« Le Vin, c’et quelqu’un. Oui, il convient de parler du vin comme d’une personne. D’ailleurs, chaque vin est doué d’une individualité qui lui appartient en propre, et le malheureux qui le confondrait avec un autre, à la manière du touriste d’Afrique pour qui tous mes Noirs se ressemblent, est indigne de le boire. Chaque vin à son tempérament, et demander quel est le meilleur vin du monde n’est pas moins absurde que de décider de la supériorité d’une race sur l’autre. »
Ainsi commence « Célébration du Vin » d’une de nos connaisssances le RP Maurice Lelong, o.p. dont j’ai parlé récemment d’un autre de ces petits opus jubilatoire « Célébration de l’andouille » chez Robert Morel éditeur Le Jas du Revest-Saint-Martin, Haute-Provence. Eut égard à mon amour pour la race asine, cet homme d’Eglise ne peut que me plaire puisqu’il est aussi l’auteur de « Célébration de l’âne ». Maurice Lelong est un très grand célébrant car, toujours chez ce même éditeur, il célèbre : le pain, l’œuf, le fromage, l’art militaire (prix de l’humour noir), le cimetière et le fumier.
Tous ces bijoux sont trouvables chez
http://www.presences.online.fr/sitemorel/robertmorel.html ce sont de beaux petits cadeaux pour les fêtes ou pour ce que voulez d’ailleurs. Ce qui est formidable, depuis que je chronique sur le monde du vin c’est l’extrême richesse de l’écrit ; une richesse intellectuelle et spirituelle qui tranche avec celle, purement formelle, des beaux livres sur papier glacé avec de superbes photos qui ornent les rayons vin de nos grandes librairies. Cet opus bien sûr n’est pas résumable tant, sous un petit format, il sait allier une belle érudition et des anecdotes truculentes. J’ai choisi, pour vous en donner l’esprit, deux extraits, dont celui bien sûr qui donne son titre à ma chronique.
« Je vais parler de la vigne avec la gravité qui convient à un Romain lorsqu’il traite des arts et des sciences. »
Telle est l’introduction solennelle du treizième livre de Pline, qui proclame la supériorité du vin. Il annonce alors qu’il en traitera non comme un médecin, mais comme un juge chargé de se prononcer sur la santé morale et physique de l’humanité. Autant dire que Pline l’Ancien fait du vin un problème crucial de la vie. »
Par l’entremise d’un de ses amis le RP Maurice Lelong rencontre « le plus grand vigneron de France, et par conséquent du monde entier, le baron Le Roy de Boiseaumarié qui « règne sur le très authentique cru papal de Châteauneuf, qui est censément le Castel Gandolfo de Jean XXII » au Plan du Castellet. « Dès avant le IIIe siècle, Rome importait ce vin célèbre qui supportait admirablement le voyage et vieillissait bien. De Bandol, tout proche, il fut un temps où, chaque année, cinq ou six cents navires appareillaient, chargés de 60 000 barriques » Le baron s’exaltait. Il parlait du vin bien sûr, en général, mais en particulier « Le Bandol ne doit rien aux Côtes de Nuits ou de Beaune de 1915, 1923, 1929, années fastes comme chacun sait... » Il humait une lampée et le monologue rebondissait :
- Donc, si le bordeaux est de la classe des grandes dames, le bourgogne appartient à la race des seigneurs. Les Côtes du Rhône sont des vins d’hiver, des vins de gibier. Mes voisins, les papes d’Avignon, étaient d’accord là-dessus, et nous possédons une recette pontificale pour faire rissoler des grives craquelantes qui font un accompagnement parfait au Châteauneuf. Les blancs d’Anjou et de Touraine sont d’une suprême élégance. Celui-ci (il mirait son verre de Bandol) est une paysanne robuste, solide, à laquelle il ne faut pas demander les raffinements de ceux que je viens d’évoquer, mais je vous assure que, déshabillée, il en reste quelque chose... »
« Je demandais timidement ce qu’il fallait penser des vins de l’Hérault et j’entendis – avec quel soulagement ! – ce baron qui fréquentait les chais aristocratiques les plus réservés, louer les mérites des vins de travail et de ménage dont médisent ceux qui ne reconnaissent le jus de la vigne qu’à son étiquette, et confondent le vin sophistiqué et celui qui est la boisson naturelle de l’homme. C’est le vin quotidien, dont parle l’Ecriture, qui réconforte le cœur des fils de Dieu et qui est mêlé à leurs liesses comme à leurs peines. C’est le vin de table qui récompense le dur labeur. On le retrouve accordé aux flonflons du bal populaire et aux jours de gloire de la Marseillaise »