Même si ça ne se voit pas à l’œil nu, si ça ne vous saute pas à la tronche, vu ma dégaine de gandin avec ses écharpes pétantes de couleurs vives, ses beaux souliers, j’ai bénéficié d’un élevage 100% naturel entre les hauts buissons du bocage de ma Vendée crottée qui cernaient de gras pâtis où paissaient les vaches du pépé Louis. Pour être naturelles elles étaient naturelles les prairies qui descendaient mollement jusqu’aux rives de l’Auzance. À part la bouse de vache des vaches et leur pisse chaude l’herbe qui y poussait ne vivait que de soleil et d’eau fraîche. Faut dire qu’ils étaient beaux les pâtis du pépé Louis, indemnes de chardons, parfois piquetés de petits rosés bien blanc (je n’ai pas forcé sur la bouteille, il s’agit de champignons), pleins de pâquerettes et de boutons d’or. L’été, avec les frères Remaud, nous allions pisser dans les trous des Cri-Cri pour les faire sortir de leur tanière. Au printemps le beurre de la tante Valentine était jaune bouton d’or et la crème fraîche sortie de l’écrémeuse toute mousseuse avait gout de noisette en été lorsque les vaches avaient moins de lait et sentait le foin en hiver lorsqu’elles se prélassaient bien au chaud à l’étable.
La nature nous ne savions pas ce que c’était au juste car c’était notre champ libre où nous montions aux arbres, bâtissions des cabanes au cœur des épais buissons. Nous nous goinfrions de fruits sauvages ou de ceux du jardin jusque parfois à attraper de belles chiasses. Nous croquions de l’oseille et mangions des navets pour faire passer le goût des P4 (cigarettes de marque Parisienne vendues en paquet de 4) afin que nos mères à l’odorat affuté ne soupçonnent pas que nous avions transgressé leur interdiction. Tout ça poussait tout seul ou presque. Mémé Marie sacrifiaient d’une main ferme : poulets, poules, canards et lapins. Je ramassais chaque soir dans les buissons les œufs de nos poules vagabondes. On tuait le cochon. J’en avais marre de bouffer des haricots verts mais j’adorais le temps des asperges. Le poisson frais venait tout droit des Sables d’Olonne et les coquillages nous allions les ramasser sur la côte sauvage. Oui nous étions nous aussi des sauvages même que nous nous lavions dans la buanderie dans la grande bassine qui servait à Alida Cantin à faire la lessive de notre linge.
Restait les vignes du pépé Louis qui m’ont toujours semblé être le cadet de ses soucis. Le cousin André Neau assurait la taille. Avec le pépé Louis et Nénette, la jument, un petit coup de charrue vigneronne de temps en temps et je crois bien que c’était tout. Ce dont je suis sûr c’est qu’il n’y avait au Bourg-Pailler aucun appareil de traitement sauf un pulvérisateur à dos pour sulfater la treille. La vigne poussait toute seule. Nous la vendangions quand mon père trouvait le temps, et il n’en avait guère mon pauvre père avec son entreprise de travaux agricoles et de battages. Les paysans sont jamais contents alors comme clients c’étaient la croix et la bannière. Nous possédions un pressoir mobile que l’on plaçait sur le trottoir au bord de la nationale devant la maison et j’adorais le cliquètement lorsque les hommes actionnaient avec une grande tige de fer la roue qui s’enroulait sur la vis sans fin pour presser le raisin. Le jus coulait dans un grand bac de bois et il fallait actionner la pompe à bras pour que le gros tuyau qui plongeait dans la mousse aspire et refoule le mout dans les barriques. Il allait bouillir.
