Dans le monde du vin, où la gent masculine règne encore en maître avec un zeste de partage, bien plus qu’ailleurs, les clichés ont la vie dure. Sur les deux rives de la Gironde, en ce vignoble dit de Bordeaux où cohabitent des points si hauts, des pics, qu’ils donnent le vertige et des points si bas, des gouffres, qu’ils donnent la gueule de bois, les idées reçues ont la rondeur, le lisse et la fermeté des galets roulés de la patrie du Baron Le Roy de Boiseaumarié. Image certes osée mais, lorsque, comme moi, de retour des Primeurs, au lieu d’étaler sous vos regards acérés d’experts es-dégustation mon carnet de notes de tous ces hauts nectars mis en bouche puis rejetés en des réceptacles prévus à cet effet, j’ouvre le bal avec deux femmes délurées : La Baronne G. et the Bad Girl, il y a de quoi faire grincer beaucoup de belles dents de la place de Bordeaux.
Chocking ! Mais est-ce pire que cette petite histoire qu’on me conta vers la fin des années 70 lorsque, jeune et beau, je fis ma première descente à Bordeaux « Un PDG d’une belle affaire de négoce de vins commentait le compte-rendu d’une réunion où différentes sociétés avaient échangé les principaux ratios de leur exploitation. » C’est très intéressant... mais à part l’erreur de frappe, je voudrais que l’on m’explique ce que viennent faire les rations dans tout cela. »
Donc à propos de belles dents agacées je dois vous concéder que les miennes se sont parées de beaux reflets noirâtres qui donnent à mon sourire un côté charbonneux. Mais trêve de diversion je reviens à mes moutons, pardon à mes deux femmes libérées qui ne sont pas si fragiles... comme le chantait Cookie Dingler (faut toujours que j’étale mon immense culture et je comprends que ça en devient lassant). Et pourtant c'est une belle transition car mon plus grand regret de ces deux jours passés sous un soleil luciférien c’est d’avoir raté la Soirée Let’s Dance du Cercle Rive Droite où j’aurais pu danser des rocks d’enfer avec ma partenaire préférée. Mais il me fallait rentrer. Tout ça pour vous dire que, contrairement à une idée reçue, les Primeurs ne se confinent pas que dans les mondanités et que sur la Rive Droite ça bouillonne, ça foisonnent, ça bouge, et sans vouloir leur jeter des brassées de fleurs je sens sous ce mouvement des mains de femmes. Vous comprendrez donc, eu égard à ma pente naturelle, que j’en fusse fort ravi et que ma première chronique post-primeur fut consacrée à deux représentantes de la gent féminine.
Dans l’ordre chronologique ce fut la Baronne G. qui me fut présentée en premier le mercredi, en fin de journée, par Paul Goldsmith dans la paix du jour déclinant sur le merveilleux parc du château de Siaurac. Son allure décalée m’a de suite séduit et, un peu pincé, j’ai fait remarquer à Paul que j’eusse apprécié la primeur de cette mystérieuse Baronne, au G si évocateur. Alors que je la dégustais – désolé pour les prudes – dans les règles de l’art, Paul me dit, avec son air le plus nounours sympa, « c’est une enfant d’Aline ! » Pour ceux qui ne le savent pas « J’ai découvert Aline debout sur son canapé, un verre de rouge à la main » (ainsi commence une chronique d’un grand cru berthomesque Aline au pays des merveilles : la saga de la Baronne Guichard link du 14 mai 2008). Sans doute goûtez-vous mieux maintenant tout le sel ou le suc, c’est à votre convenance, de mes brillantes pensées sur les idées reçues et sur la main des femmes pour les bousculer. Mais qui est donc cette énigmatique Baronne G. ?
Tout d’abord sachez que cette dame bien née, en dépit de son petit côté j’ai rangé mon corset au rayon des accessoires inutiles, garde ce qu’il faut de classe, elle ne s’habille point Aux Dames de France mais chez la couturière de famille. C’est ainsi qu’Aline l’a imaginé, qu’Aline a osé, qu’Aline à un peu ferraillée, qu’Aline a patientée, qu’Aline l’a fait. Jugez par vous-même. Comme l’aurait dit ma chère maman couturière : ce Camay ça change tout. Le chic se niche dans le détail. La photo est celle de Madeleine Brisson, qui épouse le Baron Louis Guichard en 1919, et devient la Baronne Guichard. Bon les ronchons vont m’objecter que je les entortille avec mes histoires de chiffon ce qui compte vraiment c’est le contenu du flacon. Objection retenue messieurs les porteurs de pantalon « Oui, oui, j’y viens : le vin ».
