L’indigène du 7ième, si je puis qualifier ainsi le résident de l’avenue de Breteuil, c’est l’anti-bling-bling, pour lui l’ostentation est péché mortel, l’exhibition des signes extérieurs de richesse une grave faute de goût. Même si leur maire, adepte du lapsus linguae, détonne un peu dans le paysage avec sa quincaillerie, il n’en laisse rien paraître. La Grande Épicerie du Bon Marché est donc à son image, très Rive Gauche – ne pas confondre avec la Gauche caviar – et, chaque année, le rituel qualifié partout ailleurs dans les Surfaces de basse extraction, Foire aux vins, prend ici une toute autre appellation. En cet automne déjà saisi par la froidure, le frontispice affiche sur fond de flacons une étrange interrogation : Quel âge avez-vous ?
Pour éclairer ma lanterne sitôt j’entre illico dans ce temple de consommation où l’on me propose sur un présentoir le fascicule noir de la maison. Beau, de bon goût, à l’image du terreau social de son territoire de chalandise. Le concept d’âge, se traduit ici par une formule simple « Car, il est en vin comme de toute chose : chaque âge a ses plaisirs » Je laisse aux concepteurs la responsabilité d’une affirmation bien lapidaire, l’intensité et la qualité du plaisir ne m’ont jamais semblé être une question d’âge. Je ne suis pas ici pour philosopher mais pour rapporter.
Que vis-je donc ?
- L’âge des promesses : « les amateurs de vin le savent : plus on est patient, plus on est récompensé. Voici donc des grands millésimes, à conserver encore pendant une quinzaine d’années. » Sancerre Monts Damnés 2008 Domaine Dagueneau 76,90€
- Le premier âge : « Voici des vins fougueux, mordants, croquants. Quelle que soit leur région d’origine, ces vins de plaisir, à boire sur la fraîcheur, ont l’humeur à la fois joyeuse et sereine [...] Buvons-les maintenant ! » Nuits Saint Georges « Les Damodes » 2007 36€
- L’âge tendre : « Evolués, sans défauts, ces vins ont l’insolence de l’élégance. Leur présence est rassurante, ils pourront être débouchés sans risques pour un repas entre amis, un déjeuner de famille ou un dîner chic... » Châteauneuf du Pape/Domaine de la Janasse rouge 2007
- Le bel âge : « Un flacon, un nom, un millésime : tout ce qui apparaît sur ces bouteilles fait rêver. Et pour cause : ces vins, osons-le dire, sont parfaits. Avec les formidables potentiels de leurs terroirs, ils se sont épanouis avec le temps et, bravant les années ingrates de l’adolescence, sont arrivés à maturité. » Château Palmer 1998/Margaux 120€
- L’âge de raison : « Voilà de beaux millésimes, des valeurs sûres issues de toutes les régions de France, des crus sympathiques qui ont atteint l’âge de raison. Alors courage, cessez de les regarder, et ouvrez-les ! »Meursault Poruzots 2004 Henri Boillot 46€
- L’âge d’or : « Pendant des décennies, ces alcools et ces vins doux naturels ont été surveillés, travaillés, bichonnés. [...] Les voici prêts à être découverts dans toute leur richesse, leur plénitude et leur générosité. » Cognac de Grande Champagne N°22 : 488€
Voilà c’est dit mais entre-nous soi dit tout cela est un peu tiré par les cheveux, confus un peu comme l’âge du capitaine, la bonne question eut été : Quels âges ont-ils ? Les vins bien sûr et, en ce qui concerne le plaisir, ce sont eux qui nous le donnent et non nous qui le générons. Je cesse de pinailler mais bon mais pourquoi faire compliqué lorsque l’on peut faire simple. Un détail : l’âge de raison c’est 7 ans, ni plus, ni moins, mais bon passons aux choses sérieuses.
Les choses sérieuses pour moi c’est l’irruption dans ce catalogue de beaux flacons de 12 représentants du Roussillon sur 18 vins de la région Languedoc-Roussillon. Beau retour en force.
