J’ai de la sympathie, voire même de la compassion, pour les humbles bouteilles dont on a posé le cul au ras de la poussière des bas de rayon. Elles sont ventrues, avachies, attifées à la va-que-je-me-pousse, vieillies avant l’âge, soumises, mal tarifées, affublées de noms ridicules, on les imagine prises par des mains anonymes, honteuses, enfouies sous le manteau avant d’être bue au goulot. Jamais au grand jamais, sauf à la rubrique des faits divers, elles n’auront droit à la belle encre des belles plumes de nos grands dégustateurs. Imaginez une seule seconde la RVF organisant un duel Vieux Papes contre Vieux Prélats ou Bettane&Dessauve se tapant une horizontale de Cramoisay&Champlure ou pire encore, avec son retour d’âge, le grand Bob notant sur 100 toute la production de l’UCOAR mère du si célèbre Cytelet (qui est au vin rouge ce que le jerrican est au super avant le sans plomb, un must), ou encore Michel Rolland ou Stéphane Derenoncourt appelés à la rescousse de la Villageoise pour en faire un vin nature en bouteille écologique à destination des bobos de Shanghai. Ces vins sont-ils la honte du vin ou dit autrement : ceux qui les font, les embouteillent, les vendent devraient-ils avoir honte ? Pour tout ce que compte de beaux esprits le royaume des amateurs de vin, la réponse est sans contestation : oui. Pour eux ces vins ne devraient pas exister ! Même si aucun ne se risque à dire ce que serait le devenir des vignes et des vignerons qui les font. La tendance est majoritairement à les ignorer, à faire comme s’ils n’existaient pas. La raison invoquée c’est qu’ils ont suffisamment à faire avec les AOC qui font des vins ni fait ni à faire. Le monde du vin, disons celui de la gente dite journalistique, n’est guère consumériste, il cultive son petit fonds de commerce sans se soucier de monsieur et madame tout le monde qui boit du jaja lambda. Loin de moi de lui en faire reproche, y’a si peu de blé à se faire qu’il faut bien le ramasser là où il est. Si un jour il était procédé au comptage volumique des vins présentés dans les guides et les revues de vin, le pourcentage qu’il représenterait du volume de la récolte de la vigne France serait infime.
Pour ma part ce dont je suis certain c’est que tous ces vins de petite condition sont achetés bus et pissés. Doit-on, au risque de se faire prendre une avoinée par le nouveau hâbleur de la campagne, l’érecteur des lendemains qui déchantent, les mépriser. Sans vouloir être mauvaise langue certains d’entre eux valent, au sens gustatif, souvent mieux que leur modeste condition et confrontés à certains vins mal fagotés, sous le prétexte qu’ils se sont élevés tout seul, ils n’auraient pas à en rougir. Je ne vais pas prendre leur défense car le mépris dans lequel ils sont tenus ne justifierait en rien cette montée en première ligne. Tout le monde s’en fout, ou presque. Alors où veux-je en venir ? Tout simplement à ceux qui les présentent aux consommateurs. En effet, pour en avoir connus et côtoyés quelques-uns de ces embouteilleurs à la chaîne, ces faiseurs de petits prix, j’ai le sentiment qu’ils mettent un malin plaisir à massacrer plus encore ces pauvres vins de rien du tout en les rabaissant plus encore par des présentations minables, misérables, tendance beaufs non révisés, retraités édentés, souillons mal lavées…
Bien sûr, ces manieurs de calculettes me rétorqueront que, sous la pression des écorcheurs de la GD, ils en sont réduit à rogner au centime d’euro près sur tout ce qui dépasse, et qu’un de ces jours ils se verront obligés de faire la manche pour embouteiller le jaja du peuple. J’exagère à peine. C’est la dèche ! L’impérieuse nécessité de saturer les chaînes d’embouteillage, d’écraser les frais fixes, de courir après les volumes, de faire du chiffre : le vin étant la variable d’ajustement. Quelle joie de voir une chaîne tourner à 30 000 bouteilles/heure, c’est excitant, ça donne le sentiment d’être un capitaine d’industrie alors qu’au bout du compte, une fois emmaillotées sur des palettes, ces braves bouteilles traitées comme des pions iront rejoindre l’anonymat des bas de rayons. Le marchand de vin de Bercy, si vilipendé, prenait bien plus soin de ses clients que cette engeance embouteilleuse à la chaîne. Le mépris du produit, aussi modeste soit-il, est méprisable car il participe à la mauvaise image du vin.
Pourquoi diable tout ce petit monde continue-t-il de cultiver un champ qui ne cesse de se rapetisser ? En effet, il y a belle lurette que l’avenir des vins modestes n’est plus placé entre les mains et les gosiers des buveurs réguliers. Alors pourquoi ne pas tenter de renouveler l’image de ce produit en rajeunissant un chouïa les dénominations. Vraiment croît-on que la nouvelle génération place une grande confiance dans tous ces Vieux ceci ou Vieux cela, ou dans des quartiers de noblesse éculés ? Les embouteilleurs et les distributeurs ne font qu’user jusqu’à la corde le filon des vieux buveurs réguliers me rétorquera-t-on ! Certes mais au train où vont les choses c’est au trou qu’ils nous amènent tous. Un petit effort de renouvellement du packaging des vins modestes ne serait pas un luxe inutile. Ces vins existent. Ils sont produits, commercialisés et bus alors, même sous les lazzis de l’intelligentsia, je reste un chaud partisan du respect qu’on leur doit. Marchand de vins ce n’est pas être marchand de rien !
Si j’ai pris dans mon viseur le Double Pot Catalan embouteillé à Maureilhan, par qui vous savez, c’est que ce Vin de Pays des Côtes Catalanes, vendu 2,71€ le litre chez Franprix, c’est qu’il s’affuble des codes des grands vins alors qu’il se donne un nom populaire, un nom de comptoir, un nom de grand soir. Pourquoi se parer de ces attributs qui jurent avec l’origine simple et modeste du vin ? Pour faire accroire quoi ? Que ce vin est un cousin des Girondins ? Qu’on peut le sortir chez son beau-père ? Qu’on se doit de le sortir pour la troisième mi-temps des Catalans (pas très saignants en ce moment) Moi je trouve ça ringard ! J’ai ici plaidé pour le renouveau du litre, pour sa réhabilitation, ce n’est pas avec le Double Pot Catalan que nous allons gagner la partie ! Lorsqu’on dispose d’un budget modeste pour se vêtir la pire des choses est de choisir un costume qui singe la haute couture, il sera mal foutu, miséreux, pète plus haut que son cul, alors qu’un bon pantalon de coton ou un bon jeans avec une chemise sympa et un pull de couleur achetés chez Monop, le tout pour moins de 100€, feront la différence. L’imagination ça ne coûte pas cher, encore faut-il en posséder, ce qui ne semble pas être le cas de nos embouteilleurs à façon. Au temps où je sévissais à la Société des Vins de France, nous prenions le même soin pour toutes nos marques, prestigieuses ou modestes. Ça s’appelle tout bêtement le respect du client ! Mais le respect se perd ma bonne dame !
Ce Pot Catalan est l’œuvre d’une filiale, Trilles, d’un grand groupe languedocien qui s’affiche à l’aéroport de Montpellier-Méditerranée avec sa Cuvée Mythique, ce n’est pas trop lui demander pour un vin de pays de ses voisins catalans de sortir du convenu plan-plan…