Je vais vous faire une confidence, moi qui est un ego de fort calibre, il est des jours où, fréquentant les lieux où le vin est censé tenir la vedette, je me sens mal à l’aise, gêné aux entournures, comme si certains me prenaient pour ce que je ne suis pas : un type dont la vie tourne autour du vin, une sorte de gourou dispensant la doctrine de la bien-pensance du vin. Comprenez-moi bien, j’adore le vin, je m’engage sans aucune restriction dans tous les combats menés en sa faveur, je ne conçois pas la fête sans lui, je sais même mouiller mon maillot pour le promouvoir (ceux qui étaient à Autrement Vin peuvent en témoigner), j’aime les gens du vin, je suis passionné, éternel débatteur, mais en dépit de mon déluge épistolaire matinal ma vie ne tourne pas exclusivement autour du vin. Cette distance est essentielle pour celui qui, comme moi, ne vit pas du vin. Comme l’écrivait Marcel Proust « l’absence n’est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences. » Bien évidemment je ne vais pas vous imposer la litanie de mes centres d’intérêt dans la vie mais tenter, sans fausse modestie – je ne suis pas modeste car je suis doté d’une dose non chiffrée d’orgueil – de mieux cerner les contours de ma position dans notre petit monde du vin.
Tout d’abord, il est patent que je ne suis pas issu du sérail des gens du vin – j’entends par-là ceux qui en vivent de quelque manière que ce soit – et que j’y suis entré par la pire des portes, celle des petits gnomes gris des bureaux, ces gratte-papier qui se mêlent de tout et de rien et qui concentrent sur eux l’ire des chantres du moins d’Etat. Certes, un passage de quelques années à la Société des Vins de France, m’a doté d’une certaine forme de légitimité mais vite contrebalancée par le fait que j’y vendais le très réprouvé vin de table. À noter qu’en ce temps-là nul ne se risquait – sauf l’ex-metteur en boîtes de sardines Christian Bonnet, qui parla de bibine – à qualifier les viticulteurs du Midi de producteurs de vin industriel : Jeannot le bougon des cépages et ses copains cagoulés des CAV n’auraient pas appréciés l’outrage. Bien sûr mon séjour sous les ors de la République a permis à certains plus ou moins bien intentionnés de me coller l’étiquette de « haut-fonctionnaire parisien », ce qui équivaut à la double peine, surtout à Bordeaux. Comme l’aurait dit madame Ginette, la coiffeuse de maman, je suis une branche rapportée, un peu comme une bru qui dois savoir se tenir à carreau vis-à-vis de sa belle famille. En conséquence, contrairement à certains de mes « confrères », grands dispensateurs de hauts principes moraux à l’attention de ceux qui grattent la terre, le fameux terroir chéri par eux seuls, qui semblent croire que le métier de vigneron n’est une forme élevée et pure d’engagement pour une noble cause, je me garde bien d’adopter cette posture. Quand le vin est fait, il faut le vendre et le commerce est aussi vieux que le monde. Le client il faut aller le chercher, le fidéliser, l’écouter et les conseilleurs ne font pas les fins de mois de ceux qu’ils admonestent. D’une manière tout aussi symétrique je ne fourre pas dans le même sac tous les » affreux » qui font profession de négociants sans pour autant me priver de leur parler « vrai » comme aimait à le dire papy Rocard lorsqu’il tenait les manettes et planait au zénith des sondages.
