Ce matin je vais vous entretenir d’un beau vin blanc du Sud et de l’art d’être grand-père, pas sûr que j’en sois un très bon mais là n’est pas la question. Sur le plateau des Claparèdes, au lieu-dit Salen, à Buoux, dans les taillis de chênes verts s’élèvent d’étranges érections de pierres blanches. Qu’est-ce donc ? Le hobby d’un homme, enseignant, donc homme de tête se rêvant bâtisseur, qui les a façonné de ses mains. Rien n’est plus fascinant que la beauté d’un geste sans autre utilité que celle de son accomplissement.
Quel rapport avec l’art d’être grand-père me direz-vous ?
Réponse : « l’allée des gâteaux »
Suivez-moi ! Le sentier zigzague sous les ramures d’un taillis ouvert et bas, ça et là, des tas éboulés de pierres blanches, vestiges de constructions humaines ou d’accumulations de ce qui a du être extrait des champs pour les rendre cultivables. Labeur énorme que ce charroi incessant. Partout les murets portent témoignage d’un temps où chacun ici assurait sa subsistance en tirant d’une terre pauvre des céréales et de quoi nourrir quelques animaux domestiques. La nature a repris ses droits diront certains qui seront sans doute les premiers à déplorer l’exode des paysans vers des lieux plus cléments.
Le premier gâteau de pierres est une merveille de légèreté, d’élégance, de sérénité, avec planté au centre, la signature, la patte de l’architecte, une pyramide gracile. Viennent ensuite deux œuvres monumentales, le gâteau d’anniversaire de Luca, grand gâteau de Savoie encerclé de petits chênes qui filtrent le jour et le birthday cake de Paul, lui aussi cerné de chênes, mais plus exposé à l’ardeur du soleil qui jette sur ses flancs blancs une lumière crue. Le gâteau suivant est austère, lunaire, plus tourné vers l’introspection, la recherche d’une pure simplicité. C’est celui de Flora. Le dernier, tel un pot renversé à l’image de ce que les enfants font moulé dans leur petit seau avec le sable de la plage, est la torta de cumpleaños de Violaine. Ce qui m’a fasciné c’est que sur son flanc, une niche à la bonne hauteur n’attendait que ma belle bouteille de Grande Toque vienne y trouver sa place.
Même si vous allez me taxer d’orgueil : dites-moi, où trouverez-vous ailleurs qu’ici, dans la modeste crèmerie du taulier, un tel parcours initiatique permettant de déposer dans un bel écrin de pierres sèches, au cœur d’une nature sauvage, une belle bouteille symbole de la capacité de femmes et d’hommes de donner des lettres de noblesse à un terroir plein de promesses. Le Luberon, cher à Jean Lacouture dans les ocres de Roussillon, aux peuplades nordiques qui ont investi ses villages, tels Peter Mayle à Menherbes, ou les parigots pas encore bobos tel Wolinski à Gordes, ou encore le grand John Malkovitch, aussi snob qu’il fut devenu (le Luberon bien sûr, paas John!) n’a pas placé sur sa lancée les vins du Luberon sur une trajectoire de notoriété. Pour ce faire, en dépit de belles réussites individuelles, tels mes chouchous du château de La Canorgue il a fallu que le gros chat se réveille : Marrenon in Luberon.
Qu’on ne me taxe pas ici de favoritisme parce que j’applaudis le travail accompli par le Piton du Luberon et son équipe conduite d’une main experte par Philippe. Pensez-donc : une Union de coopératives, l’abomination de la désolation pour le petit monde vibrionnant et inconséquent des goûteurs de little wine fait à la main, au piquet, même pas question d’en parler. Sauf qu’en bas ça travaille ! Que le collectif n’est pas synonyme de médiocrité, de négligence et de vin fait à la va que je me pousse. Ils ont des valeurs les gens de Marrenon, sans beaucoup de bruit médiatique ils construisent pierre par pierre leur maison, un peu à l’image du grand-père avec ses gâteaux. Beaucoup de militants du terroir microscopique oublient trop souvent que la diversité qu’ils prônent passe aussi par celle des modèles économiques. Contradiction entre leur discours très communautaire et leur recherche exclusive d’une singularité individuelle. Dresser des barrières, exclure, débouche sur l’incapacité à vaincre le conservatisme.
Il n’y a aucune contradiction à conjuguer le cousu-main d’un vigneron porté sur le pavois avec celui mené avec le même soin à l’intérieur d’une maison telle celle de Marrenon in Luberon. Ainsi la Grande Toque m’apparaît comme issu de ce souci de proposer aux consommateurs, non pourvus de toutes les références des amateurs des vins authentiques, un vin bien accroché à son terroir originel. C’est du Vermentino majoritaire (70%) en assemblage avec du Grenache blanc qui le démarque de ses voisins rhodaniens ou provençaux. Vignobles d’altitude, 300 à 400 mètres récoltés dans la fraîcheur des nuits des monts du Luberon entre le début et la fin de septembre en fonction de leur situation et des cépages. Robe jaune paille, bel éclat et nez de flore méditerranéenne, intense. De la fraîcheur, de la vivacité, une belle longueur en bouche et une finale qui donne envie de marée. Au marché de l’Isle s/la Sorgue j’ai acheté un beau filet de Baccalhau salée : 24 heures au bain avec 4 changements d’eau, cuisson al dente, pommes de terre bouillies, petite sauce échalotes revenues dans un soupçon de Grande Toque, beurre salé, et le tour est joué. Plat simple, vin de belle tenue : 4,30 € le flacon. Pourquoi se priver de petits bonheurs en ces temps d’anxiété ?
Donc sur www.marrenon.com y’a du bon, allez-y faire un tour du côté de la Tour d’Aigues et pour les membres de l’ABV qui le souhaiteraient, même si je ne me prénomme pas Nathalie, je pourrai vous servir de guide pour vous faire découvrir l’allée des gâteaux.