Le vin du pépé Louis était 100% nature dans sa fabrication sauf que, bien sûr, le pépé méchait à mort la futaille. Bien sûr vous allez me dire que le vin nature du pépé Louis issu de vils cépages sur des terres grasses n’était qu’une horrible piquette. J’en conviens aisément mais permettez-moi de vous dire avec un grand sourire que je lui garde une large place dans mon cœur et ma mémoire de sauvageon vendéen. Tout ça pour vous dire, pour dire, surtout à ceux qui ironisent sur les déviances des jeunes amateurs de vin nature, que tous les chemins mènent au vin, même ceux qui ne sont en apparence des chemins de traverse. De grâce messieurs les grands prêtres laissez à tous et à chacun ses expériences, ses transgressions, ses folies, et surtout ses envies de boire ce que bon lui semble car, à force de gloser sur les grands vins à tout bout de champ vous en devenez très chiant.
Le vin posé sur un piédestal n’est pas dans ma culture, tout comme l’adoration de la haute cuisine, ce qui ne signifie pas pour autant que je n’apprécie pas certains de ces vins qualifiés de grands ou beaucoup de ces mets raffinés. Dans nos micro-débats règne une grande confusion intellectuelle : de qui et de quoi parle-t-on en se contentant de se balancer des horions ? De tout et du contraire de tout et surtout pour beaucoup d’amateurs rien que du vin. Pour eux ce qui compte c’est la fin peu importe les moyens. Cette opinion dominante régresse sous la pression non seulement des défenseurs patentés de l’environnement mais d’une part de plus en plus importante de l’opinion publique. Les rapports de force ça existe et les oppositions même frontales, rappelez-vous la fureur au moment du PACS, produisent à terme du consensus.
Alors, il serait bon d’aborder les questions concernant la santé de la vigne et du vin en prenant soin de se situer à 3 niveaux :
- la terre ou le terroir qui englobe ce que la main de l’homme y a implanté, en l’occurrence ici des ceps de vigne ;
- l’homme : le vigneron ;
- le produit donc le vin.
J’avoue que je suis plus enclin à défendre le respect de l’intégrité de l’homme et de la terre qu’à m’engager sur celui du terrain mouvant de la naturalité du produit. Je suis ici plus campagnard qu’urbain et j’ai du mal à m’associer aux petites joutes des uns contre les autres pour ou contre certains types de vin. Pour les plus jeunes ils jettent dira-t-on leur gourme et rien ne peut présager de leurs futurs engagements : les ex-soixante-huitards en sont la preuve ; les plus vieux eux cultivent avec une certaine condescendence la tendance à magnifier leur expérience, leur sagesse. Ce qui est rassurant dans toute cette agitation c’est qu’on n’en parle jamais ou presque aux informations. Tout le monde s’en fout ou presque.
Moi j’en suis resté à ce que mon maître vigneron, le frère Henri Bécot, m’a inculqué. Voilà ce qu’écrivait sur lui Jean Huguet dans les vins de Vendée :
« Bécot, dans l’immédiat après-guerre 1945, fit avancer l’idée d’un vin de qualité primant sur le vin de petite façon, donc de quantité. On l’a dit apôtre des hybrides. Des bons hybrides, oui ; mais des grands cépages aussi. Quand il me conviait à la découverte d’une cave, c’était avant tout pour apprécier tel sauvignon, tel groslot, tel traminer (eh ! oui) ; je ne me souviens pas qu’il m’ait « débauché » pour quelque seibel, ravaz ou orberlin, même s’il ne les dédaignait pas. Ce professeur de géographie et d’histoire, né au pays de Vallet, mais originaire de Bazoges-en-Pareds, fidèle à ses racines paysannes, n’avait cure d’économie vinicole. Ce qui le préoccupait, c’était le bonheur du vigneron occasionnel, dont le labeur céréalier ou le soin asservissant des bêtes méritait la récompense du fier plaisir de la vendange. Il condamnait fermement les étranges fidélités qui l’attachaient, ce paysan, aux plants américains et prêchait pour qu’on les remplaçât par les meilleurs hybrides français couronnés à la foire annuelle de Chantonnay où son inusable soutane et son rabat bleu flottaient au vent de son enthousiasme comme l’emblème de la vigne vendéenne. »