Ce qui me fascine dans le micro-débat qui agite en ce moment la petite bassine de l’Internet du vin à propos des vins dits « nature » c’est que chaque camp dégaine au final l’argument fatal censé tuer le match, comme disent les commentateurs sportifs, mettre les adversaires plus bas que terre : le sectarisme. Pour un vieux routier comme moi ça en devient risible car, en ce domaine, le je ne vous fréquente pas, je ne me mélangerai jamais avec vous, le je ne boirai jamais de ce type de vin sont des attitudes largement partagée par les leaders charismatiques des deux camps. Oui, je l’affirme, parmi les minoritaires de toutes les chapelles y’a les pires sectaires, tout comme chez les majoritaires le modèle déposé du type Allègre est très développé. Tout ce beau monde est à chier et me fait chier. Me gonfle. M’horripile. Me prends la tête. Le ce n’est pas moi c’est l’autre qui a commencé nous amène dans la petit cour de récréation ou pire dans la basse-cour pleines de petits coqs vindicatifs.
Pour autant, je ne fuis pas la question de l’innocuité ou de la toxicité des substances utilisées, les produits phytosanitaires, les pesticides, insecticides, désherbants, traitements pour la vigne et les produits œnologiques pour l’élaboration du vin. Il s’agit alors d’aborder de difficiles problèmes de santé publique, celle des viticulteurs eux-mêmes, de leurs voisins, des consommateurs, de protection de l’environnement, de la qualité des eaux, d’impact carbone etc. mais surtout pas de jouer dans la cour des excellences du goût qui notent les vins pour le microcosme du vin. Alors Pierre Guigui contre Bettane ou le patron de la FNSEA contre Bové, ça fait peut-être du buzz, surtout pour les deux derniers, mais ça ne fait guère avancer les choses.
Loin de moi de jouer les pères la rigueur, mais lorsque Pierre Guigui dans un bel élan s’emporte en empruntant le dur sentier de la morale, j’ai un peu de mal à le suivre. Libre à lui, et c’est tout à son honneur de s’engager aussi clairement, mais en cela il participe gentiment à la confusion générale (à lire chez Vindicateur).link
Que dit Guigui ? « 60% des vins sont la honte de la production française, et les 200 cuvées «nature» posent problème ? C’est à mourir de rire. »
Non Pierre reste avec nous car ensuite tu t’aventures sur un terrain encore plus mouvant : celui de la qualité des vins.
« Et la qualité des vins ? Plus personne ne conteste le fait que, parmi les meilleurs vins de France, figure une proportion très importante de bio. Une proportion qui dépasse leur représentativité dans la production globale. »
Là, comme Michel Bettane dans l’autre crèmerie pour son propre argumentaire, Pierre tu te contentes d’avancer un % invérifiable. D’où tu sors ça ? De ton expérience personnelle, d’une étude, par ailleurs infaisable, non, alors ce n’est qu’une pétition de principe sans fondement qui ne fait guère avancer le débat vers la qualité des arguments. Come ton 60% trouve sa source surtout dans les grosses sources, allez je suis sympa je cite des noms pour t’aider : à Bordeaux, dans l’IGP Oc, dans les Côtes de Gascogne, dans l’IGP Ardèche, dans le cabernet d’Anjou, dans la Champagne, dans les vins pour faire du Cognac etc. Mais là ça risque de fâcher.
Revenons à ton sujet, comme tu es plus fan du bio et de la biodynamie que du nature, à chacun son pré-carré, tu te rattrapes aux branches « Mais là n’est plus le débat, il est aujourd’hui focalisé sur les vins dits « nature ». Que sont-ils en fait ? Moins de 0,1%, appréciés par quelques jeunes consommateurs qui s’écartent de la masse, de la vague gigantesque, du tsunami déferlant de vins sans âme, sans identité, sans aucun intérêt, qui sont la honte des vins français. »
Belle envolée Pierre : la masse, la vague gigantesque, le tsunami déferlant de vins sans âme, sans identité, sans aucun intérêt, qui sont la honte des vins français. Bravo ! Tu appuies là où ça fait mal à ton avis « Et là il ne s’agit plus de 100 ou 200 cuvées, mais bien de milliers et de milliers de vins qui représentent plus de 60% de la production. Des vins produits bien souvent de façon intensive et industrielle. » Puisqu’en ce moment les agriculteurs votent, donc les viticulteurs aussi, tu devrais Pierre prendre ton bâton de pèlerin pour porter la bonne parole à la coordination rurale, au couple FNSEA-CNJA et bien sûr à la Confédération Paysanne. Convaincre en leur disant « les gars vous êtes des producteurs de vins de la honte : changez ! »
Pas sûr que tu fasses un grand succès car, à partir de ce constat là on fait quoi, tu fais quoi, cher Pierre Guigui ? Tu te lances : «Quelles sont les vraies questions à se poser ? Où sont les vrais problèmes ? » La pollution provoquée par le mode de production des bio ? La qualité des 200 cuvées « nature » ? Non, ce débat est partisan et ne s’en prend qu’à la minorité. Un débat peu argumenté, fondé sur des aprioris, des impressions, et surtout une bonne dose de sectarisme.» le mot choc est lâché.
