Dans ma Vendée natale, l’art d’accommoder les restes du cochon s’illustre avec la fressure. C’est très beurk comme frichti, pas très ragoutant à voir faire c’est sûr et, c’est pire encore, lorsque la fressure chaude arrive sur la table dans un tarrasson. Sans vouloir vous asirer, vous dégouter quoi, ça a un petit côté marronnasse qui peut évoquer des matières moins goûteuses. Et pourtant, pour en avoir mangé lorsqu’on cuisinait le goret au Bourg-Pailler, c’est bon. Bien sûr ça tient au corps, ce n’est pas de la cuisine raffinée pour chef étoilé mais du fricot pour paysan.
Dans la fressure y’a de la tête de cochon, des abats de cochon : poumons, foie, rate, cœur, couenne… dans mon souvenir : tout ce qui restait après avoir cuisiné le goret. Mais, comme dans le boudin, y’a du sang de cochon et c’est là que je veux en venir : au sang. Dans ma jeunesse, le sang, celui que je voyais le plus souvent épandre, était celui des volailles et des lapins. Dans sa préface au petit opus Le Sang aux éditions de l’Epure, Francis Ricard, un toulousain, écrit « Mon arrière-grand-mère portait toujours un tablier sombre. Elle étouffait les pintades. Elle les pendait à une poignée de porte ou elles s’étranglaient dans un battement d’ailes. Elle étouffait les pigeons, un dans chacune de ses mains paysannes. Mais elle saignait les poulets et les lapins. Le sang coulait, généreux, puis finissait par goutter dans l’assiette en fer ; toujours la même. J’observais les bulles qui se formaient et l’irisation de ce liquide noirâtre. Je supposais qu’il était chaud mais j’ai toujours répugné à y tremper un doigt. »
Chez moi c’est la mémé Marie qui tuait, on disait bien tuer, les volailles et les lapins. Elle le faisait simplement, normalement, car pour manger le poulet ou le lapin il fallait bien le tuer. J’ai donc vu couler leur sang dans une petite assiette en fer et je n’ai jamais trouvé cela sanguinaire. C’était la vie, le cycle normal de la prédation alimentaire. La mise à mort du cochon était une affaire d’hommes et beaucoup plus spectaculaire car l’animal braillait et se débattait lorsqu’on le conduisait au sacrifice. Mais là aussi aucune barbarie, aucune méchanceté, on se contentait de tuer le goret au petit matin. Pour les poulets comme pour le goret il y avait après le sacrifice les odeurs du grill et je n’ai jamais aimé ce parfum de crématoire. De nos jours tout cela est externalisé, dérobé à nos yeux, caché, occulté, confié à des professionnels, l’animal apparaît sous sa forme hygiénique sans aucune trace de sa mise à mort. Ainsi le vrai sang disparaît de notre quotidien pour laisser la place au sang humain virtuel qui éclabousse les jeux de nos enfants ou les écrans de télé et de cinéma. Tuer des animaux est un signe de notre barbarie alors que la mort donnée par les armes modernes ou même les plus sommaires fait partie d’une forme ultime du fait divers ou de la guerre lointaine. L’émotion est là, fugace, répétitive, brève. Comme nous n’assumons plus la réalité, il faut tout aseptiser afin que nous puission supporter les images.
Trouver de la fressure chez un charcutier parisien relèverait du même challenge que de se procurer un camembert au lait cru à Little Rock en Arkansas et je pense que, même en Vendée, ce doit être bien difficile d’en trouver. Si vous en dégotez elle se présentera dans un état solide. Réchauffée, elle se délitera, prendra l’apparence d’une «soupe» épaisse rouge tirant sur le noir. Je n’ai donc pas consommé de la fressure depuis mes années vendéennes. Ce que j’aimais, bien plus que la mixture, c’était la préparation qui mobilisait presque toute une journée. D’abord le grand chaudron où dans de l’eau on plongeait la tête du cochon, on ajoutait les épices, les carottes coupées en grosses rondelles, les oignons piqués de clous de girofle, le cœur mais pas les autres abats qui eux seront rajoutés sur la fin. Sous le chaudron un bon feu de bois portait le bouillon à ébullition. Puis, on se contentait de la braise pour cuire le tout à feu doux, en remuant de temps en temps, pendant au moins trois heures et quand la viande commence à se détacher des os on ajoutait les abats coupés en gros morceaux. Tout ça mijotait encore une heure puis on récupérait avec une grande écumoire le solide et il fallait, sur une toile cirée, séparer les os et le cartilage de la viande. Du temps, toujours du temps, et quand le tri était terminé on hachait le tout : viande, abats, oignons, légumes.
Venait alors l’adjonction du sang, louche à louche, dans le hachis qui a été replacé dans le chaudron. C’est là qu’intervenait le « bâton à fressure » avec lequel on touillait la préparation pendant qu’elle prenait corps pour qu’elle ne prenne pas au fond. Attention, il ne fallait pas que ça bout sinon le sang aurait coagulé. Je ne sais plus mais je crois qu’on rajoutait des tranches de pain de quatre livres rassis. Tout ça durait une bonne heure. Alors la fressure était prête. On la laissait reposer pour ne la consommer que le lendemain réchauffée.
Je vous propose une vidéo sur la Fête de la fressure à Saint Georges de Montaigu dans le haut-bocage vendéen C’était en 1992. Vous y remarquerez, dans une atmosphère de cuisine du diable pleine de vapeurs infernales, que ce sont les hommes qui sont aux manettes, qu’ils ont une bonne descente. Ce qui me fait une très bonne transition avec le Gros Plant qui, en Vendée, s’étend sur 4 communes : Cugand, Rocheservière, Saint-Étienne-du-Bois et Saint-Philbert-de-Bouaine qui n’est séparé de Saint Georges de Montaigu que par Vieillevigne où je crois, il n’y a pas de vignes.
EARL VIGNOBLE EPIARD
LA PIERRE BLANCHE
85660 ST PHILBERT DE BOUAINE
Téléphone(s) : 0251419342
Adresse email : vignoble-epiard@orange
GROS PLANT SUR LIE :
Millésime 2011 : Médaille d’Argent au Concours Général de Paris
Millésime 2010 : 1ere médaille d’Or au Concours des Vins de Nantes.
Millésime 2009 : Médaille de BRONZE au Concours Des Vignerons Indépendants (macaron sur la bouteille)
Millésime 2008 : Médaille d’argent au Grand Concours Général de Paris.
Millésime 2008 : sélection dans le Guide Hachette.
Enfin, je ne puis m’empêcher en évoquant ce bout de Vendée d’avoir une pensée pour Gaston Chaissac qui y a habité de nombreuses années « Je suis le cordonnier de Boulogne-en-Vendée qui peint avec sa vis inutile de sa forme à forcer qui poussiéreuse be sert à rien. Eh bien elle a servi quand même pour une fois. A Boulogne-en-Vendée au bord de la Boulogne qui est la Volga du lac de Grandlieu on se permet d’avoir un cordonnier in-partibus et les outils poussiéreux de ce cordonnier-là reposent.
le taulier via Face de Bouc 13/03/2012 10:22
HPT 13/03/2012 10:14
gus 13/03/2012 07:51
Michel Smith 13/03/2012 06:02