L’idée de cette chronique m’est venue lors d’un déjeuner au George V où notre hôte, outre la dégustation de son vin, nouveau promu dans une classification jugée par des esprits moqueurs comme quasi-miraculeuse, nous offrit pour le célébrer un petit concert où fut interprété sur un Stradivarius, baptisé du nom du Château, du Nicolò Paganini. Ce grand maestro italien, compositeur et interprète, est considéré comme l’un des plus grands des musiciens de son époque par sa technique et son aisance parfois jugées diaboliques. Beaucoup de compositeurs, désireux d'écrire pour leur instrument des pièces d'une difficulté comparable, s’en sont inspirés.
L’irruption dans l’univers du vin des œnologues-conseils reconnus, parfois même starifiés, qui signent les vins de propriétaires soucieux de bénéficier de leur aura, pourrait laisser à penser que ce sont, à leur manière, avec leur art, leur technique, leur habileté, des interprètes talentueux pouvant, dans des conditions d’exercice différentes, en des lieux très variés, tirer la quintessence d’un terroir là où d’autres se contenteraient d’exécuter simplement la partition héritée des pratiques ancestrales. Ma question sur la virtuosité de la nouvelle génération des vinificateurs ne semble donc pas totalement dénuée de fondement.
Pour vous en convaincre j’ai déniché une définition très universitaire « La virtuosité, qui dans son acception la plus commune désigne l’adresse d’un exécutant, sa vélocité, son brio technique, peut aussi bien se référer au talent et à l’habileté dans l’élaboration de certaines compositions particulièrement remarquables.
En ce deuxième sens, la virtuosité se développe dans l’invention personnelle dont fait preuve l’artiste sur la base d’un savoir et de techniques communs. Elle distingue alors une initiative individuelle éminemment créatrice des habitudes compositionnelles ou interprétatives. Dans les deux acceptions, le statut de la virtuosité correspond à un besoin de se singulariser et se réfère à une notion d’excellence. » Victor A. Stoichita
Virtuosité se définit le plus souvent par : Grande habileté, avec pour synonymes : adresse, agilité, brio, dextérité, doigté, habileté, légèreté, maîtrise, savoir-faire, talent, technique.
Au Cabinet de curiosités grand public du Louvre, « la virtuosité se donne – entre mise en scène et pratique musicale réelle – autant à voir qu’à entendre. À Liszt et Paganini répondent en contrepoint Hendrix, la précocité d’une pianiste âgée de quatre ans ou les acharnés de l’air guitar. »
Notre époque aime tout ce qui brille, ce qui est immédiatement agréable, qui procure la fameuse émotion, et la virtuosité semble trop souvent la seule marque du talent. Il est des œuvres difficiles d’accès qui sont ou qui se révéleront avec le temps de véritables chefs d’œuvre. Je ne suis pas de ceux qui assimile les grands vinificateurs, aussi talentueux soient-il, à des artistes, mais à des hommes de l’art en référence à ce que fait la main. Alors, il me semble que la seule maîtrise technique, le savoir-faire, l’habileté, l’adresse, le brio, qui sont la marque surtout des grands interprètes, de ceux qui exécutent, ce besoin de singularité, la virtuosité donc, tiennent plus au niveau de bruit – au sens des communicants – qu’exige le commerce d’un monde mondialisée. Nos vinificateurs-stars sont des marques, tout comme les GCC, et ils se doivent de se différencier, de se mettre en scène, afin de rester sur le devant de la scène.
Qu’on veuille bien me lire, je reconnais tout à la fois la virtuosité, qui est sans contestation la marque du talent, tout en soulignant qu’elle est à la fois, dans sa surexposition le fruit de la médiatisation et qu’elle ne peut être considérée comme la voie unique pour élaborer ce que l’on qualifie parfois hâtivement de grands vins. En clair le talent se niche aussi dans la simplicité, la sobriété, la capacité à maîtriser la complexité. Reste aussi, qu’une certaine forme de virtuosité, le geste pour le geste, produit très vite l’effet inverse à celui recherché : l’uniformité, la répétition, la lassitude. La recherche de voies plus difficiles, moins interventionnistes, où la technique s’efface, se fait discrète, avec une plus grande prise de risque, c’est aussi une forme de virtuosité, discrète, je dirais même furtive. J'aime beaucoup cet forme d'héroïsme du quotidien qui est la marque des esprits forts.
J’en reviens pour finir à la musique en vous proposant deux œuvres qui exigent des virtuoses :
- Nicolò Paganini : 24 Capricci OP.1
- Frantz Liszt : Grand Galop chromatique S.219