Ensuite, je revendique le droit de laisser à la confrérie des «long nez et au bec fin », que je respecte lorsqu’elle exerce son art dans des conditions respectueuses de leur déontologie professionnelle, le monopole de la dégustation. Dans ma vie j’ai abordé ce que l’on a coutume de dénommer les grands vins lorsque j’ai géré pendant 3 ans la cave de la Présidence de l’Assemblée Nationale qui de 100% bordelaise à l’origine (nous succédions à Chaban maire de Bordeaux) est devenue par mes soins représentative de la France du vin (en 1986, lors de l’alternance Bernard Pivot à la tête de vrais amateurs a pu constater que cette cave était l’une des plus belles du pays). Ma palette se compléta grâce à Lalou Bize-Leroy qui m’initia par le truchement de son maître de chais à l’art de la dégustation à la pipette. En dehors de ces deux expériences fort enrichissantes, à la SVF où nous commercialisions aussi des Grands Vins, dont les GCC de Bordeaux puisque nous avions racheté la maison Cruse et que nous avions créé une filiale Cru et Domaines de France qui doit être aujourd’hui dans le giron des Grands Chais de France, j’ai pu continuer mes travaux pratiques tout en explorant les vins roturiers. Lorsque j’écris sur des vins découverts au gré de mes errances parisiennes, je suis plus dans le registre du plaisir esthétique lié à mes goûts, au moment, à l’empathie du vigneron que dans la froide rigueur de la notation. Je ne suis donc en rien un prescripteur fiable mais un conteur d’histoires à qui il ne faut accorder qu’un crédit minimal.
Enfin, ce blog, et j’y tiens beaucoup, est un espace de liberté. Il est donc ouvert au débat dans le respect absolu des différences et, je le souligne, en s’astreignant aux règles du savoir-vivre en société. Nulle révérence, ni je te passe le sel tu me passes le poivre, mais l’observance des règles de la politesse. Les grossiers , les méchants, les ducons la joie, aigres et aigris, ne sont pas les bienvenus. Pour en revenir à la liberté régnant sur cet espace, la mienne d’abord n’est menacée par aucune pression économique : j’ai la chance et certains diront le privilège de vivre de tout autre chose que de la vigne et du vin. Pour autant je ne professe aucun mépris ou suffisance à l’endroit de ceux qui exercent leur métier dans un univers où ils doivent vivre de leur plume. Ma seule remarque en ce domaine est que certaines proximités économiques ou de copinages ou de chapelles sont nuisibles. Dans notre monde où les grands annonceurs tiennent les médias papier au bout de leur toute puissance économique il me semble que tous ceux qui font du vin et le vendent, qu’ils soient vignerons stars ou obscurs, grands domaines, châteaux renommés ou négociants puissants, devraient réfléchir à ne pas se comporter comme des féodaux maintenant les journalistes du vin sous leur dépendance. Et inversement que ceux-ci cessent de se comporter en baronnets jetant des exclusives sur des gens dont la tête ne leur revient pas ou avec qui ils ont de vieux contentieux. Le génie de Robert Parker a été de retourner en sa faveur cette position d’infériorité. Pour mes amis blogueurs du vin attention à ne pas tomber dans les mêmes travers.
Pour terminer ce long papier je vais répondre à la question qui l’a motivé : certaines personnes vivant du vin aiment-elles vraiment le vin ? J’avoue que, plus je vais dans mes pérégrinations en des lieux où le vin est officiellement la vedette, j’en doute. En effet, lorsque j’écoute de belles âmes ennuyeuses ou je lis les grands pourfendeurs monomaniaques je ne peux m’empêcher de penser : mon dieu comme ils s’aiment, doux Jésus Marie Joseph, comme disait ma mémé Marie, comme ils s’adorent mais aiment-ils vraiment le vin ? Je vous laisse juge, pour ma part simple buveur assis, chroniqueur assidu, je me sens fort à l’aise dans mes baskets – mes célèbres Veja Tout ça pour mes Veja... une chronique du 06/09/2006 qui n’a pas pris une ride (attention les chevilles) http://www.berthomeau.com/article-3752810.html– et je profite de mon avantage pour dire à ces Trissotins du vin : un peu de bonne humeur, de convivialité, d’amour ne nuit jamais à la vie en société, vos tristes figures emplies de certitudes ont un air de famille avec celles de nos chers ennemis prohibitionnistes. Alliance objective ou stupidité collective : le seul perdant dans cette affaire c’est le vin...
Don de la Fédération Française de Football aux lecteurs de Vin&Cie pour l'édification de notre belle jeunesse pervertie par l'affreux lobby mercanti du Vin