Dans la foulée de mai 68 nous eûmes le grand bonheur de découvrir les Nouveaux Philosophes dont deux beaux spécimens sont encore connus de notre jeunesse inculte : BHL et André Glucksmann.
Le XXIe siècle, reléguant les nourritures spirituelles au rang des accessoires inutiles, porte sur le pavois de la renommée des maîtres-queue qui manient avec autant d’habileté le tartare de cabillaud que le communiqué de presse pour gogos.
Alain Ducasse.[THOMAS SAMSON / AFP]
Un des maîtres, hormis l’omniprésent Thierry Marx, est sans conteste Alain Ducasse qui vient de nous gratifier lors de la réouverture du Plaza, l’une de ses nombreuses gargotes étoilées, d’un bel échantillon de ses hautes pensées sans doute concocté dans le salon VIP d’un aéroport international.
Pensez-donc notre homme vient d’expliquer à l’AFP par communiqué que « la planète a des ressources rares, il faut la consommer plus éthiquement, plus équitablement »
Notre chef vénéré et surmédiatisé, qui prône depuis longtemps la diminution des protéines animales ne jure plus que par la « naturalité », d’ailleurs va-t-il dans la foulée se mettre aussi aux vins natures. J’aimerais voir la tronche de Gérard Margeon son « Monsieur Vin » : vert !
Virage radical pour le nouveau Plaza: finie la viande, bienvenue la pêche de ligne durable, les céréales « bio, autant que faire se peut », légumes « du jardin de la Reine » cultivés au Château de Versailles.
« Le chef jongle avec les tendances végétariennes, locavores et environnementales dans son menu « jardin-marin ».
Mais le menu conserve son prix palace: 380€ hors boissons, il ne faut pas tout de même tomber dans le simplisme, pour défriser les permanentes et les moumoutes le sommelier d’Alain Laurent Roucayrol prévient : « Il ne faut pas avoir peur du vin rouge avec le poisson » pour accompagner le terre-mer « lentilles vertes du Puy, caviar doré, gelée d'anguille ».
Nous sommes face au chef de file de Nouveaux Révolutionnaires, version restauration : face à ses clients du CAC 40 Alain ne cèdera pas d’un pouce à la pression populaire « … pour les desserts au chocolat, au goût prononcé en cacao : on nous demande de la crème ou du caramel avec le chocolat... non, on ne va pas céder, maintient-il, sinon on est dans la globalisation. On mange tous le même gras, le même sucré ».
Face à une telle détermination nous sommes rassurés pour le devenir la planète et nos bonnes vaches qui pètent pourront tranquillement couler des jours heureux dans leur pré même que Ducasse cotisera pour leur assurer une bonne retraite.
Restent, hormis les moutons et autres volailles de tout acabits, nos cochons les sauvages comme les domestiques, que va-t-on en faire ?
Exilé en Corse depuis quelques jours je transmets quelques éléments de réponse corses à notre nouveau converti :
« … la manière dont Virgile Ordioni n’oubliait jamais de découper dans les entrailles fumantes du sanglier mort de fines lamelles de foie qu’il mangeait comme ça, toutes chaudes et crues, avec une placidité d’homme préhistorique, malgré les cris de dégoût auxquels il répondait en évoquant la mémoire de son pauvre père qui lui avait toujours enseigné qu’il n’y avait rien de meilleur pour sa santé. »
« … ils trouvèrent Virgile Ordioni occupé à châtrer les jeunes verrats regroupés dans un enclos. Il les attirait avec de la nourriture tout en poussant différents grognements modulés censés sonner agréablement à l’oreille d’un porc et quand l’un d’eux, envoûté par le charme de cette musique ou, plus prosaïquement, aveuglé par la voracité, s’approchait imprudemment, Virgile lui sautait dessus, le balançait par terre comme un sac de patates, le retournait en l’attrapant par les pattes arrière avant de s’installer à califourchon sur son ventre, enserrant dans l’étau implacable de ses grosses cuisses la bête fourvoyée qui poussait maintenant des hurlements abominables, pressentant sans doute qu’on lui voulait rien de bon, et Virgile, couteau en main, incisait le scrotum d’un geste sûr et plongeait les doigts dans l’ouverture pour en extraire un premier testicule dont il tranchait le cordon avant de faire subir le même sort au second et de les jeter ensemble dans une grande bassine à moitié remplie. Aussitôt l’opération terminée, le cochon libéré, faisant preuve d’un stoïcisme qui impressionna Matthieu, se remettait à manger comme si de rien n’était au milieu de ses congénères indifférents qui passèrent l’un après l’autre entre les mains expertes de Virgile. »
« Virgile les rejoignait, la bassine sous le bras…
- Alors les garçons, ça va ? on va manger ?
et Matthieu découvrit que la bassine contenait leur repas et il s’efforça de ne rien laisser paraître de sa surprise parce que ce monde était le sien, même s’il ne le connaissait pas encore tout à fait, et chaque surprise, si rebutante fût-elle, devait être niée sur-le-champ et transformée en habitude, bien que la monotonie de l’habitude fût justement incompatible avec la délectation que ressentait Matthieu à se gaver de couilles de porc grillées au feu de bois… »
Extrait de Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari prix Goncourt 2012
Lire aussi : « Brochettes de couilles d’agneau et merguez à la sauce tomate et le vin qui va avec. » chronique du 6 février 2010 link