Alors parlons vin ! Pour moi, La Baronne G. est un vin modèle Rapport B. Là je vous sens ébranlés, moins ramenard, prêt à me rendre les armes. En effet ce vin permet à des consommateurs, qui ne peuvent accéder au cousu main de s’offrir du plaisir à un prix abordable. C’est un modèle qui, dans la langue bordelaise, se définit comme un second vin, celui du Château Siaurac la plus grande propriété de Lalande de Pomerol, jouxtant Pomerol. 80%merlot, 20% cabernet franc sur de l’argile et des graves, La Baronne G. s’affiche délibérément bordelaise, le vin est équilibré, souple, fruité, facile à boire dans sa jeunesse. Cousine germaine de la Cuvée Plaisir, la nouvelle venue garde la patte d’Alain Reynaud qui a veillé sur son berceau. Reste à vous dire, même s’il est malséant de parler argent, que vous pouvez vous offrir un flacon de Baronne G pour environ 10€
La seconde femme délurée je l’ai croisée le lendemain rue Vergniaud à Saint-Emilion (pour la petite histoire j’ai habité une grosse poignée d’années rue Vergniaud dans le treizième arrondissement). Mes intuitions sont pour moi des maîtresses impérieuses et je leur cède sans combattre. Donc dès l’entame de ce second jour je me rendais d’un pas assuré, sous un ciel d’une pureté de rosière, chez mon ami Jean-Luc Thunevin, comme moi mauvais berger du vin français, bad boy (lire absolument cette chronique datée du 26 mars 2008 link.) Première bonne nouvelle, en descendant la rue Guadet je tombais sur un autre ami cher à mon cœur, François Des Ligneris, et comme j’étais perdu – en dehors de Paris je me perds tout le temps, et pourtant là j’avais un guide mais Sophie, comme la majorité des femmes, n’est pas dotée du sens de l’orientation – je lui demandais donc le chemin de la maison Thunevin. Il s’y rendait alors nous le suivons. Au détour de la conversation il évoquait une nouvellement arrivée dans la bergerie : une certaine Bad Girl. À partir de cet instant, comme vous pouvez vous l’imaginer mon sang bouillonnait, impatient, j'étais en état de lubricité neuronale. Alors dès mon arrivée, après avoir salué Murielle et Jean-Luc, absorbé ma dose de caféine, je me ruais vers cette nouvelle rétive. Cette Bad Girl est la fille de Murielle. Présentation faite, avant même de la savourer, je la mitraillais sous tous les angles. L’effrontée, comme vous pouvez le constater sur mes clichés, en rosissait de bonheur.
Du côté vin, Bag Girl est un Crémant de Bordeaux, harmonieux, équilibré, joyeux, fines bulles, bien dans l’esprit de la gamme des Bad car il s’inscrit, comme le flèche sur l’étiquette et la contre-étiquette l’unique brebis du troupeau qui va à contre-courant, hors le discours dominant des amateurs qui font de l’Extra-Brut l’alpha et l’oméga des bulles qui plaisent. J’ai goûté et je dois avouer que j’ai retrouvé dans cette Bad Girl tous les éléments de langage – c’est très, très bien porté de nos jours l’élément de langage – que je serine depuis des années à propos des néo-consommateurs qui abordent le vin sous l’angle festif. Comme il faut que jeunesse se passe et que faire la fête c’est bon pour le moral, et Dieu sait que les Français sont fichtrement pessimistes, les bulles s’imposent. Des bulles qui assurent la transition avec les soft-drink, des bulles avec de la vivacité mais juste ce qu’il faut de sucrosité. Mon hymne, plusieurs fois entonné, pour les méthodes ancestrales, bien douces, bien jeunes, va dans le même sens. Alors cette Bad Girl bien lookée, avenante, positionnée assez haut environ 15€, qui vient prendre place sur un marché dynamique et porteur, va devoir lutter contre les idées reçues qui ... allez je ne vais pas repasser les plats.