En ce moment, pour les politiques ce n’est pas le pied, surtout pour les mâles, bas les pattes, les gauloiseries ne sont plus de saison. Pour avoir fréquenté les allées du pouvoir, où nous les hommes restons majoritaires, je puis témoigner que « le cul et la bouffe » sont bien dans l’ADN de nos élus mais à peu près au même niveau que dans les entreprises. Sans m’aventurer plus avant dans les alcôves et les bureaux je soulignerai seulement que ce qui est en jeu c’est le rapport du faible au fort doublé, surtout dans la classe politique, d’un sentiment d’impunité. Je m’en tiendrai donc à la bouffe qui, pour nos élus, se nomme gastronomie.
Dans un livre récent : Dans les cuisines de la République chez Flammarion Pascale Tournier et Stéphane Reynaud écrivent dans leur prologue « La gastronomie, telle est pratiquée par nos sénateurs, députés et ministres, a le verbe haut. Définissons-là comme un ensemble de recettes élaborées, codifiées, mariées à des vins, et à un discours. La gastronomie s’associe à un message tantôt politique, tantôt diplomatique. Aux sonorités parfois identitaires » Notre Président de la République, au Salon de l’Agriculture 2008 a déclaré « Nous avons la meilleure gastronomie du monde ; enfin, de mon point de vue.» Alors faut-il, comme la sémillante Isabelle Giordano sur France Inter, se poser la question la gastronomie est-elle de gauche ou de droite ou y a-t-il des plats de gauche et des plats de droite?
Si l’on réduit le champ aux seuls politiques la réponse est bien évidemment, non. Nos deux auteurs le soulignent : « François Hollande embrasse Jacques Chirac qu’il croise dans un restaurant hors de prix situé près de l’Elysée. Olivier Besancenot, Dominique de Villepin et Martine Aubry goûtent aux mêmes raffinements italiens à Saint-Germain-des-Prés. À chacun ses caprices. Nicolas Sarkozy exige ses truffes, en macaronis, en soupe ou en sandwich. Xavier Bertrand se dit prêt à se prostituer pour un cassoulet. ». Nos élus sont du côté de l’élite et non du peuple. En revanche, sans faire de la sociologie bistronomique, il est clair que c’est le montant de l’addition qui constitue le bon indice de clivage et que, d’une manière générale, hormis la gauche dites caviar, les citoyens les plus aisés votent plutôt à droite et ce sont ceux qui constituent la chalandise des restaurants gastronomiques et qui par ailleurs achètent les vins les plus couteux.
Pour ma part, je l’ai écrit dans une chronique : Chère maman d’accord avec Yves Camdeborde : « enlevons le mot gastronomique » au repas à la française inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco link ce débat me semble de peu d’intérêt. Ce qui compte vraiment pour moi c’est le « bien manger de tous les jours », celui du dimanche et des jours de fête, et, en ce domaine, le bon peuple et toute une tranche de cuisiniers assurent la perpétuation de notre bien vivre. Nous ne sommes pas dans le domaine du politique et de ses clivages mais dans celui de l’esthétique, de la conception de la vie, de choix de vie. La ligne de partage est beaucoup plus sinueuse car elle traverse alors nos affinités familiales, régionales, amicales, professionnelles, et assemble autour de la table des femmes et des hommes d’horizons divers. Autour de cette table on se parle, on échange, on se confronte, mais grâce au vin, lorsqu’il est servi et bu à bon escient, la conversation peut s’enhardir, créer des liens. Rocard a plaidé pour une démocratie apaisée où nos clivages politiques, tout en restant clairs, ne nous empêcheraient pas de nous retrouver sur des questions essentielles. Nous en sommes loin, très loin, et les élites économiques et politiques portent une lourde responsabilité dans le fossé qui se creuse toujours plus encore.
Notre cuisine, notre gastronomie, nos cuisines individuelles ou collectives : du restaurant d’entreprise à la table étoilée, sont un décalque parfait de l’état de notre société à la fois complexe, contradictoire, pleine de bonnes intentions et de choix plus ou moins bien assumés. Les restos du cœur de Coluche voisinent avec le luxe insolent des tables de Palace, le prix de certains grands crus bordelais font que le prix d’une de leur bouteille équivaut à un tonneau de Bordeaux, l’obésité est chez nous pays développés une maladie alors que la malnutrition touche plus d’1 milliard d’êtres humains. Le monde n’est certes pas qu’en noir et blanc mais les contrastes, les lignes de fractures, loin de se résorber se renforcent, s’élargissent et, j’avoue que je trouve vulgaire et indécent ce goût que cultivent certains de ne s’intéresser qu’à leurs menus plaisirs. Vivre certes, sans forcément se couvrir la tête de cendres ni jeûner, mais garder un peu de retenue, regarder au-delà de son assiette et de son verre...
Sans conclure, mes courtes réflexions ne le permettent pas, je propose à votre lecture un papier de Curnonsky en septembre 1955 Le fait du Prince : les partis en gastronomie qui vous permettra de mesurer qu’en 50 ans nous sommes passés pour nos politiques d’une France de notables à une France de professionnels de la politique dont l’expérience de la vie de tous les jours, celle qu’affrontent leurs électeurs, est de plus en plus mince et réduite. Ceci écrit ce sont ces derniers qui les élisent, alors cherchez l’erreur...