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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 00:09

Parler d’œufs le lundi de Pâques rien de plus normal, sauf que ce jour-là y sont plutôt en chocolat et que les cloches de retour de Rome les ont balancés la veille dans les jardins potagers. Mais je profite de cette actualité pour tirer la sonnette d’alarme : les limonadiers modernes abandonnent de plus en plus l’œuf dur de comptoir. Vous savez ceux que l’on trouve par 6 dressés en rond sur un présentoir autour d’une salière. Espèce en voie de disparition : réagissons !

 

Tom-7300.JPG 

 

 

Que voulez-vous pour moi c’est un paquet de souvenirs qui passerait ainsi à la trappe, toute une gestuelle de bord de bar, un rituel de bourse-plate. En effet, au temps de mes études de Droit à Nantes où nous passions plus de temps dans les cafés que dans les amphis de la Jonelière (des préfabriqués où nous nous gelions les fesses en hiver et étuvions aux beaux jours) – pardon Norbert pour ce manque d’assiduité qui explique tous les trous de mon savoir juridique – le soir après le cinéma ou les tonus (les fêtes) nous nous retrouvions dans un petit bistro tout étroit qui faisait face à l’atelier de composition du journal Presse-Océan (ex-Résistance de l’Ouest). Sa caractéristique : être ouvert jusqu’à pas d’heure. Vu l’état de nos moyens financiers l’œuf dur s’imposait et le ballon rouge suivait pour faire couler le morceau.

 

Comme l’écrit Jacky Durand dans Libération « l’œuf dur est un aliment singulièrement dual : il tient tout à la fois de la frugalité et de l’abondance, de l’en-cas où il est seul en scène et du gueuleton où il joue les troisièmes rôles dans des recettes du dimanche. » En ces temps de bourse plate mais de jour le jour nous ne vivions pas d’amour et d’eau fraîche mais d’œufs durs et de petit rouge ; pour l’amour c’était plus compliqué mais là n’est pas la question du jour. Dans de prochaines chroniques je reviendrai, non sur nos exploits amoureux pré-soixante-huitard, mais sur deux must de l’œuf : les aux plats et l’œuf mayo.

 

Le rituel de l’œuf dur de bord de bar est très précis. Pour écailler l’œuf dur il faut un certain doigté, je dirais même du touché comme un pianiste, sinon c’est l’écrabouillement, la ruine, l’épandage de débris de coquille sur le zinc du bar, l’horreur quoi. Pour faire un œuf dur qui s’écaille facilement en bande régulière qui n’accroche pas le blanc il faut que l’œuf originel ne soit pas trop frais. Bref, le toc-toc discret qu’évoque Prévert (le titre de ma chronique) fait la différence entre l’habitué et le gus qui se la joue popu. Une fois l’œuf dénudé le décapiter à la bonne hauteur, c’est-à-dire sans mordre dans le jaune, d’un coup de bouche demande une expérience de vieux routier. Vient ensuite l’assaisonnement en tapotant la salière, celle-ci dans les bonnes maisons fonctionne sans avoir recours à un curage des trous. La dégustation, par petites bouchées, sépare le monde en deux camps irréductibles : les goinfres et les gourmets. Pour les premiers c’est 2 ou 3 bouchées avec en ligne la descente immédiate du ballon de rouge, pour les autres c’est la becquée entrecoupée de petites gorgées de nectar (à notre bar c’était du rouge syndical 6 étoiles de la maison Sénéclauze dit cotes-du-rhône). Sévissait aussi en ces temps-là des barbares accompagnants leurs œufs durs de bocks de bière pression avec en son sein une peuplade redoutable : les adeptes du Picon bière.

 

En France l’œuf de poule est roux et, contrairement à une idée reçue la coloration de la coquille ne joue aucun rôle dans le goût de l’œuf. Cuire un œuf dur est à la portée du premier individu de sexe masculin élevé comme un gros naze par sa mère puisqu’il suffit de le faire cuire une dizaine de minutes dans de l’eau bouillante. La cuisson d’un œuf mollet relève lui d’un talent réel que peu d’individus mâles en pantoufles possèdent d’où l’expression féminine qu’ils reçoivent en revers lorsqu’ils protestent devant leur télé sur la qualité du frichti surgelé réchauffé micro-ondes :« va te faire cuire un œuf ! »

 

Alors, chers lecteurs, allon-nous assister les bras croisés, sans réagir, à la disparition du petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain au pied d’un ballon de rouge ? Ce serait un pan entier de la culture populaire française qui disparaîtrait et ce serait inacceptable. Exigeons de nos limonadiers le retour sur le zinc du petit présentoir de 6 œufs durs et de la salière ! Je propose pour que les bobos fassent chorus avec nous : l’œuf dur bio accompagné de sel gris de Guérande...

Bon appétit et Joyeuses Pâques !

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commentaires

R
bonjour<br /> ils ne sont pas interdits par la loi ils doivent être tenu au frais et une fois sur le présentoir ne pas y rester + de 2h , il suffit donc de l approvisionner au fur et a mesure de la demande
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C
<br /> <br /> Bonjour  On me dit que les oeus durs sont interdits à la vente au bar.  est ce que quelqu un  sait ce qu'il en est?  merci<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> donc vous avez connu Bouzat! alors là respect !<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bien sûr le doyen Bouzat le professeur de Droit Pénal avec ses gros bouquins et son goût immodéré des jeunes filles qu'il plaçait au premier rang<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> <br /> "un petit bistro tout étroit qui faisait face à l’atelier de composition du journal<br /> Presse-Océan"<br /> <br /> <br /> Ce ne serait pas le Santeuil, ce bistro ?<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Oui c'était le Santeuil et il y avait aussi un étage<br /> <br /> <br /> merci de rafraîchir ma mémoire<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> Moi aussi je regrette le bruit feutré de l'oeuf cognant le zinc. Après mes blanches nuits parisiennes, il venait à point nommé entre l'Alka Seltzer (pas vérifié l'orthographe...) et le café,<br /> histoire de caler mon ventre alors de dimension normale.<br /> <br /> <br /> <br />
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