Fort bien mais, si je suis en total accord avec toi sur l’insignifiance du débat qui intéresse tant celui qui accueille tes réponses, tu en restes là. Sans doute me rétorqueras-tu que ce n’est pas ton job que d’aborder les questions de fond qui ne t’apporteraient que des plumes et du goudron. J’ai déjà entendu ça en 2001 et pourtant on ne fait bouger les lignes en ne balançant que des jugements moraux ou des diatribes. Ton constat est incontestable : « 95% de la viticulture pollue avec pas moins de 10000 tonnes de matières actives.
« La viticulture représente 2,6% à 3% de la surface agricole et utilise 20% des produits phytosanitaires (source INRA). »
« Si la bio n’utilise pas de produit chimique de synthèse, elle utilise du cuivre. Certes polluant, il est réglementé et limité à 6 kg hectare/an au maximum. »
« Ne parler que de la pollution induite par 4000 producteurs (certifiés et non en conversion) utilisant 6 kilos de cuivre an/ha (au maximum), c’est taire que 95% de la viticulture pollue avec pas moins de 10000 tonnes de matières actives (Union des industries de la protection des plantes), mais aussi, bien souvent, un ou deux passages de cuivre/soufre par an en plus.»
« C’est oublier de dire que l’on trouve des résidus de pesticides dans 96% des eaux superficielles et dans 61% des eaux souterraines (Institut français de l’environnement). »
Que faire et surtout comment faire ?
J’entends ta réponse : c’est aux politiques de faire. Oui mais aborder la question de cette façon en stigmatisant les gros, sales et méchants, est le meilleur moyen de freiner le mouvement. Va donc avec Antonin faire un petit séjour au 78 rue de Varenne et vous aurez une petite idée des difficultés à faire bouger les lignes. Bien sûr, la radicalité est bien portée en notre cher pays, surtout chez Antonin, mais elle n’est que trop souvent une posture facile qui évite de se taper le cambouis. Les minorités agissantes, l’avant-garde de la classe ouvrière aujourd’hui vigneronne, ça fait plaisir mais ça ne donne pas beaucoup de résultats. Pour autant, je ne suis pas en train de justifier l’immobilisme, bien au contraire, mais je plaide pour un cessez-le-feu généralisé entre les parties. Que tout le monde sorte de sa casemate, grande ou petite, cesse de se balancer des horreurs à la gueule, se respecte a minima, ne se drape pas dans sa dignité outragée, afin d’avancer vers une viticulture de plus en plus propre, des vins dénués d’artifices, des vins sains, des vins simples, authentiques, sympathiques… achetables aussi… Une dernière question Pierre Guigui que fait-on de ceux qui produisent les Vins de la Honte française, ces 60% ? On ferme leurs boutiques comme à Aulnay-sous-Bois ou à Amiens-Nord ? J’avoue que je ne sais pas que faire et je me pose aussi la question : mais quels sont les abrutis qui les boivent ces 60% de vins de la honte ? Putain si on les fout au caniveau ces vins honteux ça va faire baisser durement la conso par tête de pipe. Et si je te suis bien Pierre ces honteux on les trouve dans toutes les catégories y compris les dit Grands. J’espère ne pas les retrouver dans le Guide.
Voilà c’est dit Pierre, comme je me rends lundi à l’inauguration du salon des vins de Loire je me ferai ton porte-parole : statistiquement y aura bien un beau % de vins de la honte à Angers. Certes il y aura les off pour rattraper le coup… mais ça ne fait pas le compte tout ça. Bonne dégustation Pierre moi ce que je dis c’est pour de rire et je ne souhaite pas te voir mourir de rire.
Pour retomber sur mes pattes je vous livre une citation de l’Encyclopédie méthodique de 1789 que j’ai découverte dans le livre de Georges Vigarello Le Propre et le Sale au chapitre la nature et l’artifice à propos de la chimie qui viendrait secourir la nature. Elle est péremptoire « La plupart des fards sont composés de minéraux plus ou moins malfaisants mais toujours corrosifs, et de funestes effets sont inséparables de leur usage. »