L’alcool au boulot va bien au-delà des pots : le nouveau n° 2014-754 du 1er juillet ne change rien !
Rien n’est pire sur un sujet sensible que d’entonner des couplets horrifiés, outrés, sans avoir pris la peine d’étudier et de mesurer la portée d’une mesure.
L’alcool au boulot ne se réduit pas aux pots dans les bureaux ! Certains chroniqueurs, journalistes, blogueurs réduisent la France à un pays de bureaucrates. C’est assez symptomatique de notre état d’esprit face à ceux qui travaillent encore de leurs mains au dehors : les agriculteurs, les travailleurs du bâtiment… et en usines.
Même si ça déplaît à certains : l’alcool, quel que soit sa provenance, est un facteur de risque très important.
Je parle en connaissance de cause.
Pendant 3 ans j’ai assumé les fonctions de « patron » du site de Gennevilliers pour le compte de la Société des Vins de France, 600 salariés dont les ouvriers et ouvrières des chaînes d’embouteillage et de conditionnement, des caristes, et 125 chauffeurs-livreurs. Donc grosso-modo 70 % du personnel.
Des alcooliques il y en avait comme dans tout groupe humain avec dans le cas d’espèce un facteur aggravant : le produit a portée de mains.
Dans le domaine de la sécurité des travailleurs j’avais une obligation de résultat et je savais pertinemment qu’en cas d’accident je serais tenu pour responsable. Hormis la responsabilité juridique il y a aussi celle qui relève de sa conscience personnelle.
Je puis vous assurer que ce fut pour moi et mon encadrement un souci quotidien que de lutter contre les prises d’alcools en des points clandestins, au bar du local syndical (le petit jaune, nous étions filiale du groupe Pernod-Ricard), le vin à la cantine… J’ai dû, à la demande de son épouse, avec l’appui de la section CGT dont il était membre, licencier un technicien de l’entretien qui mettait sa vie et celle des autres en danger.
Aucun accident n’est survenu au cours de ces 3 années (nous travaillions en 2 postes, et celui de nuit était de tous les dangers) mais vous comprendrez mon irritation de lire la prose de certains qui n’ont jamais mis les pieds dans une usine et qui poussent des cris d’orfraies sur un sujet aussi grave.
En effet, pour les fameux pots dans les bureaux le nouveau décret ne change rien car il indique que les entreprises françaises peuvent désormais « restreindre la consommation de boissons alcoolisées » dans les locaux de leurs établissements. »
Pouvoir n’est pas devoir !
Les chefs d’entreprise pourront, et beaucoup le feront pour entretenir une bonne ambiance au travail, autoriser l’organisation de pots.
C’était déjà le cas.
Comme le décrypte Michel Ledoux, avocat au cabinet Ledoux et associés « Ce décret est une réponse au Conseil d’Etat qui, dans un arrêt de novembre 2012, avait interdit, en référence au Code du travail, les interdictions générales et absolues d’alcool au travail ».
En effet jusqu’ici, survivance de la gamelle des travailleurs manuels, « Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’était autorisée sur le lieu de travail », se contentait en effet de préciser le Code du travail.
Quels en étaient les conséquences pour l’employeur ?
En matière de sécurité, celui-ci a une obligation de résultat. C’est-à-dire qu’il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés.
En tant qu’employeur, vous pouviez édicter des règles plus strictes que celles prévues par le Code du travail. Ainsi, vous pouviez encadrer, restreindre l’introduction et la consommation d'alcool, voire l'interdire totalement en le précisant dans le règlement intérieur (ou une note de service à défaut de règlement intérieur).
Mais comme le précisait une décision du Conseil d’Etat, ces restrictions aux libertés individuelles et collectives introduites dans le règlement intérieur devaient être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, proportionnées au but recherché.
Les restrictions ou l’interdiction générale et absolue d’alcool au travail devaient être notamment justifiées par des impératifs de sécurité, une situation de danger ou de risque.
Michel Ledoux précise que « Cette évolution va dans le sens de l’histoire, estime maître Ledoux. Ce texte s’inscrit en outre dans le cadre de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui impose à l’employeur une obligation de prévention de résultat de lutter, le plus en amont possibles, contre tous les risques professionnels. »
Avec ce nouveau décret les limitations et les interdictions devront être proportionnées au but recherché… notamment prévenir un risque d’accident, protéger la santé et la sécurité des travailleurs qui, par exemple, occupent des postes où la consommation d'alcool n'est pas sans risque (conducteur, travail en hauteur, manipulation de produits dangereux, etc.)
Je rappelle que la prise d'alcool dans un contexte professionnel est surtout constatée pour les professions les plus pénibles physiquement : bâtiment, agriculture, manutention et les professions en rapport avec le public…
Le Moniteur des TP écrit :
« Donner aux employeurs les moyens d’assumer l’obligation de sécurité de résultat pour protéger la santé et la sécurité des salariés. C’est l’objectif du décret du 1er juillet 2014, qui permet aux entreprises de limiter voire d’interdire, dans le règlement intérieur, la consommation d’alcool au travail. Une mesure qui devrait réjouir les DRH du BTP, dont certains se désolaient de ne pouvoir modifier leur règlement intérieur en ce sens.
Le secteur est d’ailleurs concerné en première ligne. D’après une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) de 2012 sur les consommations de substances psychoactives en milieu professionnel, le BTP arrive en tête pour l’alcool. Ainsi, 32,7 % des actifs de la construction boivent six verres ou plus, lors d’une même occasion, au moins une fois par mois. »
Défendre une juste cause, et j’en suis depuis fort longtemps, n’autorise pas à proférer des contre-vérités ou à jouer les hypocrites. Dans le cas présent ceux qui crient que c’est une victoire des prohibitionnistes se trompent et pire ils leur donnent des armes pour nous traiter d’irresponsables.
Il aura toujours et encore des pots au boulot, à chacun de prendre ses responsabilités, qui peut s’en plaindre ?
Pas moi !