impressions gustatives, les imprimer, relève parfois du défi. En témoignent les périphrases et les contorsions verbales qui fleurissent ça et là. Les formules ésotériques foisonnent aussi, le recours à la brachylogie n’est pas un cas isolé comme le soulignait Voltaire : « Certains se font obscurs pour paraître plus profonds... ». De même certains commentaires font dans la démesure – l’hybris de la Grèce antique –, mais ils sont rapidement vilipendés car, selon la prédiction d’Hérodote, « Toujours le ciel rabaisse ce qui passe la mesure ».

Mais, peut-être, pour certains vins, faudrait-il avoir le courage ou la folie de laisser un « blanc » en guise de commentaire. On lirait la description du vin dans les blancs (...) ; d’ailleurs ne la lit-on pas entre les lignes ? Car lorsque, devant un vin, l’émotion est palpable, à quoi bon les mots ? Le silence suffit puisque « tout silence n’est fait que de paroles qu’on n’a pas dites ». Marguerite Yourcenar.

 

Reste François Morel, je lui laisserai les derniers mots, même s’il fut un temps où lui ne me les laissait guère. Pour moi, son texte reflète la fort belle évolution de la revue LeRouge&leBlanc, une forme de maturité apaisée et sereine, et, croyez-moi j’en suis bien aise. À noter sur le versant du dernier mot je suis un chieur patenté car je veux toujours convaincre, alors paroles, paroles...

 

Des vins libres et vivants

 

« Qu’est-ce parler d’Amour sans point faire l’amour,

Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumière ?

Ronsard, Sonnets pour Hélène XVIII

 

Bien sûr, et avant tout, lorsque nous parlons vin, nous parlons de plaisir, avec ce que cela suppose de buvabilité et de digestibilité. Dans le même mouvement, nous ne pouvons pas ignorer ce qui peut restreindre ou annuler ce plaisir : il paraît impossible de séparer le plaisir du vin de la réflexion critique sur sa production. Parce que plaisir rime, pour les papilles et pour l’esprit, avec une certaine idée de liberté er de naturel, à l’opposé de l’idée de contrainte et d’artifice.

Souvent réunis sous l’étiquette « nature », les vins proches d’une telle idée de plaisir sont tout aussi souvent accusés de ne se définir que par un concept flou, et même de n’avoir aucune définition légale, ce qui est vrai. Sur quoi reposent-ils ? Pas de produits chimiques dans les vignes ? Bien sûr. Des vendanges manuelles ? Sans aucun doute. Pas de levures exogènes ? Evidemment. Pas de chaptalisation ni d’acidification ? Bien entendu. Pas d’intrants œnologiques, notamment pas de soufre en vinification ? Certes, en tout cas le moins possible. Alors ? Le « naturel », en l’occurrence, on le voit bien, n’a de signification qu’en regard des pratiques habituelles qui corrigent, compensent ou pallient les équilibres défectueux de la vigne et du raisin. Face aux techniques et adjuvants destinés à contraindre le vin à suivre une voie imposée, nous préfèrerons ici parler de vin « libre », c’est-à-dire sans autres impératifs que ceux du sol, de la topographie, du cépage et du climat, ou « vivant », c’est-à-dire sans traitements assassins. Il ne s’agit donc pas, pour les vignerons de vins dits « naturels », de développer une théorie générale de la Nature, mais plutôt de revendiquer plus simplement une certaine idée du rapport de l’homme – de l’agriculteur en l’occurrence – à la nature. Et, concomitamment, de respecter l’intégrité du corps et de l’esprit du buveur !

