Néo-parisien tête de chien, lorsque j’ai découvert en 1976 chez le poissonnier de la rue de Buci, tout près de laquelle j’habitais, ces drôles de petits boudins bruns et que la préposée à la caisse – je n’ai pas écrit poissonnière car c’eut été vous faire accroire qu’elle causait comme une poissonnière alors que c’était une jeune femme qui parlait pointu – m’indiqua que c’était là une poche d’œufs de mulet salée et séchée, recueillie quand les femelles sont pleines (ça elle me l’a pas dit et d’ailleurs ça confine à l’évidence). Mon ignorance était fort compréhensible de la part d’un natif des rives de l’Atlantique car la Boutargue provenait du Sud, de Martigues, même si partout ailleurs dans les autres pays méditerranéens, on la dénommait Poutargue. Elle se doublait d’un étonnement pour ce qui concernait le prix. En effet, il me semblait fort élevé pour des œufs de mulet, sans pour autant atteindre le niveau stratosphérique actuel 145€ le kg justifié, me dit-on, par la raréfaction des mulets victimes de la surpêche.
Le mulet, chez moi, c’était le bar du pauvre, poisson atypique pour deux raisons : d’une part, il passait de l’eau salée de l’océan, aux eaux saumâtres des estuaires, et il séjournait même dans l’eau douce des rivières ; d’autre part, ce poisson gras se nourrissait tout aussi bien de petits organismes marins que de plantes aquatiques. Les pêcheurs à pied du marais de la Gachère disaient que c’était l’un des rares poissons qui pouvait être totalement végétarien et que c’était le seul poisson pourvu d’un gésier comme le poulet. Bref, déjà que dans les poissons frais je n’appréciais guère les poches d’œufs qu’il me fallait manger tout de même car c’était plein de bonnes choses pour que je grandisse, dixit le clan des femmes qui n’avait pas tout à fait tort puisqu’ils sont une source de calcium, de vitamines A, D et B, de magnésium, sélénium, phosphore , iode et fluor. Mais comme je n’ai jamais mangé de mulet, trop vulgaire pour mon bec, je n’ai pas bénéficié de l’apport des fameux oméga-3 dont sont bourrés les poissons gras.
Cette préparation, dénommée caviar de la Méditerranée, est commercialisée depuis au moins le XVIIIe siècle. En 1777, Jean-Pierre Papon expliquait : « La poutargue, qu'on y fait avec les œufs des femelles des mujous ou mulets qu'on sale, quand on a bien nettoyé les ovaires, et qu'on fait sécher au soleil, après les avoir aplatis sous un poids qu'on met dessus, passe pour être fort délicate. On l'a vendue jusqu'à neuf francs la livre. On en sale tous les ans jusqu'à quarante quintaux, ce qui suppose une étonnante fécondité dans le mulet » Pour ceux qui en ferait l’acquisition suite à ma brillante chronique je signale que les poches de boutargue sont enduites de cire. L’effet de cette claustration est double : elle stoppe leur maturation au moment propice et elle conserve et protège la boutargue contre tout contact extérieur. Pour la consommer, il faut donc couper la boutargue en fines tranches, enlever la protection de cire, puis, si l'on veut, l'éplucher afin d'enlever la fine peau constituant la poche d'œufs de poisson. Mais j’entends déjà votre question : ça se mange comment ton caviar qu'avé l'accent Berthomeau ?
Comme je suis un garçon facétieux je me suis, pour vous faire plaisir, que seule Julie Andrieu – ne pas confondre avec Sylvie Andrieu, membre de la très célèbre Fédération du PS des Bouches-du-Rhône, « copine » du sieur Guérini – allait me donner la recette. Bonne pioche car dans Elle, l’organe de la défense des femmes qui veulent ressembler aux top-modèles, la diva des fourneaux déclare « je suis fan de poutargue. Sur des pâtes, c'est un plat grand luxe en 10 minutes chrono pour un repas en amoureux. Mais le goût est tellement puissant qu'il vaut mieux en manger tous les deux... » Je vous la livre brute de décoffrage :
- 160 g de spaghettis
- 200 g de tomates cerise
- 15 g de poutargue râpée
- 2 litres de fumet de poisson
- 1/2 bouquet de basilic ciselé
- 1 gousse d'ail écrasée
- 2 cuillérée à soupe d'huile d'olive
- 2 cuillérée à soupe de vin blanc
- 10 g de beurre
- sel, poivre du moulin
1°/ Porter à ébullition le fumet de poisson et y plonger les pâtes.
2°/ Dans une grande poêle, faire cuire à feu doux les tomates cerises et l'ail dans l'huile d'olive.
3°/ Egoutter les pâtes lorsqu'elles sont très al dente et conserver 1 louche d'eau de cuisson. Mettre les pâtes égouttées et l'eau de cuisson dans la poêle et ajouter le vin blanc : laisser sur feu vif jusqu'à absorption complète.
4°/ Ajouter le beurre, le basilic et la moitié de la poutargue râpée. Saler, poivrer. Servir chaud et parsemer de l'autre moitié de poutargue râpée.
Reste mes amis à définir ce qu’est un petit vin du pays, la variante française du vino de la casa, et ça je vous en laisse le soin en privilégiant les locaux de l’étape : les voisins vignerons du terroir Martégal pourraient sans doute lancer les premières réponses.