Qui de vous a taillé la vigne ? Je n’ai pas écrit manié un sécateur car ce petit instrument révolutionnaire sert aussi aux arboriculteurs et aux jardiniers du dimanche.
Souvenir de mon premier rang dans la vigne de l’école d’agriculture ND de la forêt à la Mothe-Achard, Alcide Robert, le vigneron maître de chai m’expliquant ce que je devais faire en joignant le geste à la parole. Je n’avais que 10 ans, les mains blanches et tendres, et pour tout vous dire l’esprit ailleurs : le petit matin, le chant des oiseaux, une envie d’un bol de cacao de mémé Marie. Pourtant, dès qu’il me confia le sécateur, bon petit soldat, avec lenteur et circonspection je me lançais dans l’opération. Le bois mort est dur, la coupe doit-être franche, très vite mes doigts et la paume de ma main droite s’échauffaient et s’abrasaient. À la fin de la matinée : belles ampoules bien dodues et un début de cal au creux de la main. Le maniement de la fourche à 3 points était moins douloureux.
J’ai donc taillé la vigne dans mon enfance, sans lendemain bien sûr mais le maniement d’un sécateur dans la vigne m’est apparu comme une opération longue et dure.
Qui donc taille ses vignes ?
Je ne sais, mais ce que je sais c’est que la possession d’un sécateur en ses vertes années, à l’image d’une Rolex, semble être devenue un marqueur indélébile de l’ancrage vigneron d’un homme au faîte de la gloire et des honneurs. Sacré Norbert, toujours en chasse d’éléments de langage capables de marquer les esprits, surtout ceux de mes chers collègues blogueurs tout frétillants d’être aussi près de lui pour recueillir et boire ses paroles. Je me régale de leur contentement d’avoir été convié aux fêtes de la Cour pour y grappiller les miettes.
Pauvre sécateur, « dont on prête l'invention entre la Révolution Française et 1815 au Marquis Bertrand de MOLEVILLE, eut des débuts fortement contestés par les professions et les amateurs pratiquant les opérations de taille. A raison d'ailleurs, car il n'est nul besoin de nier, à la lecture des nombreux témoignages de l'époque, les meurtrissures que pouvait occasionner le cisaillement imparfait des premiers instruments sur les végétaux. »
« Au milieu du 19° siècle l'emploi du sécateur est refusé par la majorité des viticulteurs. Encore en 1887, Louis HENRY, dans ses « Eléments d'Arboriculture Fruitière » émet certaines réserves sur le sécateur qui a « l'inconvénient, si bien fait soit-il, de comprimer, d'écraser toujours un peu l'un des côtés de la coupe. Quand ou se sert du sécateur, il faut observer de tenir le croissant en dessus, afin de diminuer les risques de meurtrissure. Quelques arboriculteurs proscrivent absolument cet outil ; ils me paraissent trop exclusifs. Je ne vous défendrai le sécateur que pour tailler les prolongements, qu'il faut toujours couper à la serpette ».link
Alors imaginez-vous ce terrible engin entre les mains d’un bambin de 7ans ?
Un véritable carnage pour ses pauvres petites menottes tendres ! Exception votre honneur, il est des enfants élus, si doués, tellement au-dessus du lot, en avance sur la piétaille, que tout leur est possible. Des petits Mozart de la vigne et du vin, étoiles montant au firmament illuminant le monde des manants agenouillés et heureux d’être guidés par de tels astres.
Sacré sécateur, obscur objet du désir de puissance qui eut tant de mal à s’imposer face à la serpette : imaginez le petit Norbert agitant au-dessus de sa tête ébouriffée une serpette ? Un très bon scénar pour film d’épouvante qui aurait propulsé l’enfant doué bien plus vite encore dans le monde des stars tel le gamin de la voiture à pédales de Shinning arpentant les longs couloirs de l’hôtel !
J’attends, avec une certaine impatience, de voir exposer sur la Toile un cliché de ce sécateur culte, preuve indubitable de la « vigneronité » de celui l’a reçu en legs de son père.
En attendant ce grand jour je vous propose une sincérité dénuée d’artifices, celle de la néo-vigneronne Catherine Bernard qui nous dit sans fard comment elle est entrée « Dans les vignes » éditions du Rouergue.
« C’est au cours des mois d’hiver que l’on entre en intimité avec la vigne. La taille est le premier geste de la saison et le tout premier geste vigneron au sens où c’est une promesse de ce qui est à venir, un arbitrage entre la récolte qui se prépare et la pérennité de la souche, un geste singulier dans un ensemble d’autres gestes, un tête à tête qui devient un face à soi, et pour moi cet hiver-là, une première approche de la solitude. Jamais, avant ce mois de février, je n’avais éprouvé le sentiment de solitude. Jamais, je crois, je n’avais éprouvé un tel dénuement.
Quand je suis remontée dans la voiture, j’ai mis le chauffage et la musique à fond. C’est à ce moment-là que j’ai su que, toute la journée, des pensées avaient défilées dans ma tête, comme les nuages poussés par le vent du nord. Maintenant, elles pouvaient s’accrocher. Elles étaient claires. Je dis souvent : quand je rentre des vignes, je pense droit, comme si les vignes avaient la vertu ou le secret de me remettre la tête sur les épaules. Une nuit j’ai rêvé que j’étais un cep, enraciné dans la terre, le feuillage abandonné au gré du vent. »
Suis-je partisan lorsque j’avoue être bien plus touché par ce qu’écrit Catherine que par l’évocation devant un parterre de people de second rang, de blogueurs tout contents de côtoyer des peoples même de second rang, d’affidés, de propriétaires qui ne se sont jamais saisis de ce fameux sécateur vénéré de Norbert ?
Sans doute, et la panzer-division toujours prompte à faire mouvement va m’accuser de n’être qu’un vil envieux. Grand bien leur fasse j’ai eu beaucoup mieux qu’eux dans ma petite vie.
Catherine à nouveau :
« Après ma première journée de taille, j’avais les joues en feu. Sur la voie en face, les gens rentraient à la queue leu leu de leur bureau en ville dans leur pavillon à la campagne. Je faisais le chemin inverse. C’est la tombée de la nuit qui a sonné la fin de ma journée de travail, en même temps que mon entrée dans la force des choses.
Le lendemain matin, je me suis réveillé les doigts gourds, les articulations saillantes. Il en a été ainsi, de pire en pire, au fil de la saison. L’année suivante, je ne pouvais déplier les doigts au matin. Je me suis fait opérer d’un tendon à l’auxiliaire de la main droite et je me suis équipée d’un sécateur électrique, comme tout le monde. »
Peut-être pourrions-nous nous cotiser pour offrir à notre cher Norbert un de ces engins post-modernes pour marquer d’une pierre blanche sa résistible ascension ?
De mon côté, je suis très porté sur le sécateur en ce moment, j’élague, je coupe tous les sarments encombrants. Je taille court. Exit les suceurs de sève, formes de coucous de la toile, de l’air, de l’air, comme mon amie Catherine « quand je rentre de mes vignes, je pense droit… »