Bien entendu, notre approche suppose des vins que l’on peut boire et que nous buvons réellement, et pas simplement des objets de dégustation – aussi beaux soient-ils, tels Château Ausone, la Romanée-Conti ou l’amarone della Valpolicella de Quintarelli – réservés à des circonstances exceptionnelles, et la plupart du temps inaccessibles en raison de leur prix. »

 

Je dois vous avouer que ce texte m’interroge car si le buveur parfait, éthique, moine civil, croisait, au hasard de ses pas un flacon anonyme, donc sans signe extérieur d’identité, qu’il l’ouvrirait, l’apprécierait, prendrait avec lui beaucoup de plaisir, pour découvrir par la suite que ce vin tirait ses origines de pratiques, disons peu respectueuses de notre terre, est-ce que le plaisir pris en serait minoré ? Refoulé ! Caché ! Le plaisir n’est pas toujours pur, il peut plonger ses racines en des territoires secrets, innommés, alors autant je partage la démarche vers des femmes et des hommes soucieux de l’avenir de leur terre, de la Terre, autant je reste dubitatif sur le couple plaisir-éthique. Mettre ses actes en phase avec ses choix me va mais quand à tracer une ligne de démarcation rigide c’est faire fi de notre nature profonde, de nos faiblesses. Moi j’avoue que je prends du plaisir sans toujours me poser des questions existentielles mais comme je ne suis pas un amateur crédible mais rien qu’un buveur fantasque mes mots ne pèsent pas lourds...

 

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commentaires

E
<br /> <br /> Ouaip...C'est ce que je me dis depuis mon abcès au côlon du mois dernier. (Encore jeune mais déjà attaqué;-)<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Laisse tomber ton ventre, Egmont. Tu es jeune, profites-en. Et si tu as des "troubles gastriques" essaie la tisane de thym (frais), parles en à Luc Charlier ou va consulter. À ton âge, 30 cuvées<br /> de Champagne dans la journée cela ne me faisait pas peur. Sur ce je ne vais pas jouer les "pépés de la résistance", mais avec mon pote Christian on dépassait allègrement la centaine de bouteilles<br /> par jour en goûtant vachement bien. Quand on sentait le soufre on notait simplement : "Vin trop soufré, non dégusté".<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Deux constats: par goût, je préfère aujourd'hui les vins faits en levures indigènes, je trouvent qu'ils ont une expression plus ample et plus diverse. Par expérience (350 tests de bars à vins<br /> sans pouvoir recracher!), mon ventre ne veut plus aujourd'hui boire que des vins les plus naturels possible, même s'ils ont des défauts au nez. Il m'est même arrivé, après une journée de tests<br /> dans le Sud-Ouest, du Pays Basque à Toulouse, au bout de laquelle mon ventre criait sa douleur due à l'absorption d'une douzaine de verres de vins "conventionnels", de me faire réparer le ventre<br /> par trois vins naturels (un mauzac roux de plageoles, un chinon de Spelty et un bordeaux de Tire-pé). Il était temps d'aller se coucher, mais j'aurais pu continuer. Autre aventure, une nuit<br /> passée au Vindivin à Nantes, au cours de laquelle beaucoup de vin dit naturel fut ingurgité, sans que ni mes capacités d'attention, ni mon état gastrique, ni ma forme, ni ma clarté d'expression,<br /> ni même ma lucidité (j'avais encore l'impression de pouvoir conduire une voiture normalement, mais je n'ai pas tenté l'expérience!) n'en soient altérées. Dernière expérience, une journée de<br /> dégustation de 30 bouteilles chez Vincent Laval en Champagne, au bout de laquelle je me sentais parfaitement bien, prêt à recommencer. L'inverse de l'impression d'écrasement, de fatique, de mal<br /> de tête que m'avait procurée une autre dégustation, bien moins exhaustive, dans une grande coopérative champenoise bien connue quelques mois auparavant.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> @ Michel. Il y a encore pire, parmi les mots à la mode : celui de "digestibilité". Dorénavant, une dégustation devrait aussi apprécier la digestibilité d'un vin. Est-ce que cela à un sens ?<br /> Certains de nos wine critics les plus pontifiants pensent que oui. J'attends donc avec une certaine curiosité les modalités d'organisation et les résultats d'une séance de digestibilité<br /> comparative... <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Les mots toujours les mots... et pourtant, il en faut des mots à boire pour décrire ce que l'on aime, pour le faire goûter aux autres, pour le partager. A chacun de trouver les siens, à chacun<br /> d'employer ceux qu'il juge les plus justes, les plus adaptés aux circonstances... même si le vin est souvent bien au-dessus des mots. Un mot qui m'horripile en ce moment : "buvabilité". Même pas<br /> français !<br /> <br /> <br /> <br />
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