Adolescent j’étais fascinée par les « planches à pain », bien plates, hautes sur pattes, ces compas qui arpentent le monde, androgynes aux cheveux courts, adeptes de la mini-jupe et des chaussures plates, sans fard, natures ! Mes copains me raillaient « il aime les maigres, les sacs d’os… » Je m’en foutais car mon amour était platonique, purement esthétique, un pied de nez à l’ancien monde que nous proclamerions être derrière nous en mai 68.
Vanessa Redgrave dans Blow Up 1966
Mes amours de jeunesse, je les ai contées, romancés, « Chantal » link et « Chantal m'avait dit « j'aime ta semence, elle a le goût du lait d'amande... » link
Digressions pour vous ferrer, vous amener jusqu’à la gardienne implacable du maigre, la tante Valentine. Le vendredi, à la maison, c’était poisson. Nous faisions maigre même si nous mangions rarement du maigre.
Je vous embrouille à dessein car le Maigre ou Courbine est un poisson rare et cher. Sa chair est délicate et délicieuse. Le maigre (Argyrosomus regius), surnommé « grogneur » en raison des sons qu'il émet au moment du frai, est un poisson de mer, dont l'aire de répartition s'étend de la Norvège aux côtes congolaises, du détroit de Gibraltar aux rives septentrionales de la Mer noire. La population de l'Atlantique nord est indépendante, et se reproduit uniquement dans l'estuaire de la Gironde. Il est pêché principalement sur la façade atlantique de la Gironde au pertuis charentais*. Il ressemble beaucoup au bar, tant par sa forme que par ses qualités gustatives.
« À l'âge adulte, certains spécimens peuvent atteindre une taille de 2 m pour un poids de 60 kg. On trouve plus communément des individus de 50 cm à un mètre, pesant de 10 à 30 kg. Sa longévité ne dépasse pas la quinzaine d'années. Ses populations peuvent grandement fluctuer d'une année sur l'autre, en fonction de la température de l'eau, jusqu'à parfois laisser croire que l'espèce a disparu. En effet, pour favoriser sa reproduction, le maigre a besoin d'une eau à 20-21 °C.
Le maigre est un carnivore. À l'âge adulte, il se nourrit de seiches, de calmars, de poulpes mais ses faveurs vont aux sardines, soles, alosons, mulets et sprats.
Les pêcheurs de l'estuaire de la Gironde le capturent essentiellement en juin et juillet, en utilisant une technique très particulière : la pêche à l'écoute. Le pêcheur détecte les bancs en écoutant les grognements des poissons au fond de sa barque. Cela lui permet alors de poser son filet au plus juste. »
Moi je mange du maigre à une bonne table, chez Bruno Verjus à Table link
Le sieur Verjus un petit livre tout bleu « D’Yeu que c’est bon ! » aux éditions de l’Épure (en cours de réédition) link
À la page 56 il nous donne la recette du Maigre tranché aux agrumes.
« Les agrumes, éloge de l’acide et du sucré, de l’amer et du salé, équilibrent subtilement ces saveurs en d’infinies combinaisons. Tout à la fois fraîcheur et plein soleil, ces agrumes me communiquent une vraie passion. Les voir, les toucher, les sentir égrène en moi joies et plaisirs… »
Pour la suite allez donc chez Bruno à Table il est intarissable sur les produits qu’il nous choisit…
Du côté du vin qui va avec le maigre j’ai sommé le sommelier de Ludo de nous resservir ce super blanc de l’Ardèche qu’il venait tout juste de toucher et dont j’ai oublié le nom…
Dernier détail, à la page 58 de l’opus de Bruno c’est le tour des Maquereaux de l’instant, comme quoi mon titre ne relevait pas de la pure provocation.
* « Le maigre passe l'essentiel de sa vie dans le Golfe de Gascogne qu'il remonte en longeant la façade atlantique.
En mars, il quitte les eaux côtières du pays basque, en bancs compacts, pour entamer sa migration de reproduction. Les maigres longent alors les fonds sablonneux des côtes landaises pour atteindre l'estuaire de la Gironde à partir du mois d'avril. Ils effectuent alors une remontée d'une trentaine de kilomètres qui les mène sur leurs zones de frai, entre Meschers-sur-Gironde et Mortagne-sur-Gironde. Ils y séjournent jusqu'en juillet. Un voyage qu'ils feront chaque année de leur vie. Fin juillet, marque la fin de la période de reproduction, quelques individus s'aventureront alors jusqu'en Seudre (Charente-Maritime) et dans les Pertuis charentais. »