Le Brut Sans Année est le socle de la prospérité du Champagne, l’infanterie qui, en rang serré, peuple les rayons des supermarchés laissant les grandes cuvées, les millésimés se pavaner sur les publicités. C’est ça le modèle champenois, à nul autre pareil dans notre vieux pays françois. Création de valeur, grandes marques locomotives, segmentation du marché et, même si on a mis la pédale douce sur le concept : le co-branding, le champagne est une grande armée bien organisée qui sait préserver le prestige de l’uniforme. Ce point, l’étiquette, le bouchon qui pète c’est capital pour le consommateur lambda, madame Michu et monsieur Marcel, la Bimbo et le rouleur de mécanique, le parrain et la marraine, les nouveaux époux de tous les mariages, le vainqueur du grand prix de formule 1, le night-clubber, j’en passe et des meilleurs.
« La fonction première d’une bouteille de champagne ne consiste pas à boire son contenu mais à faire sauter le bouchon. C’est un vin qui se contemple (les bulles ont un pouvoir envoûtant), ensuite il se déguste. Beaucoup de Champenois reconnaissent, pour le déplorer, que « 90 p. 100 des gens qui ouvrent une bouteille se soucie peu de la qualité ». On assigne au champagne le rôle d’accompagnateur, il marque les grands évènements et les changements d’une vie (baptême, mariage, anniversaire, inauguration, réussite à un examen). Le champagne emporte avec lui l’idée de bonheur et de joie, d’élégance, de folie. Il marque le rite de passage, un changement de direction, une phase nouvelle. » écrit Jean-Paul Kauffmann.
Tout ça vient de loin, l’aura du champagne tire ses racines de ce que Jean-Paul Aaron souligne « Estimé tout au long du siècle, il étanche, sous le Second Empire, la soif des courtisane ; son apogée est aussi celle de la galanterie. Sa cherté lui aliène une portion de la clientèle petite bourgeoise mais incite à la consommation les chicards, les gens du monde » : « Le vin de Champagne, Moët, Théophile Roederer, Bollinger ou Clicquot, est un vin que calomnient volontiers les gens à qui leurs moyens ne permettent pas d’en boire. On l’appelle coco aristocratique, coco épileptique, on affirme que c’est un vin fabriqué – et même que ce n’est pas un vin du tout. Je n’ai pas pour mission de réhabiliter le vin de Champagne, seulement je trouve mes contemporains bien légers à son endroit, et je souhaiterais, dans leur intérêt plus encore que dans le sien, qu’au lieu de coûter si cher il coûtât bon marché, parce qu’alors, au lieu de le calomnier, ils le boiraient et se convaincraient de ses qualités. On est facilement ingrat en France et on oublie que le […] champagne est le vin national par excellence, puisque deux siècles avant les deux autres tant vantés, avant le bordeaux et le bourgogne, c’était le vin préféré des princes et des gentilshommes. Le champagne n’est pas un vin, c’est le vin même, et il n’y a que les bourgeois qui le boivent au dessert, les jours de grandes cérémonies ; il faut le boire comme on boit le sauternes et le meursault, comme un vin ordinaire, et dès le commencement du repas. Les gens qui déjeunent, dînent ou soupent au champagne ne sont pas des excentriques comme on le dit lorsqu’on tient à dire une sottise : ce sont des gens amis de leur santé autant que du plaisir, des gens de bon goût qui veulent conserver un bon estomac… » Voici donc ce qu’écrivait, en 1867, Alfred Delvau dans les Plaisirs de Paris. Il n’était pas sponsorisé ni par le CIVC, ni par quelques grandes maisons qui savent appâter les petits bloggeurs dans la déche. La publicité ci-dessous date de septembre 2010 chez Carrefour.link