L’alternance dans le petit monde des hauts-fonctionnaires est un spectacle triste et pitoyable. Ceux qui étaient du bon côté du manche, qui ont espéré jusqu’au bout le triomphe du candidat cher à leur cœur et à leur carrière, une fois le saisissement et la peur passés se sont ressaisis. Le Corps (administratif s’entend) fait front en leurs noms puisque l’un des leurs est au manche au plus près du nouveau Ministre. Avec circonspection mais de plus en plus d’allant, grâce aux pions majeurs qui sont toujours dans la machine, les grands maîtres du Corps aident les grands courtisans à refaire surface. Alors, ceux qui ne pouvaient commencer une phrase sans se référer au précédent président de la République, louer sa clairvoyance, se féliciter de la détermination de son action, se félicitent maintenant de l’écoute du grand nouveau Stéphane le Foll. C’est tout juste s’ils ne s’exclament pas « Quel bel homme ! » En rangs serrés ils trustent tout ce qui vient de l’hôtel de Villeroy au 78 rue de Varenne. C’est à peine s’ils ne font pas les poubelles. À nouveau, jetant aux orties leur esprit partisan, abjurant l’ancien régime, ils inscrivent au frontispice de leur bureau leur sens aigu et indéfectible du service public. Droit dans leurs bottes, qu’ils n’utilisent jamais car le terrain, même s’il fait partie de leur vocabulaire, n’est même pas pour eux un lointain souvenir, ils se font condescendants face à ceux qu’ils ont joyeusement placardisés, ostracisés pour le compte de leur brillante carrière qui s’apparente à des promotions canapés. Bien sûr à ce jour, là où ils sont maintenant enterrés, dans ce grand machin de la rue de Vaugirard, elle est derrière eux leur carrière, et si loin du pouvoir ils ne pourront même plus compter sur leurs copains pour avoir encore le sentiment d’exister. Comme je les comprends, comme je compatis, mais comme chantait je ne sais plus qui « Juste une illusion… »
Ce que j’écris ici je l’ai dit à haute voix, en peu de mots, ça m’arrive, dans ce qui s’appelle notre Assemblée Générale mensuelle. Je n’en suis pas. Je refuse de m’associer au bal des faux-culs, je ne veux pas voisiner avec un état-major sans colonne vertébrale, donc à l’échine si souple qu’elle n’est que révérante. Pour autant, pour mon propre compte, je n’ai à aucun moment sollicité un traitement privilégié. Tout ce que j’aurais espéré c’est un minimum de décence de la part de certains mais c’était trop espérer d’eux. Alors je ne revendique que le droit de continuer à m’occuper de mes vaches, laissant à ces grands experts, qui ont laissé des souvenirs impérissables là où ils sont passés, le soin de penser. Oui, ils pensent ! Disons, qu’au mieux ils remuent de vieilles lunes et qu’au pire ils tentent de faire passer tout ce qui traîne dans leurs tiroirs. Pour sûr qu’avec eux le changement ce n’est pas pour maintenant. Reste que les courtisans ne sont pas tous du même côté, il y en a qui gravitent dans les sphères du nouveau pouvoir en quémandant des postes dignes de leur haute compétence. Vous ne pouvez pas savoir comme ils ont souffert sous les rets de l’ancien Ministre. C’est risible et tout aussi lamentable mais c’est la vie. Face à ce spectacle je bénis le ciel, même si je ne crois pas au ciel, d’être là où je suis, loin de ces papillons de nuit fascinés par la soi-disant lumière du pouvoir, à la tête de mon petit espace de liberté et encore pour quelques mois au chevet des gens d’en bas. Eux me rassurent sur l’humanité et je les en remercie.