En mai « fais ce qui te plaît » et je le fais sans me soucier des donneurs de leçon de poésie. À mon âge il très facile de passer outre, d’être indifférent à ce qui est excessif, dérisoire, de laisser sur le bord du chemin ceux qui exigent que l’on pensât comme eux. Cloué au pilori, excommunié, marqué au fer rouge, condamné sans procès, officiellement pour une petite pochade, certes pas de la meilleure veine, mais surtout pour atteinte à l’art officiel.
Qu’importe, je rebondis et file mon chemin mon inculture en bandoulière.
« Le légume n’est pas un produit noble, c’est la nature humble, ignoble, au sens propre. »
C’est pour cela que j’ai choisi pour cette chronique « amis de la poésie, bonsoir » de vous offrir l’une des rares poésies dédiée à un légume : la salade. Et c’est signé Pierre Ronsard, un maître en ce domaine.
« Le légume a été aussi, pendant longtemps, le parent pauvre de la gastronomie. Il joue les utilités, les à-côtés. On lui donne une fonction d’entremets – un entre-deux, donc – ou d’accompagnement. Il orne la viande, le gibier ou le poisson, il les complète, a une fonction subalterne de décoration, de faire-valoir. »
La salade, c’est pire encore même si, dans un retournement lié à notre suralimentation, elle est devenue le luxe du fait de sa légèreté, de son évanescence.
Les salades modernes, forcées, sont molles et sans goût.
J’aime les salades fortes, sauvages, craquantes, comme celle-ci.
Et boire avec ceci.
Place à la poésie ! En français d’origine…
La salade
À Amadis Jamin
Lave ta main blanche gaillarde et nette,
Trace mes pas, apporte une serviette,
Allons cueillir la salade et faison
Part à noz ans des fruits de la saison.
D’un vague pied, d’une vue escartée
Deça delà jettée et rejettée
Or’sur la rive, ores sur un fossé,
Or’sur un champ en paresse laissé
Du laboureur, qui luy-mesme apporte
Sans cultiver herbes de toute sorte.
Je m’en iray solitaire à l’escart.
Tu t’en iras Jamyn, d’une autre part
Chercher songneux, la boursette toffue,
La pasquerette à la fueille menue,
La pimprenelle heureuse pour le sang
Et pour la ratte, et pour le mal au flanc :
Je cueilleray, compagne de la mousse,
La responsette à la racine douce,
Et le bouton des nouveaux groiseliers
Qui le printemps annoncent les premiers :
Puis en lisant l’ingénieux Ovide
En ces beaux vers où d’amour il est guide.
Regagnons le logis pas-à-pas.
Là recoursant jusqu’au coude noz bras,
Nous laverons noz herbes à main pleine
Au cours sacré de ma belle fontaine :
La blanchirons de sel en meinte part,
L’arrouserons de vinaigre rosart,
L’engresserons de l’huile de Provence :
L’huile qui vient aux Oliviers de France
Rompt l’estomac, et ne vaut du tout rien…
Pierre de Ronsard Le second livre des poèmes Tome IV