Je les cite dans l’ordre du catalogue :
Collioure
- Domaine de la Rectorie : « Argile » 2008 blanc 2009 22€ et « Coté Mer » 2008 blanc 14,50€ (premier âge)
Côtes du Roussillon
- Domaine Gardiés « Les Millières » 2008 rouge 11,40€
- Domaine Gauby « Muntada » 2003 rouge 58€ (l’âge de raison)
- Domaine Gauby « Vieilles Vignes » 2005 rouge 21,50€ (l’âge tendre)
- Domaine Laguerre « Le 20 » 2009 blanc 8,50€
- Domaine Olivier Pithon « Laïs » 2009 rouge 16,50€
- Domaine Vaquer « Les Aspres » 2006 blanc 14€
- Domaine Alquier « Les Bastides » 2006 rouge 19€
Maury
- Mas Amiel Vintage 1969 57€ (l’âge d’or)
- Mas Amiel Vintage 1954 180€ (l’âge d’or)
Et pour faire plaisir à l’ami Jean-Baptiste Senat :
Minervois
- Domaine Senat « Bois des Merveilles » rouge 2008 16,90€ (l’âge tendre)
- Domaine Senat « Mais où est donc Ornicar » rouge 2009 9,30€
Et encore une étrange appellation qui va faire plaisir au grand Jacques :
Vin de Pays Languedoc
- Domaine Gauby Vieilles Vignes 2004 21,50€
Au plan pratique, les vins du catalogue sont exposés sur des présentoirs circulaires ou des tables dans tout le magasin. Cette mise en avant est de bon aloi car ainsi tout un chacun peut être tenté de s’intéresser à une belle bouteille. Ainsi donc, mon catalogue en main, je me la jouais façon inspecteur du Michelin : discrétion, anonymat et patati et patata... lorsque dans mon dos un « bonjour monsieur Berthomeau » me mettait à découvert. L’auteur de cette apostrophe, planté derrière un comptoir de dégustation arborait un large sourire et un tablier noir floqué aux couleurs du Roussillon. Présentation faite, l’homme aux vins du Roussillon était Olivier Raynal le créateur des Caves du Roussillon www.lescavesduroussillon.com . Que je fusse encore un peu connu du côté de Perpignan n’a rien d’étonnant dans la mesure où au temps où j’y jouais les médiateurs ma tronche de cake s’étalait souvent dans l’Indépendant de Perpignan. Donc pas de quoi faire enfler les chevilles.
Olivier se révèle être un excellent ambassadeur des vins du Roussillon et bien sûr me voilà embarqué dans la dégustation des vins du jour : 2, ce qui vous en conviendrai est une quantité à ma portée de dégustateur de petite extraction. Les vins étaient ceux d’Éric Laguerre www.domainelaguerre.com , un blanc : « Le 20 » Cotes du Roussillon 2009 (40% de Vermentino, 20% de Roussane, 20% de Marsanne et 20% de Maccabeu et un rouge « Le 20 » Cotes du Roussillon 2008 (60% Syrah, 30% Grenache et 10% de Carignan). La position géographique de ce domaine dans les Fenouillèdes proche de l’Ariège le place dans une situation qui met mal à l’aise les partisans de « l’air de famille » à l’intérieur d’une appellation, ici en l’occurrence les Cotes du Roussillon. Les vins d’Éric Laguerre peuvent surprendre, surtout le rouge où le fruit prédomine, par leur atypicité par rapport aux canons parfois un peu lourds des Cotes du Roussillon. Sous ma plume ce n’est pas une critique mais plutôt un hommage à la diversité. J’ai commencé par déguster le « Le 20 » blanc qui m’a conquis par son extrême fraîcheur, sa gourmandise acidulée qui pour moi font de lui à la fois un vin que l’on a envie de boire sur une terrasse ensoleillée en lisant un bon livre et un vin compagnon d’un bar au beurre blanc ou d’une sole grillée. Pour 8,50€ c’est un plaisir accessible. Pour « Le 20 » rouge je vais proférer une énormité mais, comme diraient certains, c’est mon ressenti : il a tout d’un vin de Loire et il donne envie d’en boire. Il est gouleyant, plein de fruit, de fraîcheur, de vivacité... un de ces vins qui ne se prennent pas la tête à se poser des questions sur leur adaptation au marché car ils sont adaptés au marché de ceux qui cherchent la simplicité.
Pour en finir avec le Roussillon, en plus de sa sélection automnale, dans le « fonds de rayon », c’est l’appellation officielle pas très sexy, à l’année les vins du Roussillon sont assez présents sur les beaux rayons de la Grande Epicerie du Bon Marché : comme par exemple le Château de Jau et les vins d’Hervé Bizeul : Les Petites Sorcières et de battre mon coeur s'est arrêté, Coume del Mas, domaine de Vénus, domaine Roc des Anges et bien sûr les Gauby, Parcé et quelques autres.. Quoi qu'il en soit belle initiative que cette montée à Paris d'Olivier Raynal pour faire déguster à la Grande Epicerie du Bon Marché quelques beaux représentants du renouveau du Roussillon.