Le chroniqueur, comme l’éditorialiste de son journal papier ou radio ou télévisé (j’insiste sur le possessif) fait partie de la vie du lecteur ou de l’auditeur ou du téléspectateur, de son quotidien, comme les platanes des routes départementales ou le bistrot du coin de la rue. Ce débiteur de mots est un membre éminent de la race des seigneurs, d’une élite au-dessus de l’élite, à qui bien évidemment, les fidèles lecteurs ou auditeurs ou téléspectateurs demandent d’avoir des avis sur tout, de disserter avec une égale assurance sur les hedges funds ou le lifting d’Isabelle Adjani ou la grippe H1N1, de trancher de tout sans nuances, d’être en définitive la petite musique qui rassure et réassure. Calés dans leurs fauteuils, nos chroniqueurs ou éditorialistes tirent des sonnettes d’alarme en tout genre, s’érigent en « briseurs de tabous » ou en pourfendeur du « politiquement correct » ou de la « pensée unique », alors qu’ils sont souvent d’éminents représentants du conformisme intellectuel le plus étroit. Dans les médias répétitifs, tout particulièrement la télévision, le chroniqueur ou l’éditorialiste, avec ses psaumes, ses clichés, ses à priori idéologiques, entretien son public avec le même soin qu’un jardinier du dimanche son gazon.
Le danger d’une telle posture existe pour le petit chroniqueur de la Toile que je suis. Dois-je entretenir mon petit fond de commerce, en ma gardant à gauche, en me gardant à droite, en brossant mes lecteurs dans le sens du poil ou, pour mieux coller à l’ambiance générale qui prévaut sur les blogs de l’Internet, pourfendre, tailler en pièces ceux dont la tête ne me revient pas, jeter en pâture des hommes et des femmes qui ont franchi la ligne jaune, couper des têtes, rendre des sentences du haut de ma haute suffisance ? Si je me laissais aller à l’un ou l’autre de ces travers, à cette facilité, je vous demande instamment de me remettre vertement à ma place. La voie que j’ai choisie pour cette espace de liberté est étroite, parfois sinueuse, souvent pleine de doutes, d’interrogations. Je m’expose à être mal compris parce que j’ouvre des fenêtres qui ne donnent pas forcément toute la lumière sur un fait, une situation ou parce que je pousse une porte débouchant sur un cul de sac ou une impasse. Je n'ai pas toutes les clés, toutes les réponses. Mon souci n’est pas de réfléchir à votre place mais de vous amener à vous interroger, à douter ou à essayer de mieux comprendre. Alors, de grâce, n’exigez pas de moi autre chose ou une attitude différente que celle d’un petit homme plein de contradictions, d’incertitudes, de soudaines institutions, d’emballement et d’amour immodéré pour les chemins de traverse.
L’épisode récent de mes chroniques sur l’affaire dites des faux Pinot Noir m’a plus encore vacciné contre ceux qui me poussent à hurler avec la meute ou à me demander de faire tomber des têtes. Oui je suis fidèle en amitié mais le devoir d’amitié ne me ligote en rien. J’essaie toujours de comprendre. Est-ce un tort ? Je tente toujours de faire la part des choses sans pour autant me masquer la vérité même si elle se révèle désagréable. J’ai exercé dans ma carrière les fonctions de médiateur et je sais que s’en tenir à la surface des choses, en rester aux jeux de rôles avec du bon côté les bons et de l’autre, la face obscure, les mauvais, procède d’une vision étriquée de la réalité des faits et des hommes. De toute façon on ne fait la paix qu’entre adversaires ou ennemis. Ceux qui m’ont côtoyé dans les Pyrénées-Orientales, à Cognac, à Châteauneuf-du-Pape peuvent témoigner de mon écoute et de ma prise de risques. Dieu qu’il est confortable de prêcher dans sa paroisse ! D’être entouré de gens qui pensent comme vous !
Oui mais, ayant occupé des hautes fonctions sous les ors de la République, ne serais-je pas plus indulgent, plus compréhensif pour les puissants que pour les gens de peu ? Mon indulgence ne serait que complicité d’un je te tiens tu me tiens par la barbichette entre gens du même monde. Je n’ai pas à plaider ma cause sur ce thème car ce serait de ma part inconvenant mais sachez que, hors ces lignes, par les moyens qui sont les miens, je défends des vignerons en butte à des personnes qui profitent de leur position. Merci à ceux qui savent de n’en rien dire. Je n’ai pas à me décerner ou à me faire décerner des brevets de bonne conduite ou de bon samaritain.
Vous pouvez en rester là dans ce plaidoyer sans doute maladroit mais ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent poursuivre la lecture.
Pourquoi suis-je aussi réactif face à ceux qui jettent la première pierre au pécheur ou à la pécheresse ? Je pourrais m’en tirer en répondant que c’est la conjonction de mon élevage vendéen et de mon parchemin de docteur en droit. Ce serait un peu court. Ma sensibilité à des ressorts bien plus profonds. Je m’explique :
Né dans un pays où l’inconscient collectif restait profondément marqué par ce que nos manuels d’histoire, à l’école Sainte Marie de la Mothe-Achard, qualifiaient de « guerres de Vendée » j’ai développé des anticorps puissants, une allergie profonde face à celles et ceux qui, au lieu d’essayer de comprendre, armés de leur seule idéologie, frappent sans discernement. En effet, face à un soulèvement populaire, une guérilla de gueux, la nouvelle bourgeoisie révolutionnaire, noya le conflit dans le sang et perpétra un véritable génocide. En écrivant cela je ne m’inscris ni dans une pensée « révisionniste », ni dans l’imagerie villiériste des guerres de Vendée Voir ma chronique du 4/02/2008 « Les vins chouans n'existent pas ! »
http://www.berthomeau.com/article-15887390.html
Ma Vendée natale, celle du Bas-Bocage, enserrée, comprimée par la mainmise d’un clergé omniprésent et d’une aristocratie foncière sur le déclin, m’a aussi façonné à la fois sur le versant des gens de peu « bonjour notre maître » et sur celui de l’intolérance clivant les laïcs et les ouailles du Bon Dieu. L’intolérance, l’exclusion, la vision manichéiste du bien et du mal, la césure absolue entre les bons et les méchants, m’ont rendu très sourcilleux face aux Torquemada, aux Saint Just, à ceux qui lavent plus blanc que blanc, aux purs et durs, aux coupeurs de têtes, à tous ceux qui ne parlent qu’à leur propre camp, à leur propre chapelle. Cette première immunisation contre le sectarisme s’est trouvée terriblement renforcée par mon voisinage soixante-huitard avec tous les diverticules d’une extrême gauche bavarde, obtuse, vindicative, enfermée qu’elle était dans le léninisme, le trotskysme, le maoïsme ou diverses variantes encore plus exotiques. Exclusion, excommunication, autocritique, procès en sorcellerie, interdiction de prendre parti contre la vulgate marxiste dominante sous peine de se voir affubler du titre infâmant d’allié objectif de l’impérialisme américain bombardant ou napalmant le peuple vietnamien... J’ai toujours eu le grand plaisir de me situer dans les courants minoritaires qui s’interdisaient le sectarisme. C’est beaucoup moins confortable qu’il n’y paraît sauf de s’entendre dire bien des années après que sommes toute c’est vous qui aviez raison...
Désolé de vous avoir infligé ce billet en cette fin de semaine mais il me fallait vous dire ce qui me tenait à cœur. Bon dimanche et à demain sur mes lignes.